Les CA sont-ils prêts pour le leadership féminin?

Publié le 28/05/2009 à 13:15

Les CA sont-ils prêts pour le leadership féminin?

Publié le 28/05/2009 à 13:15

Par lesaffaires.com

Bien formées et plus expérimentées, les femmes veulent prendre leur place au sein des conseils d'administration. Ceux-ci sont-ils prêts ?


D'ici deux ans, les conseils d'administration des sociétés d'État québécoises devront être composés à 50 % de femmes. Une aberration, croit Stephen Jarislowsky, grand patron de la firme d'investissement Jarislowsky Fraser, qui a déclaré, en substance, devant le Cercle de la finance internationale de Montréal, que les femmes manquent d'expérience, de courage et de curiosité (!) pour bien s'acquitter de ce travail.

" S'est-il rétracté ? " demande Manon Barbe, présidente de la Conférence régionale des élus (CRE) de Montréal, organisme qui a reçu de Québec le mandat de faciliter la participation des femmes aux conseils d'administration des sociétés publiques.

Non, bien au contraire. Stephen Jarislowsky persiste et signe. Joint la semaine dernière à son bureau, il répondait à une tonne de courriels reçus dans la foulée de ses déclarations incendiaires.

La moitié prenait ses propos comme parole d'évangile, l'autre le traitait " d'anti-femmes ". " Dans les faits, je suis féministe, dit-il. Vous savez pourquoi ? Parce que j'aime les femmes. "

Qu'importe si certains propos du coloré financier semblent d'une autre époque, la question des femmes dans les c.a., elle, est on ne peut plus d'actualité : 11 % des membres des conseils d'administration au pays sont des femmes, un chiffre qui augmente à une cadence lentissime depuis une décennie.

" Heureusement que Québec a voté la loi 53, car, à ce rythme, les femmes auraient atteint la parité en 2046 ", dit Manon Barbe. Selon elle, comme selon la plupart des experts interviewés, il y a suffisamment de femmes compétentes et disponibles pour que les conseils d'administration des sociétés d'État se conforment à la nouvelle loi.

" Mais plusieurs hommes n'y ont vu que très peu de femmes, de sorte qu'on présume qu'il n'y en a pas. On ne cherche pas ", dit Anne-Marie Hubert, associée directrice des services consultatifs pour le Canada chez Ernst & Young.

Les préjugés sont bien tenaces, ajoute-t-elle. Mais certaines embûches, bien réelles, demeurent.

Où sont les femmes ?

On dit que les absents ont toujours tort. Peu présentes dans les 5 à 7, soirées de poker du jeudi et autres petits-déjeuners de chambre de commerce, les femmes sont, par conséquent, peu visibles, quel que soit leur niveau de compétence. " Elles restent peu connues ", dit Michel Lizotte, associé de Raymond Chabot Grant Thornton et responsable de la consultation en ressources humaines, dont le recrutement de cadres. " Elles font du réseautage, mais entre elles. Elles auraient intérêt à sortir de leur cercle habituel. Elles ont un travail de mise en marché à faire, elles doivent se faire connaître. "

" Les femmes ne réalisent pas l'importance du réseautage, qu'ils soit interne ou externe, renchérit Anne-Marie Hubert. Elles font très bien leur travail, mais ne vont pas nécessairement prendre une bière après. "

Les hommes disposent depuis longtemps du fameux old boys' network, qui leur est fort utile. " Car le réflexe de tout gestionnaire, lorsqu'un poste est vacant, est d'aller directement puiser dans son réseau de contacts ", dit Jean Guilbault, chef de pratique chez Dolmen Capital humain, dont le travail est notamment de cibler les expertises manquantes dans les c.a. et de tenter de les combler. La tendance est de rechercher davantage une connaissance qu'une compétence. " D'ailleurs, les quelques femmes connues dans ces réseaux sont très sollicitées. Les autres restent sous le radar. "

Plus d'une centaine de Québécoises figurent pourtant dans Women in the Lead/Femmes de tête, un répertoire canadien de bonnes candidates aux conseils d'administration publié par une ONG basée à Vancouver.

L'effort de trouver des femmes doit venir d'en haut, croit Anne-Marie Hubert. " Les gestionnaires ont tendance, et c'est naturel, de choisir des gens que non seulement ils connaissent, mais aussi qui leur ressemblent. Or, il faut qu'ils sortent de cette logique et cherchent des gens différents, qui apporteront une perspective et un point de vue différents, même si ce n'est pas facile. "

Aller aux activités, enrichir ses réseaux, se faire voir... Soit. Encore faut-il se mettre en valeur. Cela soulève un problème bien féminin : le manque de confiance en soi et la difficulté de mettre ses réussites à l'avant-plan.

Un handicap bien décrit par Anna Fels, psychiatre à l'Université Cornell, dans son étude " Do Women Lack Ambition ? " parue, en 2004, dans la Harvard Business Review. Les femmes ne s'accordent pas nécessairement le mérite qui leur revient. Par conséquent, elles reçoivent moins de reconnaissance.

