L'enthousiasme, c’est contagieux !

Publié le 08/04/2011 à 16:26, mis à jour le 11/04/2011 à 11:29

L'enthousiasme, c’est contagieux !

Publié le 08/04/2011 à 16:26, mis à jour le 11/04/2011 à 11:29

Par Premium

Une entrevue menée par Art Kleiner et Vikas Sehgal, strategy + business

Pour Vineet Nayar, PDG de HCL Technologies, la croissance passe par l’engagement du personnel. Fort de cette conviction, il a révolutionné sa méthode de gestion pour susciter l’enthousiasme autour de lui.

De prime abord, il peut paraître illogique de faire passer les employés avant tout, et non les clients — surtout quand l’idée vient du PDG d’une multinationale. Mais, aux yeux de Vineet Nayar, les aptitudes, l’ingéniosité et l’enthousiasme des quelque 65 000 employés de HCL Technologies sont ce qui génère la valeur réelle de l’entreprise et de ses produits et services. Car la satisfaction de la clientèle — et donc la croissance des revenus — dépend de l’engagement des employés, et non l’inverse.

Aujourd’hui, le géant technologique HCL, dont le siège social est à New Delhi, en Inde, affiche des revenus annuels de 2,6 milliards de dollars américains et a des bureaux dans 26 pays. Son PDG est convaincu qu’il doit ce succès à sa méthode de gestion.

Vous dites que c’est votre cheminement personnel qui vous a permis d’élaborer votre méthode de gestion. De quelle façon ?

Je vais vous raconter deux anecdotes à ce sujet. Quand j’étais petit, j’habitais le nord de l’Inde et, l’été, je travaillais dans une ferme avicole; je ramassais les œufs dans les poulaillers et je les apportais à l’entrepôt. Au début, j’ai essayé d’améliorer ma façon de faire mon travail; au bout de quelques semaines, j’ai compris que la seule chose que je pouvais faire mieux, c’était d’arrêter de déplacer inutilement les œufs d’un endroit à un autre. Mais, même si je me suis rendu compte que je ne pouvais pas vraiment innover et même si je n’étais qu’un enfant, ça m’a permis de découvrir qu’essayer d’améliorer les choses me passionnait.

Les missionnaires qui dirigeaient mon école primaire m’ont aussi beaucoup influencé; ils nous faisaient travailler dans la communauté. Un jour que nous donnions des vêtements à des enfants très pauvres, un petit garçon a refusé le manteau et le survêtement que je lui offrais alors qu’il faisait très froid; c’est plutôt mon sac d’école qu’il regardait. J’ai cru que c’était mon lunch qui l’intéressait, alors j’ai ouvert mon sac pour le lui montrer; il a vu un livre, et il m’a demandé à quoi ça servait. Je lui ai répondu, et il m’a dit qu’il aimerait que je lui lise quelque chose. J’ai tiré une bonne leçon de cette rencontre: il ne faut jamais présumer de ce que les autres désirent, et il est très important de leur demander ce qu’ils pensent.###

Comment ces deux leçons de vie ont-elles façonné le leader que vous êtes aujourd’hui?

Après avoir étudié le génie à l’université, je me suis intéressé à la gestion, parce que je voulais changer le monde des affaires. En 1985, j’ai obtenu un MBA au Xavier Labour Relations Institute, à Jamshedpur. Comme c’est une des meilleures écoles de gestion en Inde, quand j’ai commencé à travailler, j’ai eu l’embarras du choix: j’aurais pu entrer dans n’importe quelle multinationale. J’ai opté pour HCL qui, à l’époque, était une petite société indienne de gros et de détail qui vendait des ordinateurs; mais les recruteurs affirmaient que, même si HCL n’était que la quatrième entreprise de TI du pays, elle visait le premier rang. Ça m’a séduit, et j’ai eu envie de participer à cette aventure.

Quand l’entreprise a-t-elle atteint cet objectif, sur le plan des revenus?

