«Il faut offrir à chacun la chance de réveiller ses talents latents», affirme les professeur Henry Mintzberg

Offert par Les Affaires


Édition du 06 Août 2015

«Il faut offrir à chacun la chance de réveiller ses talents latents», affirme les professeur Henry Mintzberg

Offert par Les Affaires


Édition du 06 Août 2015

Par Olivier Schmouker

Henry Mintzberg tiendra une conférence de réflexion sur l’avenir du management, les 10 et 11 septembre prochains, à Montréal, dans le cadre de la CoachingOurselves Reflections Conference 2015.

Management – Lorsqu’on leur demande s’ils se sentent engagés dans leur travail, 37 % des Canadiens répondent : « Mon travail ne sert qu’à joindre les deux bouts. Je m’épanouis, en fait, dans d’autres aspects de ma vie ». C’est ce qui ressort d’un sondage mené récemment par Léger pour le compte du site Web d’emploi Monster.ca. Autrement dit, si votre équipe est composée de 10 personnes, vous savez désormais que 4 d’entre elles s’ennuient à mourir, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, à vos côtés. En cachant bien leur jeu, bien entendu, puisque leur priorité est de conserver leur emploi, et surtout le salaire qui va avec.

Mais quel gaspillage de talents, tout de même ! Dire que ces personnes-là ne demandent qu’une chose – s’investir dans leur travail tout autant que dans leurs hobbies – et feraient sûrement des étincelles si jamais on leur en donnait vraiment l’occasion.

Y a-t-il moyen de relancer leur intérêt pour le travail ? De les remotiver ? De les réenchanter, même ? Henry Mintzberg, professeur de management à l’Université McGill et auteur d’une quinzaine de livres, dont celui à succès Gérer dans l’action(Éd. Transcontinental, 2014), a sa petite idée sur le sujet…

LES AFFAIRES – Pensez-vous que l’un des grands maux actuels des entreprises réside dans le gaspillage de talents ?

HENRY MINTZBERG – Ça ne fait pas de doute. Il s’agit là d’un vrai, d’un terrible problème. Maintenant, il faut aller au-delà du constat et remonter à la source du problème. D’après moi, ce qui est en cause, c’est le mismanagement, c’est-à-dire les erreurs récurrentes que commettent les gestionnaires en raison du côté paradoxal de leur mission. Oui, paradoxal, car ils doivent souvent accomplir en même temps une chose et son contraire. Prenons un exemple… Un manager doit agir dans le moment présent tout en anticipant ce que lui réserve l’avenir. Il doit donc avoir la tête ici et là, à deux endroits différents. Ce qui le pousse à la superficialité : il est contraint à jongler avec l’information au lieu de l’analyser avec rigueur. Et ceux qui en sont pénalisés au premier chef, ce sont, bien sûr, les employés dont il a la responsabilité.

L.A. – Une étude de la firme de sondage Gallup abonde dans le même sens que vous. Elle a mis au jour cette année le fait que, chez nos voisins du Sud, seulement 35 % des managers se sentent engagés dans leur travail. Et que cela a un effet boule de neige sur les employés : ceux qui travaillent sous la gouverne d’un manager peu ou pas motivé sont 59 % plus à risque que les autres d’être eux-mêmes démotivés.

H.M. – Je ne connaissais pas cette étude, mais elle ne me surprend pas. Le mismanagement endommage clairement les équipes dans lesquelles il sévit. Il peut même les mener droit dans le mur. L’important, par conséquent, est de réagir dès lors qu’on décèle sa présence. Et le meilleur moyen de s’y prendre, c’est justement en misant sur les talents des uns et des autres.

L.A. – Comment ça ?

H.M. – Mes travaux de recherche m’ont amené à considérer que l’idéal pour éviter l’écueil du mismanagement, c’est de recourir au coaching entre pairs. Pourquoi par les pairs et pas autrement, me direz-vous ? La raison est triple : ça renforce le sens de la communauté, ça stimule l’échange de points de vue et ça favorise l’esprit d’équipe.

L.A. – Cette approche, on la retrouve dans CoachingOurselves, une entreprise montréalaise dont vous êtes copropriétaire et qui vise à développer le talent des gestionnaires, n’est-ce pas ?