Elles attendent que le téléphone sonne... " Or, il ne sonnera pas pour rien, dit Michel Lizotte. Pas plus pour les femmes que pour les hommes, d'ailleurs. Dans toute promotion, il y a eu un travail de vente. Il est vrai que les femmes se mettent moins en valeur, mais ce facteur culturel va en s'atténuant. Les femmes occupent de plus en plus de postes importants et elles gagnent en assurance. "

Pour Anne-Marie Hubert, l'exemple doit, une fois de plus, venir d'en haut. Gestionnaires et leaders doivent établir des politiques de reconnaissance formelles et non pas basées sur des affinités personnelles : " Il faut un plan de relève qui prenne en considération le fait que les femmes sont différentes des hommes dans leur façon de se mettre en valeur. "

Pas assez ambitieuses ?

Les femmes manquent-elles d'ambition et d'intérêt pour atteindre les sommets du monde des affaires, comme le rapportent des essais publiés récemment ? Elles ont les mêmes compétences que les hommes, elles mettent simplement moins l'accent sur la réussite professionnelle, les titres, le prestige, le pouvoir, et l'argent...

L'étude d'Anna Fels interprète différemment le phénomène : petites, les filles ont les mêmes ambitions que les garçons. Elles souhaitent être reconnues et avoir une carrière florissante. C'est lorsqu'elles arrivent sur le marché du travail ou lorsqu'elles fondent une famille que ça se gâte : dans notre culture, depuis des temps immémoriaux, l'ambition des femmes est mal vue. Alors elles abandonnent leurs rêves. " Pour renverser la situation, écrit Anna Fels, les femmes doivent voir grand et cultiver des contacts haut placés. "

" Il est vrai que les femmes sont moins compétitives et qu'on s'attend toujours à ce qu'elles soient conciliantes, dit Anne-Marie Hubert. Ce qui les motive, c'est d'obtenir des résultats. "

L'administratrice de sociétés Louise Champoux-Paillé ne croit pas que l'intérêt manque, loin s'en faut. Celle qui est membre du c.a. du Cercle des diplômés du Collège des administrateurs de sociétés, qui organise avec l'Université Laval une formation en gouvernance à l'intention de personnes qui siègent ou veulent siéger à des c.a., indique que " 46 % des inscriptions au Collège sont féminines. Les femmes souhaitent intégrer des conseils d'administration. "

Manon Barbe ironise : " Les c.a. n'intéressent pas les femmes ? À combien d'entre elles a-t-on offert des postes qu'elles ont décliné ? "

Ni assez courageuses ?

L'un des arguments du financier Stephen Jarislowsky pour rejeter la loi 53 est que les femmes deviennent des brebis dociles une fois parmi une bande d'administrateurs masculins. " Elles n'ont pas le courage de s'exprimer, dit-il. Je l'ai vu dans les c.a. où j'ai siégé. Elles n'ouvrent pas la bouche et n'osent pas contredire le président. "

Des propos qui en font bondir plusieurs. " Ce que j'entends, c'est que les femmes sont très rigoureuses, dit Jean Guilbault. Elles n'en laissent pas passer une et prennent leur rôle très au sérieux. "

" Pour avoir siégé à de nombreux c.a., je peux dire que les femmes ont autant de courage que les hommes ", dit Louise Champoux-Paillé.

Cela dit, tout est dans la manière. Les femmes haussent rarement le ton, de peur d'être taxées d'hystériques. Une étude de la Richard Ivey School of Business de l'Université Western Ontario montre qu'il y a un problème de perception, rapporte Anne-Marie Hubert : " Une femme fait une intervention, mais on ne l'écoute pas. La conversation continue, puis un gars répète la même idée, et c'est la révélation ! "

Elles s'expriment différemment, poursuit-elle. Par exemple, les larmes peuvent leur venir aux yeux lorsqu'elles sont frustrées et que leur intervention n'est pas prise en compte. Et ça déstabilise beaucoup les messieurs. " Et ça peut conduire à de l'incompréhension. Mais les présidents de c.a. ont leur rôle à jouer : ils doivent s'assurer que chacun s'exprime. " Avec ses différences.

Stephen Jarislowsky estime aussi que de nombreuses femmes, même bardées de prestigieux diplômes, sont accaparées par l'éducation de leurs enfants et que, par conséquent, elles n'ont pas l'expérience de terrain nécessaire pour bien comprendre comment fonctionne une entreprise ni la compétence pour siéger à un c.a.

Même si la conciliation travail-famille reste un enjeu de taille, Michel Lizotte ne croit pas que l'éducation des enfants soit encore aujourd'hui un obstacle comme c'était le cas il y a 15 ans. " On est moins dans une économie d'heures facturées que de résultats. Les technologies nous permettent de travailler de partout, on n'a plus nécessairement à être physiquement au bureau. Ce sont les résultats qui comptent. " Et dans ce domaine, les femmes sont très efficaces.

Anne-Marie Hubert, qui a trois enfants âgés aujourd'hui de 14 à 18 ans, a entendu plusieurs remarques désobligeantes durant sa carrière. Mais elle sait que sa famille n'a jamais été un frein, bien au contraire. Elle l'a chiffré. " Lorsque je revenais au travail après un accouchement, je m'attendais à en faire moins. Au contraire, ces années-là, j'ai facturé davantage. "

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