Tous les patrons cherchent le moyen de mobiliser leurs employés et de leur donner le goût de contribuer à leur grand projet. Mais avons-nous pensé à nous mobiliser nous-mêmes pour favoriser les projets et les rêves de nos employés ? À les voir comme des créateurs de leur avenir et du nôtre ?
Impuissants face aux décisions qui se prenaient sans eux, nos grands-parents étaient des spectateurs de leur vie professionnelle. Le discours a changé. Nous sommes désormais des acteurs importants dans l'entreprise. On nous donne la vision et les objectifs, puis on nous laisse trouver les stratégies adéquates... jusqu'au moment où le siège social décide de tout centraliser, même le choix de la couleur du tapis ! Car il est essentiel que ce tapis soit le même à Chicago et à Chicoutimi. "C'est une question de concept." On nous laisse cependant la latitude de définir le "comment". Bref, on conserve en haut lieu les réflexions sur la vision et le sens (où ? pourquoi ?) pour ne déléguer que le "comment". Au moins, nous ne sommes plus seulement des spectateurs...
La génération de nos enfants arrive dans nos organisations. "Enfants de la téléréalité", ils veulent jouer leur propre personnage, être coauteurs du projet de l'organisation. Ils désirent réfléchir à la façon de vivre ensemble à partir de leur vision de l'avenir et de leurs besoins, discuter du partage du pouvoir, du temps de travail, etc. Ils sont, autant que nous, prêts à s'investir, mais pas à n'importe quel prix. Ce ne sont pas les enfants gâtés, les infidèles que l'on nous décrit. Ils sont simplement fidèles à eux-mêmes.
Saurons-nous réinventer nos organisations et célébrer le potentiel des jeunes, plutôt que d'observer passivement leur exode ? Au Centre de réadaptation de l'Estrie, Lucie Dumas et son équipe ont réussi à le faire. Elle accepte presque toutes les demandes d'aménagement de temps de travail. Le ratio du nombre de personnes par poste est plus élevé, mais le Centre ne connaît plus de problèmes d'attraction ou de rétention.
Nos grands-parents hurlaient pour qu'on cesse de les exploiter ; les jeunes crient pour qu'on les exploite davantage. Quelle superbe invitation ! Et nous, ne serions-nous pas heureux de constater que les jeunes veulent exploiter notre expérience, le fruit de nos années d'essais et d'erreurs ?
Notre compétence comme leaders n'est plus notre capacité à décider d'une vision, à imposer nos scénarios ou à contrôler les acteurs afin qu'ils jouent le rôle qu'on leur a confié. Nous sommes plutôt invités à saisir l'appel des jeunes à participer à la création de l'avenir, car ils sont l'expression d'un mouvement collectif de quête de sens. Nous entrons dans une époque où chacun est davantage conscient de son potentiel, veut se réaliser et être l'auteur de sa vie. Et c'est en se réalisant que chaque personne apportera une contribution significative à l'entreprise. Libérons-nous de la pression d'être inspirant et développons notre capacité à nous laisser inspirer par les autres. Se mobiliser pour le projet cocréé par l'ensemble signifie aussi se mettre au service du rêve de l'autre. Par exemple, chacun sera prêt à se laisser inspirer et à utiliser le talent des autres. Au marketing, Marc définira à son tour la vision de son service avec son équipe et saura solliciter le talent de Josée du service des finances au moment opportun... au lieu de la confronter pour obtenir à tout prix les crédits nécessaires. Les intelligences seront multipliées au profit de tous.
Pour y parvenir, peut-être devons-nous penser à changer notre répertoire afin de passer du théâtre classique à la danse contemporaine où le chorégraphe n'est plus toujours LE créateur ? Cela demandera de l'ouverture et du courage. Nous ouvrir à la vie n'est plus une question de choix : c'est notre devoir pour assurer la pérennité de nos organisations.
remi.tremblay@esseleadership.ca
Rémi Tremblay a été président d'Adecco Québec et d'Adecco Canada. Il est l'auteur de deux ouvrages : Découvrez le bonheur au boulot et Les fous du roi. Depuis 2004, il accompagne les dirigeants qui souhaitent repousser les frontières de leur leadership.
