L'idée qui s'exporte

Publié le 24/08/2013 à 15:50

L'idée qui s'exporte

Publié le 24/08/2013 à 15:50

Par Premium

Reproduire simplement une idée pour l’exporter dans le monde telle quelle ne suffit pas toujours. Voici les cinq facteurs clés à considérer pour appliquer une solution locale à l’échelle mondiale.

Auteurs : Dilip Soman, Vandana Kumar, Murray Metcalfe et Joseph Wong, Rotman magazine

Au cours des dernières années, les universitaires et les praticiens ont beaucoup écrit sur la nature de l’innovation. En général, les approches traditionnelles d’innovation sont axées sur l’exploitation de la créativité, un assouplissement des contraintes et une réduction des coûts liés à l’échec. C’est ainsi que l’on a récemment mis l’accent sur ce qu’on appelle l’« innovation frugale ». Ce type d’innovation – populaire en Inde et dans d’autres pays de l’hémisphère sud – se caractérise par des solutions qui sont peu coûteuses, solides, faciles à utiliser, efficaces et qui ciblent des populations importantes.###

L’innovation frugale a été développée par des innovateurs qui recherchaient des solutions sur mesure pour des problèmes locaux, généralement dans des pays en voie de développement. Mais des solutions de ce type peuvent-elles être exportées vers d’autres marchés, répondre à d’autres besoins et s’inscrire dans une autre réalité ? Voici quelques pistes tirées de nos observations.

Le changement d’échelle

Traditionnellement, il existe deux façons d’envisager le changement d’échelle : la reproduction et la personnalisation.

La reproduction. Le changement d’échelle par la reproduction implique une simple transposition de la solution dans une nouvelle région et un nouveau contexte. Ce genre d’approche universelle suppose que l’utilité de la solution est d’une importance capitale – qu’elle transcende les différences contextuelles à l’échelle mondiale. L’intérêt de cette approche, lorsqu’elle fonctionne dans la pratique, tient aux gains d’efficacité et aux économies d’échelle qu’il est possible de réaliser en changeant d’échelle rapidement et largement.

La personnalisation. À l’autre extrémité de la simple reproduction, on trouve la personnalisation pure. Cette approche prévoit le retour au bon vieux tableau noir pour concevoir un système d’innovation sur mesure. Divers éléments de la solution – qu’il s’agisse d’un produit ou d’un processus – sont harmonisés avec des contextes locaux particuliers d’institutions, de cultures, de normes et de pratiques. L’approche de personnalisation a manifestement le désavantage d’être chronophage, inefficace et coûteuse, ce qui lui enlève beaucoup d’intérêt lorsque la demande potentielle et l’étendue géographique sont importantes.

On considère souvent pour acquis qu’une bonne idée se propagera d’elle-même. Cependant, une bonne solution développée localement peut s’avérer inefficace lorsqu’elle est appliquée dans un contexte différent de celui dans lequel elle a été développée. Chaque contexte local suppose l’existence d’acteurs, tels que des fournisseurs ou des concurrents, et ceux-ci doivent être intégrés au nouveau modèle (ou en être écartés, selon le cas). Par conséquent, il faut souvent s’obliger à bâtir une « chaîne de valeur hybride » réunissant de nouvelles organisations et des organisations existantes. Pour réussir un changement d’échelle, on doit tenir compte à la fois du « noyau d’efficacité » de la solution qui doit être reproduite à plus grande échelle et des éléments qui nécessitent une adaptation. Par conséquent, nous croyons que la meilleure approche consiste à combiner des éléments des deux modèles de changements d’échelle.

Pour créer un modèle hybride, on doit examiner cinq facteurs fondamentaux :

1)Le coût

Afin que les bonnes idées soient accessibles au plus grand nombre d’utilisateurs possibles (surtout ceux qui forment la base de la pyramide), le coût d’acquisition doit rester faible. Pour y parvenir, on devra peut-être repenser radicalement les composantes individuelles ou la structure, ou apporter des améliorations considérables aux processus. Dans certains cas, il pourrait être avantageux de tirer profit d’une production à grand volume. Par exemple, l’Aravind Eye Hospital est en mesure d’offrir des chirurgies de la cataracte à des millions de patients à une fraction des coûts habituels en opérant simultanément sa propre usine de fabrication de lentilles intraoculaires, approuvées par la Food and Drug Administration des Etats-Unis. L’hôpital produit de grands volumes de lentilles et réalise des économies grâce au débit élevé de patients. Chaque chirurgien y effectue des centaines de chirurgies de la cataracte par jour.

