Faut-il être ordonné pour être efficace ?

Publié le 01/01/2009 à 00:00

Faut-il être ordonné pour être efficace ?

Publié le 01/01/2009 à 00:00

Eric Abrahamson est à contre-courant : il fait l'éloge du désordre. En collaboration avec le journaliste David H. Freedman, il a écrit A Perfect Mess (Un peu de désordre = beaucoup de profit(s)). "On nous dit que l'ordre rend plus efficace, dit Eric Abrahamson dans un français parfait. Aucune étude ne l'a prouvé !" Mesurer la performance d'un employé est très complexe. Définir des degrés d'ordre aussi.

Ce professeur de management de l'Université Columbia, à New York, remet en question les adeptes, de plus en plus nombreux, de l'ordre à tout prix. Jeter, trier et classer ! C'est la nouvelle devise de la société actuelle, javellisée et rangée. Aux États-Unis, l'industrie de l'organisation est en pleine croissance. Fondée en 1985 par cinq personnes, la National Association of Professionnal Organizers, située au New Jersey, compte désormais 4 300 membres répartis dans neuf pays.

Des émissions à la Dr. Phil (Clean House with Niecy sur la chaîne Style, Clean Sweep sur le Learning Channel et Mission: Organization sur Home & Garden Television) sont même consacrées à l'ordre. Des organisateurs professionnels et des designers investissent les maisons de pauvres désordonnés. Et coupent à blanc leur désordre touffu !

Sean Finn est l'incarnation parfaite de cette tendance. Père de cinq enfants, maire de Saint-Lambert, il est aussi premier vice-président, Affaires publiques et chef de la direction des affaires juridiques du Canadien National (CN). Pas un papier ne traîne sur son bureau. "Lorsqu'il y en a quelques-uns, cela signifie que mon organisation commence à dérailler", dit Sean Finn, qui a quatre adjointes.

Depuis près de cinq ans, Sean Finn applique les principes de David Allen, gourou de l'efficacité personnelle et auteur du best-seller Getting Things Done (Prêt pour l'action). L'avocat fiscaliste accomplit sur-le-champ les tâches nécessitant moins de deux minutes. Il inscrit tous ses gestes et ses projets sur une liste divisée en sous-catégories (par exemple, "Appels à faire", "À faire au bureau", etc.). Et une fois par semaine, le vendredi, il réfléchit seul pendant une heure afin de déterminer ses priorités et de planifier la semaine suivante.

Pour Eric Abrahamson, un fouillis complet n'est pas productif. Cependant, le fait de tout ranger systématiquement est une perte de temps. "Il est beaucoup plus efficace de laisser 10 à 20 documents s'empiler sur son bureau que d'interrompre sans cesse son travail pour les classer", soutient-il. Implanter un système d'organisation demande du temps. Et peut être coûteux, si on fait appel à un organisateur professionnel, rappelle Éric Abrahamson.

Sophie-Emmanuelle Chébin, avocate-conseil auprès du chef des affaires juridiques au CN, a comme son collègue Finn adopté la méthode de David Allen en 2005. Elle a mis une fin de semaine à classer et ranger ses documents format papier et électronique. "Mais je suis maintenant plus productive que par le passé", dit cette femme de 39 ans, dont la boîte électronique est vide.

Sophie-Emmanuelle a diminué son stress grâce à sa "mémoire externe", à sa liste d'actions et de projets. En plus de mettre rapidement la main sur ses dossiers, elle connaît ses priorités. Et ce, même si elle est constamment interrompue dans ses tâches ! "Je ne fais pas de l'approche Allen une religion, souligne- t-elle. Quand j'ai des tonnes d'urgences, mon bureau n'est pas en ordre."

Désordonné, mais organisé

Il y a quelques années, le bureau de Roger Godbout, professeur au Département de psychiatrie de l'Université de Montréal et spécialiste du sommeil, était envahi par des montagnes de documents. Le chercheur était débordé de mandats. "Je faisais partie du méprisable club des spéléologues de la connaissance, ironise-t-il. Mais je pouvais retracer dans la minute quelque dossier que ce soit." Déménagement oblige, Roger Godbout a fait depuis le ménage de son bureau. Il parvient à le maintenir dans un certain ordre. Une collègue, au laboratoire, le surveille !

Qui dit désordre ne dit pas nécessairement désorganisation. Le contraire est aussi vrai. "Une personne qui n'a rien sur son bureau peut avoir des tiroirs très désorganisés", dit Savannah Quesnel, ancienne adjointe exécutive, qui a fondé Passion Organisation en mars 2008. En soi, les piles ne sont pas mauvaises, selon David Allen. "Le problème, c'est que peu de gens sont assez disciplinés pour classer dans la même pile les documents qui ont un lien entre eux", dit le conférencier américain, de passage à Montréal en octobre. Ils perdent donc du temps à parcourir leurs dossiers.

Imprimeries Transcontinental (Affaires Plus appartient à la division Médias du Groupe Transcontinental) a réglé le problème. En 2007, elle a implanté dans ses usines et dans certains bureaux le système des 5S (seiri, seiton, seiso, seiketsu et shitsuke, cinq mots qui signifient respectivement débarras, rangement, nettoyage, ordre et rigueur en japonais). Depuis, les ouvriers rangent leurs outils à des endroits déterminés. Les cadres et les employés mettent leurs dossiers dans des classeurs étiquetés (par exemple, "Résultats mensuels", "Dossiers A à Z"). Chaque soir, ils doivent débarrasser leur table de travail. Leur tasse à café doit être lavée et placée sur un sous-verre !