À la fin des années 1980. Quand le système d’exploitation Unix est apparu en Inde, en 1987, nous y avons vu l’occasion d’aider les banques indiennes à s’affranchir des ordinateurs centraux. Uniquement grâce à ce nouveau produit, HCL s’est hissée au premier rang des entreprises de TI en Inde — et elle y est restée depuis.

Nous avons alors décidé de poursuivre sur cette lancée, avec d’autres produits. Par exemple, nous avons été parmi les premiers à mettre au point des multiprocesseurs sous architecture Unix, qui ont d’un seul coup rendu les ordinateurs beaucoup plus puissants. Nous y croyions tellement que nous avons construit une usine à Sunnyvale, en Californie, pour fabriquer une version américaine du produit. Mais ça a été un fiasco: les Américains ne voulaient pas de ce qui venait de l’Inde, même si c’était meilleur que ce qu’ils avaient.

Nous avons alors changé notre fusil d’épaule. Nous sommes allés dans Silicon Valley voir les dirigeants de sociétés établies qui avaient beaucoup de difficultés à concevoir leurs propres produits, et nous leur avons dit : « Nous pouvons vous aider. » Du jour au lendemain, nous sommes devenus des concepteurs de produits pour les entreprises plutôt que pour nous-mêmes. Et nous avons offert ce service dans le monde entier.

Autrement dit, vous avez découvert que votre expertise en innovation avait plus de valeur que votre capacité de produire vous-mêmes ces innovations.

C’était le point de départ. Nous avons aussi compris que ce qui est à la base du développement technologique, c’est davantage le travail de conception que l’investissement financier, alors qu’en revanche, en marketing, c’est l’argent qui est le nerf de la guerre, appuyé par le travail intellectuel. Nous sommes une entreprise axée sur l’ingénierie; notre principale compétence est tout ce qui touche la technologie, et nous n’avons jamais été très bons en marketing — aujourd’hui encore, ce n’est pas notre point fort. Le rôle de fabricant, ce n’était pas le meilleur que nous pouvions jouer sur le marché.

Nous avons donc adopté un modèle d’affaires différent, impliquant le partage des revenus : mettre au point des produits en collaboration avec nos clients, puis partager les revenus avec eux. Graduellement, c’est surtout ce genre d’ententes que nous avons conclues, plutôt que des contrats conventionnels basés sur les coûts et liés aux comportements du marché. Concrètement, ça veut dire que nos clients profitent de notre expertise technologique pour prendre de l’expansion, et que nous exploitons leurs talents en marketing et en développement de marque pour stimuler notre propre croissance. Tout le monde y gagne.

Ce modèle d’affaires a été très important pour HCL durant la récession de 2008-2009. Quand nos clients ont dû faire des compressions, le partage des revenus nous a permis de continuer à travailler avec eux; et, aujourd’hui, alors que la tempête se calme, nous avons conservé notre clientèle.

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée d’aller jusqu’à placer vos employés en tête de liste de vos priorités, avant vos clients?

Jusqu’en 2000, HCL avait obtenu d’excellents résultats, mais, cette année-là, la croissance s’est mise à chuter, parce que nous n’avions pas fait certains investissements stratégiques. En 2005, le conseil d’administration a été clair: il fallait effectuer des changements radicaux. On m’a alors proposé le poste de PDG, et j’ai accepté, mais à une condition : avoir le feu vert pour innover sur le plan du management.

À l’époque, je dirigeais une division chargée de la gestion de l’infrastructure à distance, et j’avais constaté que les employés et les gestionnaires avaient la fâcheuse tendance à se reposer sur leurs lauriers; il était temps que quelqu’un leur rappelle que l’avenir était plus important que le passé.