Autre exemple : celui de Jaipur Foot, une entreprise fondée par un organisme non gouvernemental dans le nord de l’Inde, qui a ramené le prix d’une prothèse de membre inférieur à environ 30 dollars par rapport à 2 500 dollars aux États-Unis. Grâce à l’utilisation de matériel et de main-d’œuvre disponibles localement, même les Indiens les plus pauvres peuvent se permettre l’achat de la prothèse de Jaipur. L’entreprise prend en charge le remplacement de membres d’environ 20 000 personnes par an par rapport à environ 50 par an à ses débuts et a aidé environ 1,2 million d’amputés, ce qui en fait la plus importante organisation mondiale à faciliter la réadaptation des personnes handicapées. Troisième exemple : le réseau des Narayana Hrudayalaya Hospitals, une autre organisation dont le siège social se trouve dans le sud de l’Inde, qui a réussi à ramener le coût de la chirurgie cardiaque à environ un tiers du coût pratiqué dans le reste de l’Inde. L’organisation est passée d’un seul centre en 1991 à 5 000 lits répartis dans 14 institutions, et a pour objectif d’atteindre 30 000 lits dans le monde.

Mais ce ne sont pas toutes les initiatives de ce type qui ont réussi : le réseau des Rural Micro Health Centres qu’une ONG indienne a démarré pour ajouter un nouveau palier à un réseau de soins de santé existant a dû lutter pour gagner du terrain, tout comme le National Institute of Speech and Hearing. Les deux organisations se sont en grande partie heurtées à leur incapacité de réduire le coût de leurs services.

2) La demande active

L’hypothèse de la demande active – selon laquelle les bonnes solutions trouveront automatiquement preneurs ailleurs – est intuitivement séduisante. Qui, après tout, rejetterait des solutions d’amélioration de la productivité au travail qui augmentent les salaires nets des travailleurs ? Et quel parent ne voudrait pas voir son enfant vacciner contre les maladies les plus répandues ou recevoir des suppléments nutritifs qui augmentent son niveau d’énergie et sa capacité d’apprentissage ?

Toutefois, de vastes études en économie comportementale montrent que, très souvent, les gens ne savent pas ce qu’ils veulent et sont incapables d’apprécier à leur juste valeur des solutions qu’ils n’ont jamais utilisées. La demande est donc souvent latente, et doit être activée.

Pour activer la demande, il faut élaborer et offrir une bonne proposition de valeur, qui doit non seulement comprendre des avantages économiques directs, mais aussi des avantages indirects et empiriques. Par exemple, la guérison de la cécité par l’Aravind Eye Hospital à un coût faible, voire nul, représente une excellente proposition de valeur, quel que soit l’angle : un non-voyant entre à l’hôpital Aravind et, à sa sortie le lendemain, il voit. Les coûts sont faibles, et les avantages, immédiats et concluants. Évidemment, une proposition de valeur simple et universelle augmentera beaucoup les probabilités de réussite d’un changement d’échelle.

3) Un modèle de gestion durable.

Les solutions – qu’elles s’appliquent dans un contexte commercial ou sans but lucratif – doivent s’inspirer d’un modèle de gestion durable pour assurer une viabilité à long terme. Onil Bhattacharya et ses collègues [dont Anita McGahan de la chaire Rotman en gestion] ont récemment étudié les innovations dans les processus de marketing, de finance et d’exploitation chez des fournisseurs de soins de santé du secteur privé dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Ils ont pu constater que des innovations multiples avaient été développées en même temps dans les organisations qui réussissent le mieux.

