La face cachée de l'intelligence

Publié le 02/09/2010 à 13:27, mis à jour le 02/09/2010 à 13:28

La face cachée de l'intelligence

Publié le 02/09/2010 à 13:27, mis à jour le 02/09/2010 à 13:28

Par Premium

Penseur britannique parmi les plus influents du monde des affaires, Rob Goffee s’intéresse de près à la notion d’intelligence. Il s’entretient sur les défis que posent les «personnes brillantes», c’est-à-dire douées et prometteuses, mais en même temps complexes à gérer...

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Auteure: Karen Christensen | Rotman Magazine

Dans une économie de l’intelligence en pleine émergence, de plus en plus de nouvelles recrues sont des «personnes brillantes». Talentueuses, conscientes de leur propre valeur, impatientes d’évoluer et allergiques à l’ordre établi, elles posent de véritables défis aux gestionnaires. Comment les recruter, les stimuler et les retenir au sein de l’organisation? Rob Goffee nous tend des clés essentielles pour y parvenir. Professeur de comportement organisationnel à la London Business School, Rob Goffee, auteur et conférencier à succès, Rob Goffee figure également au «The Thinkers 50», un palmarès des penseurs les plus influents en management. Avec Gareth Jones, il a écrit Clever: Leading Your Smartest, Most Creative People (Harvard Business Press, 2009) et Why Should Anyone Be Led By You? (Harvard Business Press, 2006).

Votre dernier livre traite des «personnes brillantes» et des défis liés à leur encadrement au travail. Qui sont ces employés?

Les personnes brillantes sont des employés dont le savoir-faire est difficilement reproductible et qui apportent une grande valeur ajoutée à leur organisation. Elles sont souvent plus brillantes que leur gestionnaire, et la plupart d’entre elles n’ont pas vraiment envie d’être dirigées ou encadrées; c’est du moins ce qu’elles affirment. De là à savoir si elles disent vrai, c’est une tout autre affaire.

En fait, celles que nous avons rencontrées lors de la réalisation de notre livre Clever: Leading Your Smartest, Most Creative People avaient besoin d’une organisation pour pouvoir exprimer leur talent. Par exemple, si vous êtes un brillant chercheur en pharmaceutique, vous ne pourrez inventer seul le prochain médicament révolutionnaire; vous aurez pour cela besoin des ressources qu’offre une grande entreprise — comme la possibilité de travailler longtemps sur un même projet au sein d’une équipe chevronnée. Avec Clever, nous avons découvert que plusieurs formes d’intelligence se trouvent dans une entreprise et que celles-ci peuvent être la source de vives tensions avec l’employeur, un peu comme dans une relation de type amour-haine.

Pouvez-vous nous décrire l’essor de ce que vous appelez l’«économie de l’intelligence»?

Cette économie-là est étroitement liée à l’économie du savoir, dont on entend souvent parler dans les médias. En effet, les entreprises emploient de plus en plus de personnes hautement qualifiées vous savez, de celles qui cumulent les diplômes (MBA, doctorats, etc.). Et voilà maintenant que ces entreprises débordent de personnes brillantes. Les exemples sont foison: la BBC regorge de communicateurs et de producteurs de contenu multimédia surdoués; le laboratoire pharmaceutique Roche compte quantité de chercheurs géniaux; le réseau d’agences de publicité WPP emploie de jeunes prodiges. Les talents recherchés par ces entreprises diffèrent mais ont tous un point commun: ceux qui les possèdent sont des personnes impatientes de faire leurs preuves et d’évoluer, et donc difficiles à gérer.

Les personnes brillantes jouent un rôle prépondérant dans les organisations, et le phénomène ira croissant. Une récente étude effectuée par McKinsey indique que, des nouveaux emplois créés aux États-Unis ces 10 dernières années, 7 sur 10 étaient des «emplois intelligents», à savoir comportant des tâches complexes et nécessitant une multitude de compétences. On pensait autrefois que l’avenir nous réservait une multiplication des boulots de type McDonald’s — des emplois à faible niveau de compétences dans le secteur des services —, mais ce n’est pas du tout ce qui est en train de se produire. Nous sommes aujourd’hui dans une «économie de l’intelligence» mais nous manquons d’information à ce sujet, en particulier en matière de management.

Vous considérez que, contrairement aux artistes ou aux musiciens, qui peuvent s’épanouir seuls, les personnes brillantes ont besoin des organisations pour s’épanouir. Pourquoi?

Parce que, en général, les personnes brillantes doivent travailler avec d’autres personnes talentueuses afin de générer de nouveaux produits ou services. Dans de nombreux cas, elles sont même motivées par le fait de travailler avec des gens potentiellement plus intelligents qu’elles. Un exemple: Google. Les étudiants et les chercheurs postdoctoraux les plus brillants du monde y sont recrutés et, pourtant, quand ils entrent en poste, devinez ce qu’ils disent tous: «Dans cette boîte, tout le monde est plus intelligent que moi!»

