L'agora réhabilitée

Publié le 18/11/2011 à 00:00, mis à jour le 18/11/2011 à 10:51

L'agora réhabilitée

Publié le 18/11/2011 à 00:00, mis à jour le 18/11/2011 à 10:51

Par Premium

Connaissez-vous les « agoras d’idées » ? Elles misent sur l’intelligence collective, et non sur le « génie » d’un employé talentueux… Une des toutes dernières tendances en matière d’innovation.

Auteurs : Haydn Shaughnessy et Freddie Gjersten, Innovation Management

En matière d’innovation, un nouveau phénomène prend de l’ampleur : l’agora d’idées. À l’image de la place publique où débattaient les citoyens de la Grèce antique, il s’agit d’une communauté de personnes qui échangent des idées par l’intermédiaire d’Internet, et ce, à l’initiative d’entreprises qui veulent tirer profit de ce bouillonnement créatif. Celles-ci sont nées d’un texte « canonique »: Wikinomics – How Mass Collaboration Changes Everything, de Don Tapscott et Anthony D. Williams, paru en décembre 2006. Cet ouvrage soulignait à quel point il peut être profitable pour les entreprises de tirer profit de l’intelligence collective, c’est-à-dire de la collaboration bénévole de nombreuses personnes à un même projet, comme cela s’est fait pour l’encyclopédie en ligne Wikipedia.

Les agoras d’idées actuelles peuvent être classées en trois catégories : celles dont le but est commercial, celles qui ont un but concurrentiel et celles qui sont destinées à la clientèle.

Les agoras à but commercial. Les plateformes Web comme Innocentive.com, Yet2.com et Ninesigma.com jouent le rôle d’intermédiaires entre des entreprises, leurs clientes, et des personnes imaginatives de tous les horizons, les contributeurs. Ces sites invitent les contributeurs à trouver des solutions ingénieuses à des difficultés auxquelles se butent les entreprises ; ils organisent pour cela des concours et attribuent des récompenses en argent aux meilleures propositions, au nom des entreprises clientes. Innocentive compte maintenant plus de 145 000 contributeurs inscrits.###

Ce type d’agoras semble aujourd’hui le mieux adapté à la recherche approfondie de solutions. Cependant, rien ne garantit que les meilleurs contributeurs accepteront de se pencher sur un problème donné. De plus, les récompenses offertes équivalent rarement à la valeur des solutions, si bien qu’elles ne motivent généralement qu’une certaine catégorie de personnes, comme les scientifiques à la retraite, et non des personnalités entrepreneuriales. Enfin, il n’y a pas de système de reconnaissance formelle des meilleurs contributeurs, ces derniers ne peuvent donc pas en tirer profit pour leur notoriété et leur réputation.

Les agoras à but concurrentiel. Elles se concentrent généralement sur un seul problème ou une seule idée. Elles offrent aux contributeurs la possibilité de toucher une forte somme d’argent en échange d’une solution ou d’une innovation. L’entreprise de location de vidéos Netflix, par exemple, offre un million de dollars à quiconque améliorera de 10 % l’efficacité de son moteur de recommandation de vidéos.

Des entreprises utilisent cette approche depuis plusieurs années, et ce, sans avoir développé au préalable de plateforme technologique particulière. L’attribution des grands projets architecturaux, par exemple, se fait depuis longtemps par concours. On pense aussi au constructeur automobile français Peugeot, qui offre chaque année, depuis 2000, un prix de design, et qui reçoit systématiquement des milliers de soumissions.

Cette formule offre plusieurs avantages. L’attribution d’un prix donne de la visibilité aux gagnants et aux finalistes ; les idées retenues voient le jour, à tout le moins dans le cas de Peugeot, ce qui procure une grande satisfaction à l’heureux élu ; le coût assumé par l’entreprise est faible ; et tout cela est souvent apprécié par le grand public. Les inconvénients : une entreprise ne peut pas organiser trop souvent de tels concours sans nuire à sa crédibilité ; la place peut être déjà occupée (il serait difficile aujourd’hui pour un autre constructeur automobile d’instituer un concours annuel de design) ; enfin, ce processus a généralement peu d’impact à l’interne.

Les agoras destinées à la clientèle. Un troisième type d’agoras retient l’attention depuis deux ans : celui où des entreprises sollicitent leur clientèle afin d’améliorer un aspect de leur prestation (efficacité du site Web, par exemple). Deux exemples représentatifs : Mystarbucksidea.com, de Starbucks, et Ideastorm, de Dell.

Ces agoras offrent des avantages évidents. Elles ont entraîné, tant pour Dell que pour Starbucks, une excellente couverture de presse, en particulier dans les médias sociaux, où ces plateformes sociales sont très bien vues. En plus de permettre de recueillir de nouvelles idées de produits et services, elles projettent l’image d’une entreprise à l’écoute du grand public. Dell semble d’ailleurs avoir réussi à redorer son blason pendant la durée de l’exercice. Quant aux inconvénients, ils tiennent surtout au fait que les clients dont les idées ne sont pas retenues peuvent en être frustrés, que la plupart des idées exprimées sont banales et qu’un groupe de clients se tient à l’affût des maladresses de l’entreprise.

