Comment faire passer son entreprise à l'histoire

Offert par Les Affaires


Édition du 28 Novembre 2015

Comment faire passer son entreprise à l'histoire

Offert par Les Affaires


Édition du 28 Novembre 2015

Par Diane Bérard

Richard Branson, fondateur de Virgin, à propos de sa stratégie d’affaires. [Photo : Bloomberg]

Les 12 et 13 novembre, Les Affaires a assisté à la 10e édition du World Business Forum, à New York. Autour du thème «Je suis un créateur d'histoires», les conférenciers ont partagé le parcours qui leur a permis de se démarquer. De ce qui fait qu'on les remarque. Certains ont raconté leur histoire avec flamboyance, d'autres, avec sobriété. Nous avons retenu quatre leçons au sujet de ce qu'il faut pour bâtir un récit qui mérite de passer à l'histoire.

Sir Richard Branson est bien calé dans son fauteuil sur la scène du Lincoln Center, à New York. Bronzé, souriant, désinvolte, la jambe repliée sous lui, le conférencier vedette du World Business Forum (WBF) délecte son auditoire d'anecdotes croustillantes de sa vie amoureuse. Il raconte aussi des épisodes de sa bataille épique contre son ennemi préféré, le transporteur British Airways. L'épisode de l'inauguration du London Eye, par exemple. Le London Eye, c'est l'emblématique grande roue au centre de Londres. British Airways avait le mandat de l'assembler. Elle n'y arrivait pas. Virgin s'est fait un malin plaisir de voler à la rescousse avec sa flotte aérienne... et de faire circuler un dirigeable au-dessus de la ville sur lequel était inscrit «British Airways n'arrive pas à la "lever"» («British Airways can't get it up»).

Branson s'est toujours distingué par les batailles épiques qu'il adore mener. «Je ne rejoins que les secteurs où les clients sont mal servis, raconte-t-il. J'adore mettre mes concurrents face à leurs faiblesses. J'aime particulièrement me battre contre les organisations qui souffrent d'obésité bureaucratique.» Ses prochaines cibles seront l'hôtellerie et les croisières.

Branson est manifestement à la hauteur de sa légende. Il est drôle et plein d'esprit. Mais aussi sincère et (presque) humble lorsqu'il aborde l'écrasement du vaisseau de Virgin Galactic, le 31 octobre 2014, dans le désert de Mojave. Une erreur du pilote qui lui a coûté la vie. «Ce jour-là, les 700 employés de Virgin Galactic et moi avons fait un câlin collectif», raconte-t-il. Une phrase qui suscite un sourire sur le visage des participants du World Business Forum.

Branson est un formidable conteur. Mais ce qu'il raconte, il a d'abord dû le réaliser, créer l'histoire. Ce qu'il fait depuis un demi-siècle. À 16 ans, il lance un magazine contre la guerre au Vietnam. Ainsi démarre sa carrière d'entrepreneur... malgré lui. Son empire compte aujourd'hui des centaines d'entreprises. «Je ne voulais surtout pas me lancer en affaires, confie-t-il. Je voulais simplement stopper la guerre. Mais il a fallu que je comprenne l'imprimerie, la vente et un tas d'autres choses.»

Le World Business Forum a naturellement pensé à Sir Branson pour illustrer le thème de son édition 2015, «Je suis un créateur d'histoires». Depuis quelques années déjà, on parle beaucoup de storytelling [mise en récit]. On encourage les entreprises à mieux raconter leur histoire pour qu'elles se fassent remarquer. Mais pour avoir une histoire à raconter, il faut d'abord la créer. Sinon, ce n'est que du vent.

Se démarquer avec fracas, ou avec discrétion

Mark Bertolini, pdg de l’assureur Aetna, à propos du mouvement qu’il a amorcé pour augmenter les salaires des employés de premier niveau aux États-Unis.

Première leçon du WBF 2015, les créateurs d'histoires viennent en plusieurs modèles. Certains sont flamboyants, comme Richard Branson. Ils créent des histoires plus grandes que nature qui frappent l'imaginaire. D'autres créateurs d'histoires sont plutôt à l'image de Mark Bertolini, pdg d'Aetna, deuxième assureur en importance aux États-Unis.