4) Les résultats vérifiés

La quasi-totalité des organisations, entreprises, gouvernements et organisations sociales évaluent leurs réalisations, mais nous établissons une importante distinction entre réalisations et résultats. Les répercussions d’une idée sur les particuliers et sur les collectivités sont les résultats de cette idée. Nous soutenons que les bonnes idées sont plus susceptibles de s’appliquer à plus grande échelle lorsque leurs résultats sont évalués et présentés systématiquement en fonction de leurs répercussions.

Par exemple, la National Rural Health Mission de l’Inde avait pour objectif de réduire la mortalité infantile à 30 par tranche de 1 000 naissances vivantes et la mortalité maternelle à 100 par tranche de 100 000 naissances, et d’abaisser le taux de fertilité à 2,1 d’ici 2012. Malgré de bons résultats, les progrès du programme sont souvent évalués en fonction des réalisations telles que l’infrastructure créée, les dépenses engagées et les militants de la santé formés, qui ne constituent en fait que des moyens d’atteindre ces objectifs.

5) Un leadership efficace.

Le cinquième prérequis est un leadership avec une mission très claire et la souplesse nécessaire pour surmonter les obstacles et pour s’adapter à de nouveaux marchés et besoins. Par exemple, impossible d’imaginer l’Aravind Eye Hospital sans son fondateur le Dr Govindappa Venkataswamy (1918-2006), ou le géant des produits laitiers Amul sans le Dr Varghese Kurien, surnommé le « laitier de l’Inde ». De même, la vision et la volonté inébranlable du Dr Devi Shetty sont des facteurs clés dans la croissance continue de l’hôpital Narayan Hrudayalay.

Étape initiale : cerner le «noyau d’efficacité»

Comme nous l’avons indiqué, il faut combiner la reproduction et la personnalisation pour amener une solution locale à un autre niveau. La grande question est de déterminer quels aspects doivent être reproduits (reproduction) et comment les autres aspects doivent être adaptés pour passer de solutions locales applicables à des problèmes mondiaux (personnalisation). Autrement dit, quelle est la combinaison optimale de reproduction et d’adaptation pour passer de l’échelle locale à l’échelle mondiale ?

Amener des solutions locales à l’échelle mondiale exige de l’efficacité – sinon les coûts dépasseront les avantages et décourageront les efforts. La reproduction pure et simple d’une bonne idée, en tenant peu ou aucunement compte des contextes locaux particuliers, est à tout coup inefficace, car elle ne permet pas d’en exploiter tout le potentiel. Tout comme l’adaptation personnalisée de solutions locales à l’extérieur de leur contexte d’origine tend à réduire les gains d’efficacité susceptibles d’être réalisés grâce aux économies d’échelle, ni la reproduction pure et simple ni la conception personnalisée et l’adaptation ne sont à elles seules des moyens efficaces de porter de bonnes solutions locales à un autre niveau.

Pour ces motifs, il faut commencer par cerner le noyau d’efficacité de l’innovation – le « moteur » qui doit être reproduit pour assurer la réussite de cette innovation dans d’autres contextes. Dans le cas de l’hôpital Aravind, son noyau d’efficacité est son modèle de débit élevé, sans lequel l’innovation serait vouée à l’échec. Dans le secteur des oligoéléments en poudre (par exemple Sprinkles, qui contient la dose quotidienne recommandée de 16 vitamines et minéraux pour une personne), le noyau d’efficacité reproductible pour divers modèles de distribution est le sachet à dose unique facile à utiliser.

Dans une deuxième étape, on doit trouver les composantes d’une structure ou d’un modèle qui peuvent être adaptées avec efficacité à divers contextes locaux. Certaines adaptations sont coûteuses — par exemple, la création d’un modèle de financement et de prestation de soins de santé en milieu rural pour offrir des vaccins à meilleur prix. D’autres, comme l’intégration d’une campagne pour la santé et pour la nutrition dans un réseau de distribution existant, peuvent être efficaces et bon marché.