Chacune de ces trois approches comporte ses avantages et des limites qui lui sont propres, mais il reste intéressant, en tout cas, d’apprendre à communiquer avec des personnes prêtes à faire bénéficier gratuitement l’entreprise de leurs idées et de leur créativité.

Une toute nouvelle sorte d’agora

Pour notre part, nous avons mené à bien la création d’une grande communauté d’innovateurs pour le compte de Symbian, une firme spécialisée dans la téléphonie mobile. L’expérience nous a permis d’assister à l’émergence d’un millier d’idées en l’espace de six mois, dont 29 ont été exploitées.

Cette expérience a été riche d’enseignements, particulièrement en ce qui a trait à l’agora d’idées que nous avons bâtie à cette occasion… Elle diffère des trois agoras décrites précédemment, parce qu’elle est destinée à un écosystème, c’est-à-dire que seules les entreprises qui évoluent dans un même domaine y sont admissibles.

Cette agora présente les caractéristiques suivantes :

Elle cherche à créer un environnement vivant. Bien plus qu’une simple plateforme sollicitant de bonnes idées, l’agora destinée à un éco¬système est un espace où les participants nouent des liens en échangeant des idées. Autrement dit, les membres de la commu¬ nauté ne produisent pas des idées pour une entreprise, mais pour leur écosystème.

Elle cultive la « codépendance ». L’entreprise s’en remet à cette forme de communauté pour orienter ses innovations. Il ne s’agit pas d’une simple boîte à suggestions, puisque prendre bonne note des idées exprimées ne suffit pas. La crédibilité de l’organisation repose sur leur intégration.

Elle sert de référence. Cette agora permet d’élargir la réflexion, de sorte qu’au lieu de se demander comment améliorer un produit, on cherche à faire progresser l’ensemble de l’industrie. Ce degré d’abstraction donne une portée plus universelle à la réflexion et permet de rassembler des personnes animées par une même vision.

La participation y est multidimensionnelle. Un individu ou une entreprise peut y participer à titre de fournisseur, d’employé, de partenaire, de contributeur, ou encore de consommateur.

Ainsi, l’agora destinée à un écosystème peut facilement incorporer les trois types d’agoras précédents. Et elle offre quelque chose de plus : la dimension communautaire et collaborative. Elle se distingue des précédentes en se mettant au service de plus d’une entreprise. Elle est ouverte, bien qu’elle soit, de par sa nature, réservée aux personnes intéressées par le sujet.

Une agora destinée à un écosystème peut constituer un bon point de rencontre pour les entreprises qui évoluent dans un même domaine. Ces dernières auront ainsi accès à des discussions qui risqueraient peu d’avoir lieu autour d’une table ou lors d’un congrès. Ce type d’agora offre un espace d’échange où aucune échéance n’est fixée, où chacun est libre d’intervenir à sa guise, où celui qui lance un débat n’en dirige pas le déroulement.

Bien entendu, les entreprises qui œuvrent dans le même secteur n’ont pas le réflexe premier de collaborer avec leurs concurrents directs, ou même leurs partenaires d’affaires, mais plutôt, de garder leurs distances. Elles ont souvent peur d’en dire trop sur elles-mêmes, et de trahir des secrets sans le vouloir. Pourtant, toute entreprise a des intérêts à la fois concurrents et convergents avec les autres. Et est à même de les reconnaître.

Les entreprises connaissent de façon intuitive les points sur lesquels elles ont tout intérêt à collaborer, et ceux sur lesquels la concurrence impose de garder le secret.

De multiples défis à relever

Un des défis les plus importants qui attend toute agora d’idées est le recrutement et la fidélisation d’une communauté suffisamment importante pour maintenir sa vitalité. De plus, seul un petit nombre de contributeurs enrichissent réellement le débat, et une infime fraction de ces derniers soumettent une idée porteuse. La difficulté consiste dès lors à la reconnaître… Par ailleurs, toutes les idées n’ont pas la même valeur pour chacune des entreprises d’un même écosystème.

Autrefois, les solutions aux problèmes venaient des équipes qui possédaient une connaissance approfondie du sujet débattu, et qui présumaient deviner ce que voulait le marché. C’était loin d’être une bonne recette. Idéalement, c’est maintenant à la communauté de l’agora de surmonter ces difficultés. Toutefois, parvenir à de bonnes décisions communautaires suppose que les cerveaux les plus brillants prennent part à la discussion.

De surcroît, les conflits sont inévitables : on cherche à innover parce qu’il y a insatisfaction, et cette dernière est diversement ressentie par les uns et les autres.