Puis, quand un client a annulé un important contrat, peu après ma nomination, j’ai compris qu’il fallait aller plus loin encore. Je l’ai rencontré, avec mon équipe. Il m’a dit : « M. Nayar, vos employés n’ont rien fait de mal. Mais le manque de soutien qu’ils reçoivent de l’ensemble de l’organisation mine leur efficacité. » J’ai finalement obtenu que nous poursuivions notre collaboration, et, deux mois plus tard, nous nous sommes revus, et il nous a félicités. Qu’avions-nous fait de différent ? Nous avions tout simplement donné à notre personnel ce dont il avait besoin pour réussir.

J’en ai conclu non pas que les dirigeants n’ont aucun rôle à jouer dans le succès d’une entreprise, mais que les interactions entre les employés et les clients sont nettement plus déterminantes. D’où l’idée qu’il faut accorder beaucoup plus d’attention aux employés, et même leur donner la priorité.

J’ai fait passer ce message grâce à un slogan, « Les employés d’abord, les clients ensuite », que même les membres de l’équipe de direction ont beaucoup apprécié, parce qu’ils voyaient bien que chacun souffrait du manque de responsabilisation et d’autonomie au sein de l’organisation.

Mais tout le monde n’est pas à l’aise avec le changement…

Détrompez-vous. Il y a beaucoup plus d’employés et de gestionnaires prêts à changer qu’on ne le croit. Par exemple, pendant la dernière récession, au cours de laquelle plusieurs sociétés de TI ont fait des mises à pied massives, nous avons dit à nos employés : « Nous avons un problème, et nous allons le résoudre ensemble. » Résultat : nous avons reçu des milliers de suggestions, et nous en avons mis plusieurs en œuvre. Bien sûr, cette méthode exige beaucoup de temps, parce qu’il faut écouter les gens et faire des compromis. Mais l’avantage, c’est que, une fois les mesures adoptées, leur application se fait en douceur et de façon très efficace. Durant la récession, nos revenus ont augmenté de 23 % et notre part du marché mondial a atteint 21 %, même si nous n’avons pas lancé de grande innovation ni signé d’importants nouveaux contrats. Et nous n’avons supprimé que 3% des postes. Tout ça n’est pas arrivé par hasard !

Comment avez-vous fait pour que les employés se sentent à l’aise de s’exprimer devant les cadres supérieurs et même devant vous ?

Nous avons utilisé la technique de l’évaluation à 360° comme outil de développement du personnel — mais, là encore, pas de manière traditionnelle. En fait, nous avons mis en place un processus d’évaluation à 360° grâce auquel tout le monde peut évaluer tout le monde, y compris moi. Nous affichons les résultats à l’interne, pour que tous les employés puissent les voir — qu’une évaluation soit bonne ou mauvaise, on en apprend toujours quelque chose. C’est un processus ouvert, transparent, et son impact global est très positif. Ça pousse les gens à modifier leur comportement: ils travaillent plus et mieux.

Nous avons aussi cherché à surprendre les gens. Par exemple, un jour, j’ai dansé devant mes employés. C’était une façon de faire disparaître cette sorte de halo qui entoure les PDG, de montrer à tout le monde que je suis parlable !

J’ai également créé un blogue, dans lequel j’invite les employés à me poser ouvertement leurs questions. Il n’y a qu’une règle : les gens doivent se nommer. Au début, l’expérience m’a démoralisé, parce que je recevais surtout des remarques négatives, qui nuisaient à l’image de l’entreprise — des trucs comme : « M. Nayar, je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites » ou : « Vous n’avez pas de vision d’avenir, vous n’avez même pas défini ce que seraient la taille et la mission de l’entreprise en 2020. »

Je suis alors allé rencontrer des employés et je leur ai dit : « Je suis un peu découragé : personne ne parle de l’entreprise de façon positive. Est-ce que j’ai libéré un mauvais génie qui démotive tout le monde ? » Les réponses ont été très intéressantes : c’est bon de laver son linge sale en famille, m’ont dit plusieurs, parce que ça permet de bâtir la confiance ; grâce à ce blogue, nous avons remplacé les rumeurs par une discussion franche et salutaire.

Comment les employés ont-ils réagi ?