Voilà qui est motivant — les personnes brillantes s’épanouissent quand elles ont l’impression d’être entourées de gens aussi brillants qu’elles, sinon plus. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles elles ont besoin des organisations. Il y a aussi des raisons plus pragmatiques: les ressources offertes par les sociétés, l’expérience professionnelle qui sera ainsi acquise, peut-être même la renommée qui en découlera, etc. C’est d’ailleurs le cas chez Moët Hennessy Louis Vuitton (LVMH): quand on y recrute, on se met à la recherche de personnes créatives mais qui veulent aussi être célèbres. L’ambition est cruciale. Pensez aux émissions sur les espèces animales sauvages produites par la BBC: elles sont diffusées partout dans le monde et ont acquis une réputation internationale. Les ambitieux qui collaborent à ces émissions sont largement payés en retour.

Vous affirmez que les personnes brillantes se caractérisent aussi par un «immense potentiel de destruction». Que voulez-vous dire?

On l’a vu avec la crise financière qui a entraîné une récession à l’échelle de la planète; tout le monde s’est interrogé: «Comment des banques regorgeant d’employés si talentueux ont-elles pu déclencher un tel désastre?» Une explication consiste à dire que des personnes brillantes ont dévié du droit chemin pendant des années sans se faire prendre, jusqu’à ce que la situation dérape. Ces employés ont clairement un potentiel destructeur, si on n’y prend pas garde.

Le succès des entreprises axées sur l’intelligence se mesure souvent à l’aune du dernier projet réalisé, du dernier client déniché ou de la dernière vedette recrutée. Ces entreprises réussissent rapidement mais peuvent également se trouver en difficulté rapidement. C’est en raison de ce facteur — la vitesse –, qu’il faut cerner la meilleure façon de diriger les employés intelligents.

À ce propos, diriger ces personnes exige des compétences non traditionnelles en matière de leadership. Pourriez-vous nous en indiquer quelques-unes?

Par exemple, expliquez et persuadez plutôt que de dire quoi faire, exploitez votre expertise plutôt que votre position hiérarchique, tolérez l’échec afin de maximiser l’apprentissage. Et ne donnez surtout pas de formations. Certains s’étonneront de ce dernier conseil, mais il faut qu’ils comprennent que pour nombre de personnes brillantes, suivre une formation est pire que la mort. Les personnes brillantes adorent acquérir des connaissances dans le cadre de leur travail, mais pas du tout si cela vient d’un formateur.

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Les caractéristiques des personnes brillantes

1. Leur intelligence est au cœur de leur identité. Leur travail ne représente pas un simple choix de carrière, il est leur passion, leur moteur dans la vie.

2. Leur savoir-faire est difficilement reproductible. Si tel n’était pas le cas, les personnes brillantes ne constitueraient pas une ressource aussi rare. Il fut un temps où on s’assurait d’un avantage compétitif en fabriquant des produits légèrement supérieurs à ceux de la concurrence ou en en produisant à moindres frais; aujourd’hui, ce type d’avantage découle des efforts collectifs des employés de l’entreprise.

3. Elles connaissent leur propre valeur. Les talents des personnes brillantes ressemblent plus au savoir-faire jalousement protégé des guildes d’artisans du Moyen Âge qu’aux connaissances ayant alimenté la révolution industrielle, connaissances qu’on pouvait codifier et communiquer. Cela signifie qu’on ne peut transférer le savoir des personnes brillantes sans transférer les détenteurs de ce savoir. Et ceux-ci savent à quel point cela les rend précieux.

4. Elles posent des questions difficiles. Quand on reconnaît sa propre valeur, on est enclin à la contestation. Les personnes brillantes remettront tout particulièrement en question ce qui est venu avant eux.

5. Elles ne se laissent pas impressionner par la hiérarchie. Les personnes brillantes affirment ne pas vouloir être dirigées; et elles sont absolument certaines de ne pas avoir besoin de gestionnaire. D’ailleurs, elles se soucient plus de l’opinion qu’ont d’elles leurs pairs que de l’impression qu’elles donnent à leur patron.

6. Elles sont impatientes. En tant que gestionnaire, si vous n’êtes pas là quand les personnes brillantes viennent cogner à votre porte, ne vous attendez pas à ce qu’elles vous attendent patiemment. Ces personnes tolèrent mal l’ennui. Très mal.

7. Elles veulent être en relation avec d’autres prodiges. Les personnes brillantes ne peuvent être efficaces si elles se trouvent dans un désert intellectuel. En règle générale, elles ne détiendront qu’une partie d’une solution intelligente – une partie importante, mais qui nécessitera l’apport d’autres personnes talentueuses pour devenir viable.

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Karen Christensen est rédactrice en chef de Rotman Magazine.

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Adapté de:

Rotman

Cette publication de la Rotman School of Management de l’Université de Toronto paraît trois fois par an. Son ambition: «Apprendre aux gestionnaires à façonner le monde à leur façon.»

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