Au milieu de la scène du Lincoln Center, Bertolini ne parle pas très fort. Et il se montre plutôt économe de ses gestes. Lorsqu'il bouge, son corps affiche un léger débalancement. En 2004, un sévère accident de ski l'a laissé avec des douleurs chroniques qu'il contrôle tant bien que mal par des thérapies alternatives ainsi que par la pratique quotidienne du yoga. Bertolini est l'archétype du leader de type 5 que nous a décrit l'auteur Jim Collins, quelques heures plus tôt. «Le leader de type 5 se démarque par son humilité et sa détermination, illustre l'auteur de Good to Great (De la performance à l'excellence). Ne vous méprenez pas, même s'il n'est pas flamboyant, il est très ambitieux. Mais son ambition se manifeste à l'égard de son entreprise et de sa cause, pas de lui-même.» Dès sa première phrase, Mark Bertolini capte l'attention des spectateurs et la conserve pendant les 30 minutes suivantes. «Je vais vous parler des inégalités», annonce le pdg de 59 ans. On ne s'attendait pas à cela de la part du dirigeant d'une des 100 plus grandes sociétés américaines.

En janvier 2015, Bertolini cause une onde de choc parmi ses pairs. Il établit le salaire minimum chez Aetna à 16 $ US l'heure. Et cela, sans qu'une loi ne l'y oblige. Au Connecticut, par exemple, là où se trouve le siège social d'Aetna, la loi fixe le salaire minimum à 9,15 $ US l'heure. «Aetna est une société Fortune 100, mais plusieurs de nos employés se nourrissaient dans les banques alimentaires. Cela n'avait pas de sens», confie-t-il aux participants du World Business Forum. Pour certains employés d'Aetna, un taux horaire de 16 $ US a représenté une augmentation de salaire de 33 %. Le pdg a aussi bonifié les avantages sociaux de tout le personnel de premier niveau. Peu de temps après, d'autres géants américains, comme Target et Walmart, ont aussi bonifié le salaire minimum de leurs employés. Mark Bertolini a créé un mouvement. C'est sa contribution à l'histoire.

Mais comment en est-il arrivé là ? Il y a deux ans, il lit l'ouvrage culte de Thomas Piketty sur les inégalités, Le capital au 21e siècle. Depuis ce jour, Bertolini fait du rétablissement de la classe moyenne son cheval de bataille. Il part donc à la découverte de ses employés. Plus de 80 % des emplois du centre d'appel sont occupés par des femmes, dont plusieurs sont chefs de famille monoparentale et vivent à peine sur ou sous le seuil de la pauvreté. «Avec ses 50 000 employés, Aetna est un microcosme de la société américaine, dit le pdg. Les inégalités ne sont pas extérieures à nous. Comme dirigeants, nous y contribuons. Et nous avons le pouvoir de les réduire.»

Les décisions audacieuses ont parfois un prix. Aetna est inscrite en Bourse (NY, AET). A-t-elle amélioré le bien-être de ses employés au détriment de celui de ses actionnaires ? «Chaque année, nous dépensons 120 M$ pour remplacer, former et motiver nos employés, répond-il. Améliorer leurs conditions de travail, c'est changer une dépense en investissement.» Le marché semble avoir compris son message. Depuis janvier, le titre d'Aetna a grimpé de 30 %.

Et la société a révisé ses prévisions de revenus à la hausse trois fois depuis le début de 2015.

Mark Bertolini n'en est pas à sa première décision audacieuse. Il pourrait aussi passer à l'histoire pour sa prise de position en faveur du mariage gai. Il siège d'ailleurs au conseil de la National Gay and Lesbian Chamber of Commerce des États-Unis.

Miser sur l'air du temps


Oscar Farinetti. [Photo : Bloomberg]

Ceux qui passent à l'histoire s'inscrivent souvent dans les grands courants de leur époque. Ils incarnent un enjeu contemporain. C'est la deuxième leçon du WBF 2015. L'Italien Oscar Farinetti, créateur du concept d'épicerie-bar-restaurant Eataly, qui compte notamment une quinzaine d'établissements aux États-Unis, en Italie, au Japon et à Dubaï, répond à la quête de sens que de plus en plus d'organisations et d'individus ressentent. Farinetti a construit Eataly autour du concept de «cible poétique». «On ne peut pas lancer une entreprise simplement pour faire de l'argent, dit-il. Cette motivation-là ne dure pas. Tout entrepreneur doit établir sa cible poétique, le ou les objectifs extra-financiers qu'il vise.» Farinetti est épicurien. Il aime la bonne chère, le bon vin et la musique. Eataly ne veut pas vendre de la nourriture. Elle aspire à ce que les gens retrouvent le plaisir de manger. Mentionnons que le meilleur ami de Farinetti se nomme Carlo Petrini, le fondateur du mouvement Slow Food qui cherche lui aussi à réintroduire le plaisir dans la nourriture et à redonner ses lettres de noblesse à l'agriculture. Eataly se démarque en répondant à des préoccupations très contemporaines.

