Cora Tsouflidou : Réussir à céder la barre

Publié le 26/02/2011 à 00:00, mis à jour le 03/05/2011 à 17:05

Cora Tsouflidou : Réussir à céder la barre

Publié le 26/02/2011 à 00:00, mis à jour le 03/05/2011 à 17:05

R.V. - En affaires, vous qualifieriez-vous de douce, sévère, tenace, tranchante ?

C.T. - J'étais tranchante, oui. Directive. Beaucoup de gens diront aussi que j'ai été manipulatrice, mais j'en ai été la première victime. Les cinq ou six premières années, le restaurant fermait à 15 heures et je restais jusqu'à 22 heures pour faire des pancartes, laver, nettoyer. Tous les gens qui ont travaillé pour nous savent que les tâches ingrates, comme les dégâts d'eau, nous ne les refilions pas aux autres. Je n'étais pas la plus agréable des patronnes, mais probablement que j'inspirais confiance. Mes employés étaient certains, et souvent plus convaincus que moi, de l'avenir de notre compagnie.

R.V. - Votre fils est-il différent ?

C.T. - J'ai décidé de le nommer président à la suite d'une offre d'achat mirobolante qui m'a fait réfléchir. Il m'a alors fait savoir que, si je voulais moins travailler, il pensait pouvoir accepter le défi de la présidence. J'avais toujours dit qu'ils allaient me sortir du bureau dans une boîte. Mais aujourd'hui, tout en moi me dit que j'ai pris la meilleure décision.

Parce que l'arrivée de mon garçon a été l'éclosion du potentiel de tout le personnel. La première année, ce sont les cadres qui ont fait le plan d'affaires. Il leur a fait confiance. Il est dans son bureau ou sur le terrain, disant : " Si vous avez besoin de quelque chose, je suis là. "

R.V. - Vous passez le relais à la nouvelle génération. Beaucoup de gens grondent, affirmant qu'on se dirige vers une crise de leadership. Que pensez-vous ?

C.T. - L'organisation gouvernementale des Laurentides m'a demandé de prononcer 10 conférences sur le thème de la relève. Parmi les nombreux commentaires, il y a eu ce monsieur qui disait : " C'est moi qui ai bâti l'entreprise, mon gars travaille dans l'entrepôt, il n'est peut-être pas qualifié... " Moi, j'ai fait participé mes enfants dès le début. Sans le savoir, j'ai formé ma relève. Et avec mon coeur de mère, j'ai été capable de renoncer au glamour du poste pour le donner à mon garçon. Il faut faire le deuil du pouvoir ! Il faut aussi renoncer à se définir comme le patron de... " Qui suis-je ? Je suis la patronne de Cora ". Beaucoup de patrons, dont moi, ne se sont pas bâti une vie en dehors de leur entreprise. La quitter, c'est comme tomber dans le vide, et c'est difficile de penser que le vide est le meilleur endroit pour se recréer. Mais tout est possible.

R.V. - Est-ce ce que vous suggérez ?

C.T. - Oui, totalement. Je suggère d'être plus équilibrée que je ne l'ai été. Parce qu'une des premières chose que Nicholas m'avait dites devant le consultant, c'est : " Maman, je ne serai pas comme toi, arrivé à six heures au bureau quand il ouvre à huit heures, et le dernier parti; mêlé à tout... Je serai différent. Je t'avertis, si tu veux changer d'idée. " Il a foi en l'avenir, en son monde. Et regardez comme c'est symbolique : quand je l'ai nommé président, il a dit, devant tous les franchisés, tous les fournisseurs et tous les gens importants pour Cora : " Merci maman de ta confiance, et avant de continuer, j'aimerais appeler tous les directeurs de Cora. " Il les a emmenés en avant sur la tribune, et il a dit à tous : " Voici la nouvelle direction de Cora. " Peu de personnes ont vu la subtilité du geste, mais c'était de l'empowerment [renforcement d'équipe]. Ça, c'est de l'or en barre.

R.V. - Avez-vous eu des modèles, dans le milieu des affaires ou ailleurs ?

C.T. - Ce qui m'a le plus aidée, ça a été de lire la biographie des grands bâtisseurs, parce que j'ai toujours redouté qu'un jour, on découvre mon seuil d'incompétence. Je suis une intellectuelle, je voulais être écrivaine. Je ne connaissais rien aux affaires, mes parents étaient raide pauvres, je n'ai même pas un oncle dans le milieu. Pourtant, j'ai cette espèce de rage de vouloir aller plus loin. Mon garçon me disait toujours : " Tu n'es jamais contente. On vient d'ouvrir notre dixième restaurant, tu viens de casser des oeufs - parce que chez nous, on ne coupe pas de ruban -, mais tu te demandes déjà où est le onzième. Tu n'es jamais contente ? "

R.V. - C'est notre question fétiche de fin d'entrevue. Cora Tsouflidou, un jour on va résumer ce que vous étiez en une phrase ou deux. Si vous pouviez vous-même les écrire, quelles seraient-elles ?

C.T. - En gloriole, c'est sûr que j'adore me faire appeler " La reine des déjeuners au Canada ". J'adore ça, parce que je l'entends maintenant dans les autres provinces.Aujourd'hui, environ cinq mille personnes reçoivent un chèque de paie avec le petit soleil de Cora dessus. Moi qui suis remplie de désir de création, j'ai réussi à sortir le meilleur de moi-même. Je pense, en toute modestie, que je me dirais " Bravo Cora, tu as commencé quelque chose qui sera encore là quand tu vas lever les pattes ". Je pense que je dirais quelque chose comme ça.

" À ses débuts, l'entreprise a eu besoin d'un chef d'orchestre comme moi, prêt à occuper tous les postes en même temps, un chef d'orchestre qui avait la persévérance, l'endurance... Je pense que je possédais aussi une autre qualité extraordinaire : j'étais une mère. " - Cora Tsouflidou

CV

Nom : Cora Tsouflidou

Âge : 63 ans

Poste : Fondatrice et présidente du conseil

Entreprise : Franchises Cora

Cora Tsouflidou, née Mussely, est originaire de Caplan, en Gaspésie. Elle se lance en affaires en 1987, en achetant un petit casse-croûte à Ville Saint-Laurent, en banlieue de Montréal. Le succès venant, elle ouvre quelques autres restaurants, avant de commercialiser sa formule par franchisage. On compte aujourd'hui 119 restaurants Cora au Canada, dont 52 au Québec. Durant sa carrière, Mme Tsouflidou a reçu de nombreux honneurs. Elle a notamment été nommée " Entrepreneur de l'année Ernst & Young " dans la catégorie fabrication et produits de consommation.

À la une

Les scénaristes canadiens disent oui à un mandat de grève

La Writers Guild of Canada représente près de 2500 scénaristes anglophones au pays

Y'as-tu d'la bière icitte?

EXPERT INVITÉ. La bière est une thématique d’investissement extrêmement forte de plusieurs milliards de dollars.

Gain en capital ou être né pour un petit pain

«L’augmentation de la tranche imposable sur le gain en capital imposée par Ottawa et Québec est une mauvaise idée.»