De trois manières, qui correspondent à trois groupes que je définis ainsi : d’abord les novateurs et les fonceurs ; ensuite les esprits chagrins, qui prédisent sans cesse que telle ou telle mesure ne fonctionnera pas, ce qui démotive tout le monde ; enfin les indécis, qui préfèrent ne pas courir le risque de prendre position.

Or, dans tout processus de changement, il faut absolument commencer par convaincre les novateurs de nous suivre, et ignorer les esprits chagrins. Ensuite, on doit convertir le plus d’indécis possible pour qu’ils deviennent des novateurs. Bien sûr, c’est plus facile à dire qu’à faire ! Pour y arriver, il faut miser sur la transparence, par exemple en présentant les résultats financiers de façon que les employés découvrent par eux-mêmes comment ils contribuent à la croissance de l’entreprise.

Chez nous, les employés se sont mis à poser une foule de questions à leurs supérieurs immédiats, pour s’assurer qu’ils comprenaient bien les résultats, et ces supérieurs ont proposé plusieurs interprétations. Alors, nous avons décidé de présenter celle de la haute direction. Chacun peut ainsi tirer les conclusions qui s’appliquent à son travail et à l’apport réel qu’il représente pour le groupe.

Et les clients, acceptent-ils facilement de passer après les employés ?

Attention ! Nous n’oublions pas nos clients, loin de là ! Par exemple, nous organisons des rencontres annuelles avec eux. Pendant une journée et demie, ils nous parlent de leurs activités, de ce qui les intéresse, de ce que nous pourrions faire ensemble, etc. En 2009, une de ces rencontres a permis à quatre PDG de discuter devant nos cadres supérieurs du slogan « Les employés d’abord, les clients ensuite » pour évaluer si cette politique est bonne ou non pour nos clients. C’était une espèce de laboratoire d’apprentissage collaboratif, et tout le monde a aimé l’expérience.

Nous avons parlé des employés et des clients. Et les actionnaires ?

Notre entreprise étant cotée en Bourse, les actionnaires jouent un rôle essentiel dans notre croissance. Cela dit, nous sommes très prudents à leur égard et, c’est vrai, nous ne faisons pas beaucoup d’efforts pour chercher à les séduire. D’autant plus que je considère que mes décisions doivent viser le long terme, ce qui ne plaît guère aux investisseurs…

Mais nous avons adopté quelques mesures qui les concernent tout particulièrement. Par exemple, nous mettons en ligne des documents qui font état de façon détaillée de nos résultats trimestriels — une quarantaine de pages —, ce qui est rare dans notre secteur d’activité. Et, une fois par année, nous leur présentons notre vision de l’avenir pour les cinq prochaines années, ainsi que la stratégie que nous voulons utiliser pour dépasser la concurrence. Nous désirons qu’ils comprennent notre philosophie — et ça paie, puisque la valeur de notre titre ne cesse de croître en Bourse.

Vos concurrents ont donc accès à beaucoup d’informations. Ça ne vous inquiète pas ?

Quelqu’un m’a déjà dit, à propos de notre politique « Les employés d’abord, les clients ensuite » : « Vineet, tu es fou, tes concurrents vont copier la formule, et vous ne vous distinguerez plus des autres. » Je lui ai rétorqué : « Si nos concurrents osent afficher les résultats des évaluations à 360°, grand bien leur fasse. »

Justement, croyez-vous que la politique « Les employés d’abord, les clients ensuite » fonctionnerait dans la plupart des entreprises ?

Je n’en suis pas sûr ; ce n’est peut-être pas pertinent pour tout le monde. Tout ce que je sais, c’est que les patrons devraient réfléchir davantage à la relation qui existe entre la direction et les employés dans leur entreprise.

Art Kleiner est le rédacteur en chef de strategy+business et l’auteur de The Age of Heretics (Jossey-Bass, 2008, deuxième édition).

Vikas Sehgal est partenaire de Booz&Company au bureau de Chicago.

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