H.M. – C’est exact. Mon gendre, Phil LeNir, m’a demandé conseil, un jour, pour relever certains défis auxquels sa firme de logiciels faisait face : manque d’effectif, baisse de moral, etc. Je lui ai alors donné des textes de réflexion à lire et, surtout, je l’ai invité à organiser des tables rondes. Ça a suffisamment bien fonctionné pour qu’il me revienne, peu après, avec l’idée de mettre au point ensemble une véritable méthode de coaching par les pairs. Une idée fantastique, puisqu’elle me donnait l’occasion d’aider chacun à transformer son quotidien sans dépendre de la haute direction, en apprenant de ses propres expériences et de celles des autres. C’est comme ça que CoachingOurselves a vu le jour en 2007, et a permis depuis le développement des talents de plus de 10 000 gestionnaires du monde entier.

L.A. – En quoi consiste concrètement cette méthode ?

H.M. – Une demi-douzaine de gestionnaires se réunissent dans une salle tranquille, autour d’une table ronde. Pendant une heure et demie, ils discutent du thème qu’ils ont choisi, en suivant l’ordre du jour qu’on a établi pour eux par un module de discussion. Exemple : j’ai moi-même rédigé le module de discussion intitulé « Gérer malgré la pression », lequel comporte une présentation du sujet, une réflexion autour du gestionnaire comme chef d’orchestre ainsi que les étapes à suivre pour mener à bien une réflexion collective sur ce qui fait qu’un manager se trouve sous pression et sur les moyens à mettre en œuvre pour y remédier. On le voit bien, ces modules n’apportent pas de réponse toute faite, mais débroussaille des voies à explorer, sans jamais laisser entendre qu’une vaut mieux que l’autre.

L.A. – Y a-t-il un coach de CoachingOurselves lors de ces réunions ?

H.M. – Non. Le coaching se fait exclusivement par les pairs. Nous ne fournissons que le module de discussion, rien d’autre, sauf exception. L’idée, c’est que chacun de nous est un coach en puissance pour ses pairs, mais qu’on n’exploite cette faculté que trop rarement.

L.A. – Peut-on enregistrer de vrais progrès en une réunion, ou faut-il en prévoir plusieurs en série ?

H.M. – Une seule réunion permet d’avancer, à tout le moins de sortir l’équipe de l’impasse dans laquelle elle se trouvait. Cela étant, plus on accumule ce type d’échanges, mieux c’est : une fois qu’on a abordé, par exemple, le module « Être un leader catalytique », on peut enchaîner avec « Investir intelligemment dans le talent », puis « Engagement », etc. Nous en avons concocté 75 pour l’instant, tous signés par des sommités dans leur domaine.

L.A. – Des modules sont-ils plus populaires que les autres, ces temps-ci ?

H.M. – Oui, c’est d’ailleurs fort intéressant de voir ce qui préoccupe le plus les gens. En ce moment, les thèmes qui reviennent le plus sont la reconnaissance, la responsabilisation, la structure organisationnelle et le stress. Autant d’indicateurs, d’après moi, qu’il est grand temps de revoir la pratique du management. Il est urgent, pour ne pas dire vital, de remotiver les millions de Canadiens qui se morfondent aujourd’hui au travail ! Vous savez, le prix Nobel de littérature T.S. Eliot disait, avec justesse : « Nous avons expérimenté, mais raté le sens ». C’est clair, nous nous devons de renouer avec le sens, en expérimentant autrement. À l’image du coaching par les pairs, qui présente l’avantage de favoriser le brassage des talents, et donc, d’offrir à chacun l’occasion de réveiller ses talents latents. Cette approche fonctionne, d’autres aussi, à n’en pas douter. Le point important est, je pense, qu’il nous faut constater le gaspillage monumental de talents auquel nous nous livrons, et de prendre la ferme décision, tous ensemble, de retrousser les manches pour corriger le tir.

À la une

Monique Leroux: notre productivité reflète notre manque d’ambition

Édition du 10 Avril 2024 | François Normand

TÊTE-À-TÊTE. Entrevue avec Monique Leroux, ex-patronne de Desjardins et ex-présidente du CA d'Investissement Québec.

Budget fédéral 2024: «c'est peut-être un mal pour un bien»

EXPERT INVITÉ. Les nouvelles règles ne changent pas selon moi l'attrait des actions à long terme.

Gain en capital: la fiscalité va nuire à l’économie, selon le patron de la Nationale

Le banquier craint que la mesure ne décourage l’investissement au Canada.