Le leader qui savait écouter les Joe de ce monde

Publié le 17/12/2011 à 00:00, mis à jour le 12/01/2012 à 13:25

Le leader qui savait écouter les Joe de ce monde

Publié le 17/12/2011 à 00:00, mis à jour le 12/01/2012 à 13:25

«Même quand j'étais à l'Université de Sherbrooke, on parlait de gestionnaire et d'entrepreneur, mais jamais de leader. Moi, ce qui m'intéressait, c'était précisément d'être un leader», dit Raymond Royer, qui a dirigé Bombardier et Domtar. [Photo : Gilles

Raymond Royer s'est retrouvé aux commandes de deux des plus grandes entreprises québécoises, Bombardier et Domtar. Et il a toujours cherché à s'appuyer sur les trois attributs qu'il associe au leadership : confiance, courage et compassion.

RENÉ VÉZINA - Vous êtes à la fois comptable et avocat, une double formation qu'on ne voit pas souvent. Pourquoi l'avez-vous choisie ?

RAYMOND ROYER - Au départ, j'aimais les affaires et je me suis dit que j'allais faire ce qu'il faut pour y arriver. Je suis allé rencontrer un comptable agréé et je lui ai demandé : «Si c'était à refaire, qu'est-ce que tu ferais ?» Il m'a répondu : «Je ferais mon droit.» J'ai ensuite consulté un notaire, à Sherbrooke, qui réussissait très bien en affaires. Il m'a dit que, quant à lui, il ferait sa comptabilité. C'est ainsi que j'ai décidé de suivre les deux formations, afin d'être un bon gestionnaire.

R.V. - Dans votre jeunesse, étiez-vous prédisposé à diriger ? Est-ce que vous affirmiez déjà votre leadership ?

R.R. - En fait, même quand j'étais à l'Université de Sherbrooke, on parlait de gestionnaire et d'entrepreneur, mais jamais de leader. Moi, ce qui m'intéressait, c'était précisément d'être un leader. Pour le devenir, je lisais des biographies : par exemple, Henry Ford et les grands de ce monde, y compris les politiciens. J'avais lu avec beaucoup d'intérêt Gandhi. J'essayais de voir quels étaient les traits communs de ces personnages. Un jour, je suis tombé sur cette définition : «Un leader a l'assurance nécessaire pour agir par lui-même, le courage pour prendre des décisions difficiles et la compassion pour être attentif aux besoins des autres. Son but premier n'est pas d'être un leader, il en devient un par la qualité de ses actes et par l'intégrité de ses intentions. Autrement dit, les leaders ressemblent un peu à des aigles, leur force ne vient pas de l'association avec les autres, ils se distinguent.» Ça m'a marqué.

R.V. - Dans ce que vous venez de dire, il y a des mots clés : confiance, courage, intégrité... Or, dans le climat actuel, il me semble que ce ne sont pas des mots souvent associés au milieu des affaires.

R.R. - Je dois vous dire que, lorsque j'étais chez Domtar, où j'ai fait des transactions pour une valeur de près de 8 milliards de dollars, elles se sont conclues chaque fois par une poignée de main, et les gens les ont chaque fois respectées. Naturellement, avant de conclure une transaction, il faut être sûr que la personne à qui on va serrer la main est d'accord avec nos principes et partage nos valeurs.

R.V. - Lorsque vous étiez chez Bombardier, comment avez-vous perçu le fait que le transport en commun serait l'un des axes de croissance de l'entreprise ?

R.R. - En 1974, Bombardier venait de gagner le contrat du métro de Montréal et j'avais été engagé comme directeur général. On me fournissait l'usine de La Pocatière, qui fabriquait alors des motoneiges pour exécuter le contrat. Au fur et à mesure qu'on évoluait, avec l'aide de conseillers français, je me rendais compte de l'immense potentiel du transport en commun en Amérique du Nord. Cela m'a conduit, en 1979, à présenter un plan stratégique d'une quinzaine de pages à Bombardier, dans lequel j'affirmais que, si on optait pour le transport en commun, on pouvait faire les choses différemment. Finalement, le conseil a approuvé, et c'est à ce moment qu'on a obtenu le contrat du métro de New York, ce qui nous a ensuite permis d'acheter Canadair, puis Short Brothers en Irlande du Nord.

R.V. - C'était quand même un changement de cap radical. Il fallait être audacieux !

R.R. - Pour ce qui est du contrat de New York, j'ai acheté du Japon la technologie de la fabrication en acier inoxydable. Personne ne l'avait au Canada, et une entreprise seulement aux États-Unis. Pour m'assurer qu'on aurait accès à cette technologie, j'avais conclu une entente avec les Japonais permettant d'envoyer des membres de l'équipe de La Pocatière visiter leurs usines à Kobe pendant les six premiers mois de notre contrat. J'y ai envoyé 60 personnes. Les meilleurs ouvriers, les outilleurs, les ingénieurs et les représentants syndicaux y passaient une semaine. La seule condition que je posais, c'est qu'au retour, ils devaient avoir décelé trois choses que les Japonais faisaient mieux que nous. Nous avons ensuite repris tous les commentaires. Les Japonais nous avaient appris qu'il fallait environ 2 800 heures pour fabriquer une voiture de métro. Nous avons été plus conservateurs et nous avons soumissionné sur la base de 3 100 heures. Mais après avoir implanté toutes les pratiques observées au Japon, on a diminué le total à 2 700 heures : on gagnait 400 heures par voiture ! Je l'ai fait en essayant de me servir non seulement des mains de nos gens, mais surtout de leur tête. Je crois que tout ce qui se mesure peut être amélioré. J'ai probablement été l'un des premiers à introduire le Kaizen au Canada et en Amérique, parce que j'avais sollicité des professeurs japonais pour venir nous le montrer.

R.V. - En 1996, vous quittez Bombardier et vous arrivez chez Domtar. Est-ce que ça été difficile de laisser derrière vous un épisode marquant de votre carrière pour en entreprendre un autre ?

R.R. - Oui, mais il faut aller là où l'on peut réaliser ses aspirations. Quand j'étais responsable du transport chez Bombardier, j'étais réellement en charge. J'étais le CEO. Par la suite, dans la nouvelle structure de Bombardier, je relevais de quelqu'un, alors que je voulais réaliser mes choses moi-même.

R.V. - Est-ce cela qui vous a amené à changer complètement de secteur pour aller dans l'industrie forestière ?

R.R. - Exact. Domtar, c'est arrivé par accident. Je n'avais pas décidé d'y aller. Je ne savais pas ce que je ferais à ce moment-là. L'entreprise m'avait déjà invité quand j'étais chez Bombardier, mais je ne voulais pas y aller à ce moment-là. Quand on m'a réinvité pour une entrevue, je me suis informé sur l'entreprise et je me suis rendu compte que l'industrie des pâtes et papiers et des produits forestiers était le plus grand exportateur canadien. De plus, c'est un procédé de fabrication continue. Ce n'est pas comme dans un contrat de fabrication de voitures de métro ou d'avions. Je me suis demandé si mes théories de gestion allaient fonctionner dans un environnement très différent.

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