Laurent Beaudoin: le leader stratégique

Publié le 05/02/2011 à 00:00, mis à jour le 24/02/2011 à 09:54

Laurent Beaudoin: le leader stratégique

Publié le 05/02/2011 à 00:00, mis à jour le 24/02/2011 à 09:54

R.V. - Compte tenu de votre expérience, quelles qualités faut-il posséder pour devenir un bon leader ?

L.B. - La première qualité que je trouve importante, c'est la franchise. Il faut être direct. On ne peut pas parler d'une certaine façon à un groupe d'employés et d'une autre façon à un deuxième. Les gens vous font confiance si vous êtes réellement ouvert avec eux, si vous leur dites la vérité et si vous mettez les choses clairement sur la table. D'un autre côté, il faut également faire confiance aux gens, leur donner des responsabilités et admettre qu'ils peuvent commettre des erreurs. S'ils en font, il ne faut pas leur tomber sur le dos à la première occasion, mais leur donner la possibilité de se reprendre. Je pense que c'est très important, tout comme ça l'est de ne pas critiquer le patron d'un secteur devant tous ses employés. Et si on a des choses à lui dire, mieux vaut le faire en privé que devant tout le monde.

R.V. - Est-ce qu'il y a des gens qui vous ont impressionné pendant votre carrière, des personnes qui vous ont peut-être servi de mentor, dont vous vous êtes inspiré et dont vous vous êtes dit : " Un jour, je serai comme lui, ou comme elle " ?

L.B. - Je n'ai jamais vraiment eu de mentor. Mais certaines personnes m'ont inspiré. Au début, M. Bombardier m'impressionnait. C'était un innovateur et en même temps un homme très pratique, un homme d'affaires; cette caractéristique est rare chez un inventeur.

Jack Welch, qui a dirigé GE à la même époque que moi chez Bombardier, m'a aussi impressionné par la façon avec laquelle il a réussi à faire grandir les gens à l'intérieur de son organisation. Il a développé beaucoup de leaders qui ont continué à évoluer dans d'autres entreprises par la suite. J'essayais de suivre son exemple, de voir ce que l'on pouvait faire pour mieux préparer notre succession et les personnes qui prendraient la relève.

Du point de vue financier, Paul Desmarais m'a impressionné par son sens des affaires. Il a su prendre de grands risques mais a très bien réussi. Je pense aussi à Bill Gates en informatique, très impressionnant pour sa simplicité mais en même temps pour ce qu'il est parvenu à réaliser. Ici, vous avez Guy Laliberté, avec le Cirque du Soleil. Il s'est montré très innovateur dans tout ce qu'il a accompli, il a pris de grands risques. Dans bien des spectacles qu'il a montés, ce qu'il a fait, personne ne l'avait fait auparavant.

Parmi les nouveaux leaders dans l'industrie, mon fils Pierre m'impressionne par son leadership et par la façon avec laquelle il dirige son équipe. Lui aussi, il a gagné son leadership à l'intérieur de Bombardier. Je pense aussi à des jeunes comme Marc Dutil, de Canam, aujourd'hui président responsable des opérations, ou à Marc Parent, un ancien de Bombardier aujourd'hui chez CAE. Et il y aussi la génération des entrepreneurs des jeux vidéo, des jeunes impressionnants par ce qu'ils réussissent à faire dans cette nouvelle industrie.

R.V. - Vous avez passé le relais à votre fils, Pierre Beaudoin. Pour vous, qui avez été tellement identifié à Bombardier pendant des décennies, est-ce que c'est difficile de se mettre en retrait et de laisser l'autre génération prendre les commandes ?

L.B. - C'est toujours difficile, surtout quand on a passé sa vie dans l'entreprise. J'ai travaillé 45 ans chez Bombardier. C'est pour ça que, quand mon fils a été nommé CEO, j'ai décidé de ne pas rester dans les mêmes bureaux. Cela aurait été trop facile pour les gens de venir me voir et de me demander : " Qu'est-ce que tu en penses ? " puis d'aller trouver mon fils et de lui dire : " Ton père m'a dit que... " Je ne voulais pas le mettre dans cette situation. Aujourd'hui, c'est lui qui dirige Bombardier. Je suis là pour le seconder, mais comme je lui ai dit : " C'est toi qui vas m'appeler, pas moi qui t'appellerai. "

R.V. - Puisque notre entretien tire à sa fin, j'aimerais attirer votre attention sur la société dans laquelle on vit. Nous nous intéressons au leadership, pas seulement en affaires, mais partout. De façon générale, est-ce qu'il y a, à vos yeux, une crise du leadership au Québec ?

L.B. - Pas dans l'entreprise comme telle, mais peut-être dans la fonction publique, chez nos leaders politiques. Je ne veux pas viser un niveau en particulier, mais on dirait que les gens ont plus de difficulté à prendre des décisions. Ils sont toujours portés à consulter, mais sans s'impliquer directement. C'est dommage, parce que réellement, notre société en souffre.

R.V. - Peut-être parce qu'on a peur de déplaire...

L.B. - On dirait qu'on écoute peut-être trop l'opinion publique. Il suffit que quelques personnes s'objectent et, immédiatement, on ne veut plus prendre de décisions qui risquent de déplaire à quelques-uns. Je trouve ça un peu malheureux parce qu'on retarde le développement, l'évolution de notre société.

R.V. - Je vais vous poser la question fétiche qui revient chaque fois : quand vous ne serez plus là, qu'est-ce que vous souhaiteriez que les gens retiennent de vous ? Quelle est l'image que vous aimeriez que l'on garde de vous, comme personne et comme dirigeant ?

L.B. - Bien, je vais laisser à d'autres le soin d'arriver à cette conclusion-là !

R.V. - Mais votre propre souhait ?

L.B. - Pour moi, ce qui est important, je pense, c'est que j'ai été un entrepreneur, un bâtisseur. J'ai aidé à développer Bombardier comme leader dans le transport et dans l'aéronautique et BRP dans les produits récréatifs, tout en créant des emplois. Grâce à tous ces développements, nous avons réussi à faire travailler au Québec de 12 à 15 000 personnes bien rémunérées. C'est là qu'a été ma contribution à la société. J'ai aidé à son évolution et à celle du Canada, à sa renommée internationale dans nos secteurs industriels.

R.V. - On se rappellera de vous comme d'un bâtisseur ?

L.B. - En fait, ça a été toute ma vie.

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