"Le but, c'est de trouver ce qu'on cherche en 10 à 30 secondes", dit Ghislaine Charbonneau, coordonnatrice à l'amélioration continue. Le système vise aussi à inspirer confiance à la clientèle.

Ce régime taylorien, voire militaire, ne plaît pas à tous. Le journaliste d'un hebdomadaire, dont la salle de rédaction se trouve dans les bureaux d'Imprimeries Transcontinental, l'a tourné en dérision en étiquetant sa plante et son écran d'ordinateur !

"L'implantation des 5S a été plus difficile dans les bureaux que dans les usines", reconnaît Ghislaine Charbonneau. Les imprimeurs qui travaillent sur trois quarts différents n'ont pas de sentiment d'appartenance envers "leur presse", ce qui n'est pas le cas des employés envers "leur bureau". Selon elle, la plupart des désordonnés y trouvent maintenant leur compte.

James Aziz, vice-président aux finances d'Imprimeries Transcontinental, fait partie de ceux-là. Depuis qu'il s'est converti à l'ordre, il n'a plus peur d'avoir égaré un document important quelques minutes avant une réunion. "Je retrouve mes dossiers en moins de 60 secondes, dit ce père de deux enfants, qui a aussi "organisé" son garage. Je suis même devenu impatient et intolérant face aux gens désordonnés."

Créatif et ordonné

"Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place." Les gens parfaitement ordonnés ne laissent rien au hasard. Ils y auraient intérêt, selon Eric Abrahamson. N'est-ce pas grâce à une boîte de Petri contaminée dans laquelle il cultivait des staphylocoques que le Britannique Alexander Fleming a découvert accidentellement la pénicilline, une moisissure aux propriétés antibactériennes ?

Le désordre engendre la créativité, croient ses tenants. Les documents qui s'empilent sur un bureau sont un peu comme les pelures de fruits qui se décomposent dans un bac à compost : une fois mélangés, ils créent une matière riche et utile - qui en dégoûte plusieurs...

Selon Eric Abrahamson, certaines organisations mettent déjà le désordre à profit. "Elles rassemblent les employés de divers services (marketing, finance, vente, production) sur un même étage plutôt que de les regrouper par secteur", dit-il. Les idées s'entrechoquent. Et les esprits s'ouvrent.

Il faut néanmoins gérer ce désordre. C'est le métier de Marie-Hélène Trépanier, directrice de comptes développement à l'agence de publicité Cartier Communication. Ses collègues, des créateurs de messages publicitaires, pratiquent le remue-méninges, ce brassage d'idées qui se fait dans la spontanéité la plus complète, bref, dans le désordre. "Mon rôle est de les ramener constamment à la ligne directrice du message publicitaire et au budget prévu", dit la jeune femme de 28 ans.

L'ordre n'est pas pour autant un frein à l'inspiration. Au contraire. L'illustrateur Diego Herrera, alias Yayo, vit de son coup de crayon depuis 25 ans. Ses dessins à l'humour absurde et surréaliste ont été publiés dans plusieurs magazines et journaux canadiens et américains, dont L'actualité et Sélection du Reader's Digest. Il a aussi illustré une vingtaine d'albums pour enfants.

Sa table de travail, dans la maison familiale de Côte-Saint-Luc, à Montréal, n'est certes pas celle d'un chirurgien, mais elle n'est pas encombrée comme celle d'un bazar. Ses crayons et ses marqueurs sont rangés dans des pots, ses tubes de pein-ture sont classés par couleur et ses croquis sont rangés dans des classeurs. "Avoir un minimum d'ordre me tranquillise, dit Diego Herrera, un homme d'origine colombienne de 47 ans, plutôt anxieux. J'ai l'esprit plus libre."

S'organiser est essentiel pour rentabiliser son travail, selon lui. "Je dois gérer mes factures et entreprendre des démarches, auprès de galeries par exemple, pour faire connaître mon travail", dit Diego Herrera, père d'un enfant et marié à une artiste.

Il n'empêche que le monde de Yayo n'est pas parfaitement ordonné. Des dossiers s'entassent sous sa table de travail. Le dessus de ses classeurs est peuplé de dizaines d'autos miniatures anciennes dont il ne peut se départir. "Ces voitures me font rêver, dit l'illustrateur, qui les collectionne. Elles me rappellent mon enfance en Colombie." À chacun ses batailles. "Ma remise, dans ma cour, est un gâchis...", dit le gourou David Allen.

Pour en savoir plus

- Prêt pour l'action : 52 stratégies pour être vraiment efficace au travail et dans la vie, David Allen, Éditions Transcontinental, 2006.

- S'organiser pour réussir, David Allen, Éditions Transcontinental, 2008.

- Un peu de désordre = beaucoup de profit(s), Eric Abrahamson et David H. Freedman, Flammarion, 2008.

- Vaincre le désordre : le comprendre pour l'éliminer, Sophie Legault, Éditions Publistar Quebecor Media, 2007.

aplus@transcontinental.ca

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