Rappelons qu’il n’est pas nécessaire d’adapter tous les aspects d’une solution locale ou d’un modèle innovateur à d’autres territoires. La formule consiste simplement à cerner les aspects qui peuvent être adaptés avec efficacité, à les modifier correctement et à garder intact le noyau d’efficacité du modèle. La tâche la plus difficile pour l’innovateur est peut-être de repérer ces aspects adaptables.

Il reste ensuite à assembler une chaîne de valeur hybride qui prend appui sur l’efficacité centrale. N’oubliez toutefois pas que le modèle innovateur pourrait être mis sur pied dans le nouveau milieu avec un accent différent parmi les composantes, des approches différentes et des partenaires de distribution différents.

Trois modèles hybrides de changement d’échelle

Comme nous l’avons mentionné, passer d’une échelle locale à une échelle mondiale est complexe, et par conséquent, cela donne lieu à nombreux modèles uniques qui ne peuvent pas être imités. Nous croyons toutefois qu’il existe trois grands modèles hybrides de changement d’échelle, chacun émanant d’une solution de source locale, mais se déployant de façons différentes.

• Le modèle contigu

Dans ce modèle, la solution – qu’il s’agisse d’une technologie, d’un système organisationnel ou de distribution– s’étend dans l’espace vers l’extérieur à partir du centre initial. L’Aravind Eye Hospital en est l’exemple parfait, parce que ses efforts d’expansion se sont largement concentrés sur la création de nouveaux marchés dans les zones environnantes. Dans la mesure où ses services sont offerts dans des régions nouvelles mais contigües, l’hôpital est en mesure d’absorber les surplus de soins chirurgicaux des autres hôpitaux existants en périphérie. Le modèle contigu est alors fondé sur la croissance de la demande.

• Le modèle de reproduction à distance

Dans ce modèle, des solutions de source locale sont reproduites et adaptées à des territoires éloignés qui ne sont pas contigus au lieu d’origine. C’est le scénario classique, qui consiste à cibler un nouveau marché dans un autre territoire géographique pour y lancer un produit déjà populaire. Dans ce modèle, une équipe sur place explore les conditions locales et adapte le système, de même que les processus connexes, les démarches de marketing et de distribution, selon les besoins de déploiement. Toutefois, une foule de nouveaux obstacles à l’implantation risque de surgir, et la réussite n’est jamais assurée.

Par exemple, à ses débuts, Amul a d’abord été une coopérative établie dans la petite ville de Gujarat dont l’objectif était d’augmenter les revenus des producteurs laitiers en éliminant les intermédiaires dans l’approvisionnement, le traitement et la commercialisation. La coopérative est devenue depuis une organisation panindienne qui regroupe 15 millions de producteurs laitiers.

• Le modèle de transfert et d’application des connaissances

Le processus de changement d’échelle implique souvent le transfert et l’application de connaissances. La Grameen Bank est un bon exemple de ce modèle, parce que l’implantation de la microfinance – du tiers monde à des programmes de développement local dans des régions nord-américaines qui connaissent un ralentissement économique – a été réalisée par le transfert de connaissances sur le microcrédit, par opposition à la reproduction de la Grameen Bank elle-même dans divers milieux.

Aravind a également participé à ce mode de changement d’échelle. Ses experts-conseils ont transmis des connaissances approfondies sur ses activités à des réseaux hospitaliers semblables en Chine et en Afrique. Cette approche fonctionne peut-être mieux dans le cas des organismes sans but lucratif, où le partage des formules de réussite à distance est perçu comme un volet positif. Il ne peut en être de même des organisations à but lucratif, car elles doivent s’assurer de tirer des revenus de la dissémination de leurs idées innovatrices.

Chose certaine, lorsqu’on examine les preuves à ce jour, les meilleures solutions mondiales sont souvent élaborées étape par étape à l’échelle locale. Parmi les solutions qui émergent, les solutions mondiales deviendront évidentes pour ceux qui font le dur travail de repérage du noyau d’efficacité. La liste des enjeux qui exigent notre attention est longue et ne cesse de s’allonger. Toutefois, comme Bill Gates l’a dit : « C’est un mouvement mondial, et nous avons tous la capacité et la responsabilité de l’accélérer ».

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