L’autre défi des organisations est l’intégration des changements induits par ces agoras. Comme tout écosystème est naturellement évolutif, chacun de ses membres doit s’y adapter en permanence. Le statu quo n’y a pas sa place, du moins à long terme. L’important est donc la recherche de l’équilibre constant, dans un milieu sans cesse changeant. Telle est la leçon la plus précieuse mise en lumière par l’étude des agoras destinées à un écosystème. Même si les entreprises savent qu’elles doivent innover, rares sont celles qui perçoivent la nécessité d’une évolution structurelle profonde de leur organisation. Cette évolution suppose qu’elles deviennent ce qu’on peut appeler des organisations « poreuses », c’est-à-dire qui s’imprègnent de ce qui vient de l’extérieur. Les agoras d’idées et autres plateformes de communication ouvertes, telles que les blogues, sont devenues une composante importante de l’entreprise nouvelle, de sa structure et de sa façon de penser et de communiquer. L’agora destinée à un écosystème peut être une bonne manière d’accroître sa « porosité ». C’est qu’elle permet de générer de nouvelles idées, qui certes peuvent être triviales, mais aussi parfois intéressantes, et plus rarement révolutionnaires, ce qui est une bonne chose pour les entreprises qui ont besoin non pas de percées foudroyantes, mais plutôt de voies prometteuses à explorer.

Les 12 principes fondamentaux des agoras d’idées

1. Faire confiance à la bonne volonté

Les agoras le montrent bien : les gens aiment mettre à profit leur créativité et parler de leurs idées.

2. Choisir la bonne plateforme

Il existe des plateformes d’agoras d’idées préfabriquées, comme Spigit.com, Brightidea et Ideascale. Elles sont parfois trop complexes, parfois trop simples. À vous de voir. À noter qu’il peut parfois être plus économique de bâtir sa propre plateforme…

3. Prévoir une évolution constante

Les agoras peuvent jouer un rôle important, non seulement pour l’émergence d’idées, mais aussi pour le maillage de différents éléments de votre écosystème. Cela rend complexe tout projet d’agora d’idées, en particulier si celle-ci doit répondre à différents besoins de développement. Les participants ont besoin, quant à eux, d’un espace de débat facile à utiliser en plus d’un retour sur leur investissement en temps. C’est pourquoi il faut considérer dès le départ que le projet se déclinera en différentes versions successives, au fil du temps et au gré des besoins. Il faut aussi un système facile d’utilisation garantissant aux utilisateurs qu’ils seront entendus.

4. Valider les idées

Vers qui et comment diriger les idées ? Comment valider et évaluer celles-ci (degré de complexité, pertinence, débouchés possibles, etc.) ? La validation communautaire des idées est formidable pour faire ressortir des besoins latents du marché, mais la popularité d’une idée ne veut pas dire qu’elle est la meilleure. Il convient donc d’amener des esprits rigoureux et critiques à se pencher sur cette partie du processus.

5. Semer les toutes premières idées

Au début, l’agora est vide. Il est important d’y mettre rapidement du contenu : par exemple, des suggestions sur la manière d’utiliser l’agora d’idées, ou sur l’avenir à donner à l’un des produits ou services de l’entreprise. Sinon, le lancement aura le retentissement d’un pétard mouillé.

6. Afficher rapidement des résultats

La plupart des entreprises n’ont pas de processus structurés et normalisés pour intégrer l’innovation dans leurs habitudes de travail ou dans le cycle de vie des produits et services. Ou bien, le personnel peut ne pas vouloir ou pouvoir considérer des idées qui ne sont pas facilement applicables ou qui n’entrent pas dans le budget annuel (ou qui ne leur permettrons pas de toucher un boni). Pour remédier à cela, il faut montrer à tous que votre agora donne des résultats, et que ces derniers bénéficient à tout le monde.

7. Désigner des champions

Même si la haute direction approuve une idée, il y a loin de l’approbation à la réalisation. Cela demande de l’énergie et de l’engagement. Le champion qui fait preuve de tant de vaillance devrait être reconnu – et récompensé comme il se doit.

8. Faire la promotion de l’agora

L’agora d’idées est une communauté et un outil de communication. Du personnel – idéalement à temps plein - doit y être affecté. Il peut aussi être très efficace d’organiser un rassemblement annuel de vos meilleurs contributeurs avec les employés de l’entreprise, histoire de saluer l’engagement et la contribution de tous.

9. Encourager l’essaimage

Les agoras d’idées peuvent être une terre fertile pour l’essaimage. Parmi les idées retenues, certaines s’avéreront plus risquées que d’autres pour l’entreprise ou plus intéressantes à intégrer dans une nouvelle organisation. Ces idées, bien qu’inattendues, méritent d’être considérées.

10. Apprivoiser les conflits

Partez du principe que le conflit est sain. Il est vain de se doter d’une stratégie directrice de la créativité si on le craint. Une agora d’idées fournit justement un cadre idéal pour l’expression des idées : elle réunit des personnes qui, au-delà de leurs différences, visent la création d’un monde meilleur.

11. Récompenser la complexité et la profondeur

Les idées intéressantes méritent d’être récompensées, mais il vaut mieux moduler les récompenses en fonction de la qualité et de la complexité des idées émises.

12. Soigner la transparence

Si votre projet contient volontairement des zones ambiguës, ayez conscience que vous vous exposez à la critique. L’ambiguïté entraînera de la confusion, mais cette dernière pourrait vous servir. Il faut donc vous attendre aux critiques et les accepter, plutôt que de tenter de les faire disparaître. Vos gestionnaires doivent être capables d’encaisser les critiques parfois cinglantes de l’écosystème.

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