GE : en panne de leaders ?

Publié le 02/09/2010 à 13:56, mis à jour le 28/10/2010 à 15:44

GE : en panne de leaders ?

Publié le 02/09/2010 à 13:56, mis à jour le 28/10/2010 à 15:44

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Jeffrey R. Immelt met tout en œuvre pour diriger General Electric (GE), sans se laisser écraser par l’héritage de son prédécesseur, Jack Welch. Il soutient que son entreprise forme «les meilleurs leaders du monde». Cependant, ces derniers n’ont pas pu empêcher GE de subir les répercussions d’une décennie infernale qui a réduit de moitié sa valeur…

Auteure: Diane Brady | Bloomberg Businessweek

Deux vendredis par mois, le PDG de General Electric (GE), Jeff Immelt, invite à souper l'un des 185 dirigeants de l’entreprise à sa résidence de New Canaan, au Connecticut. Comme de vieux amis, l’hôte et son convive prennent quelques verres, rigolent un peu, savourent un plat de pâtes et discutent d’une foule de sujets, sauf du boulot. Une soirée à refaire le monde, quoi! Le lendemain matin, les discussions reprennent, et deviennent plus personnelles. «Nous passons toute la matinée du samedi à parler du travail et de la carrière de mon hôte, explique le PDG. Qui est-il? A-t-il l'impression d'occuper le poste qui lui convient vraiment? Comment je vois ses forces et ses faiblesses, des choses du genre.»

Mais que penser de cette stratégie? Comment se fait-il qu’après presque dix ans à la tête de l’entreprise, Jeff Immelt doive encore chercher à nouer des liens avec son équipe? «Par le passé, je considérais les relations interpersonnelles comme une chose acquise. Je ne veux plus répéter la même erreur, avoue-t-il humblement. Parfois, on a tendance à se dire: c’est un cadre qui travaille dans l’entreprise depuis 20 ans, il connaît son affaire. A-t-il vraiment besoin que je lui fasse un dessin? Aujourd'hui, je suis convaincu qu'il faut prendre le temps de se parler.» Ces rencontres font partie intégrante de la profonde remise en question que vit le PDG, et qui l’a amené à réévaluer la façon dont GE forme ses leaders. Cette réflexion s’est amorcée avec la crise financière mondiale qui a ébranlé le conglomérat – malgré un chiffre d'affaires annuel de 157 milliards –, détruisant presque au passage son unité des services financiers, et faisant passer la valeur de l'action de l'entreprise à moins de 6$, alors qu'elle était à 29$ avant le crash de Lehman Brothers. Elle a remonté depuis à environ 19$, établissant la capitalisation boursière de GE à près de 200 milliards, soit autour de la moitié de ce qu'elle a déjà été.

Toutes ces mésaventures ont transformé Jeff Immelt, devenu selon son dire un «adepte de l’introspection gonflé aux stéroïdes», se demandant sans cesse: «Parmi nos 150 principaux dirigeants, y en avait-il un qui avait vu venir la crise… mais qui n’a pas réussi à m'en parler?»

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Le PDG a tellement changé qu’il compte maintenant passer l’année en cours à explorer de nouvelles idées afin de décider comment GE devrait former et évaluer ses leaders. Il a d’ailleurs consulté plusieurs organisations très diverses – de Google au Parti communiste chinois –, et envoyé 30 de ses cadres supérieurs dans une centaine d’entreprises partout dans le monde. Et ce n’est pas tout! Il tient des soupers mensuels avec 10 de ses dirigeants et un consultant externe, spécialiste du leadership, pour débattre du sujet. Il a également lancé un programme pilote visant à offrir les services d'un coach personnel à ses employés les plus doués, une pratique que GE réservait autrefois aux cadres éprouvant des difficultés. Enfin, pour permettre à ses troupes de découvrir comment on fait les choses ailleurs que chez GE, il reconsidère même une règle interne, vieille comme le monde, qui interdit aux employés de siéger à des conseils d’administration.

Revenir à la base

Voir ainsi le PDG de GE scruter son approche du leadership, c’est un peu comme observer Guy Lafleur prendre des cours de hockey. Malgré les résultats décevants de GE, et en dépit des appels réguliers à démembrer le conglomérat, s’il y a une force que tous reconnaissent unanimement à l’entreprise, c’est sa capacité à produire des leaders. Dans un récent sondage mondial, effectué par Hay Group, visant à déterminer quelles sociétés se démarquaient sur le plan du leadership, GE s’est classée première.

À une époque où plusieurs considèrent la formation comme un fardeau financier, GE continue de considérer les ressources humaines (RH) comme quelque chose de sacré, dépensant annuellement un milliard de dollars en formation et consacrant chaque année des semaines, voire des mois, à évaluer les compétences. «GE investit des sommes incroyables. Et beaucoup considèrent qu’il s’agit de la plus grande école [de gestion] du monde», fait valoir Brooks C. Holtom, professeur de gestion à l’école de commerce de l’université Georgetown.

Pourtant, on sent qu’il y a quelque chose qui cloche. Et pas seulement en raison de la décennie infernale dont Jeff Immelt a parlé dans sa lettre aux actionnaires, plus tôt cette année, et dans laquelle il concluait que «GE doit changer» pour continuer de se développer dans un monde qui s'est transformé. Quand un PDG de la trempe de Jeff Immelt passe son organisation au peigne fin, il en vient inévitablement à scruter son propre style de gestion. Le PDG est devenu le voyageur de commerce, le maître à penser et le motivateur de l’organisation. Mais, dans l’entreprise comme telle, il est de moins en moins visible. Et, malgré tout, le PDG semble concentrer davantage ses efforts sur son équipe plutôt que sur lui-même…

Un changement à la barre?

Peu de gens chez GE croient que cette réingénierie est le signe précurseur de la nomination d'un nouveau PDG. Quand on lui a offert le poste, il y a 10 ans, on a laissé entendre à Jeff Immelt qu’il y resterait durant 20 ans, comme son illustre prédécesseur, Jack Welch. Le conseil d’administration l'a d'ailleurs toujours appuyé. Seul l'ancien PDG, que nous n’avons pu joindre pour commenter cet article, a émis des critiques acerbes quand GE a annoncé des pertes importantes, en avril 2008; en effet, Jack Welch a alors déclaré à la chaîne NBC que Jeff Immelt avait «un problème de crédibilité», puisqu'il faisait des promesses qu’il ne pouvait tenir.

Mais Jeff Immelt persiste à croire que le véritable problème se trouve dans l’approche que GE a adoptée en matière de RH. L’entreprise doit-elle revoir ses politiques en cette matière, qui sont tout de même en place depuis un demi-siècle? Le PDG ne le croit pas. Au sein de l’entreprise, on discute plutôt des nouvelles qualités et compétences que les leaders devront posséder, un sujet revu aux cinq ans. Ce que les dirigeants de GE ne remettent pas en cause, c’est la «machine à talents» de GE elle-même. Pourtant, un nombre croissant d’observateurs externes s’interrogent… «Plusieurs des anciens modèles de réussite sont remis en question», prétend Graham Barkus, responsable du développement opérationnel chez Cathay Pacific Airways. En outre, sur le site Web de GE, on peut lire: «Nos 191 cadres principaux ont fait des stages de formation et de développement professionnel d'une durée totale d'au moins 12 mois au cours de leurs 15 premières années chez GE.» Autrement dit, une année complète, et c’est le minimum. GE croit qu’il s’agit d'un avantage; et si ce n’était pas le cas?

Une longue tradition

Au milieu des années 1950 – l'époque des balbutiements des sciences de la gestion –, alors que l’entreprise fondée par Thomas Edison en 1890 était la quatrième plus grande société en Amérique, Ralph J. Cordiner, le président d'alors, a décidé de décentraliser GE. Environ 120 directeurs généraux ont alors été placés à la tête d'autant de départements; ces DG, responsables de leur propre secteur, ont ainsi formé une petite armée de mini-PDG. La décision a obligé l’entreprise à miser davantage sur une formation et une évaluation rigoureuses. C’est pourquoi Ralph J. Cordiner a ensuite élaboré, en 1956, le mode d’évaluation «Session C»; à cette fin, il a créé un institut de gestion occupant un vaste campus, dans la vallée de la rivière Hudson, plus précisément à Ossining, dans l'État de New York, à une heure de voiture au nord de la métropole américaine. «GE Crotonville» – c'est le nom qu'on a donné à l'institut – est aussitôt devenu synonyme d’excellence.

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