Steve Bock, pdg du fabricant Shinola, a également su miser sur l'air du temps. Son combat, c'est le retour du secteur manufacturier aux États-Unis. Avec ses associés, il a choisi d'ouvrir une usine à Detroit, là où les ravages de la délocalisation se sont particulièrement fait sentir. Et où le mouvement de renaissance attire beaucoup l'attention. En fabriquant ses montres, ses vélos et ses articles de cuir à Detroit, Shinola s'inscrit dans cette mouvance.

Le risque de la controverse


« Si Shinola sous-traitait ses bracelets de montre en Asie, ils nous coûteraient 6 $ US pièce. Fabriqués à Detroit, ils nous coûtent 20 $ US. Mais nous n’abandonnerons pas. Notre histoire est bâtie sur la fabrication locale. Et j’ai bon espoir qu’un jour nous pourrons ramener le coût de nos bracelets à 13 $ US. » – Steve Bock, pdg de Shinola

Se détacher du lot a parfois un prix. Celui de la controverse. C'est la troisième leçon du WBF 2015. Le pdg de Shinola l'a appris à ses dépens. «Il me semble que la température vient de descendre de quelques degrés dans la salle...» lance-t-il au journaliste qui l'interviewe sur la scène du Lincoln Center et remet en question le label «fabriqué aux États-Unis» de Shinola. «Les pièces de vos montres proviennent de Suisse, souligne le journaliste. Il serait plus exact d'inscrire "assemblé aux États-Unis" sur vos produits, non ?» Steve Bock reconnaît que Shinola est encore loin de son objectif, mais il insiste sur son désir d'augmenter la proportion de composants américains dans ses produits.

«Ce que l'on fait est difficile, dit-il. Recruter des gens, leur enseigner un métier, gérer nos coûts. Ce serait tellement plus simple de faire comme tout le monde et de fabriquer à l'étranger.»

Raconter la transformation

Le professeur George Kohlreiser, de l'école de gestion IMD, aussi conférencier au WBF, rappelle que les histoires qui se démarquent sont souvent liées à la transformation. «Cela ne se fait pas sans heurt, prévient-il. Il y a toujours une période difficile où l'on affronte des détracteurs, où l'on commet des erreurs, où l'on doute.» Il ajoute : «Il faut éviter de laisser la place aux histoires négatives qui naissent parallèlement à celle que vous bâtissez. Vous savez, ces histoires qui font de l'ombre et laissent croire que vous n'y arriverez pas.» Telle est la quatrième leçon du WBF 2015.

Changer le cours de son histoire professionnelle

« Ce qui vous a mené au succès ne vous mènera pas au prochain niveau, prévient Herminia Ibarra, professeure à l’INSEAD et auteure du succès de librairie Act Like a Leader, Think Like a Leader. Elle s’en prend au dogme de l’authenticité. « La frontière entre l’authenticité et la rigidité est parfois bien mince », souligne-t-elle. Notre personnalité comporte plusieurs dimensions. Pour relever de nouveaux défis, il faut souvent faire appel à des aspects jusque-là inexploités. Il faut inverser la logique habituelle du cheminement de carrière, poursuit la professeure. « Au lieu de penser comme un leader afin que les autres nous reconnaissent ainsi, il faut agir comme un leader et développer ensuite l’attitude appropriée. »

Mais comment se faire confier un rôle de gestion lorsqu’on n’en a jamais occupé ? « Il faut regarder à l’extérieur de votre service, répond la conférencière. Votre patron et vos collègues vous voient d’un œil. Les autres services auront un regard neuf qui permettra à d’autres aspects de votre personnalité de se manifester. »

Pour devenir gestionnaire, il faut migrer du rôle de pôle à celui de pont. Le pôle, c’est le spécialiste que tout le monde consulte. Il se situe au cœur des échanges, mais il sort peu du cercle. On vient à lui, il ne va pas à l’extérieur. À l’opposé, le pont fait la liaison entre son service et le monde extérieur. Il entre en relation avec une pléiade d’intervenants.

Quatre comportements peuvent contribuer à la transition vers un poste de gestion. D’abord, revoir l’utilisation de notre temps pour intégrer de nouvelles tâches qui nous mèneront ailleurs. « La plupart d’entre nous consacrent leur temps à leur passé plutôt qu’à leur futur, constate Herminia Ibarra. Nous nous concentrons sur les tâches dans lesquelles nous excellons, parce que c’est facile et gratifiant. » Il devient de plus en plus exigeant de changer. C’est ainsi que notre passé devient notre avenir. Ensuite, il faut revoir notre cercle de fréquentations. « Nos réseaux nous ressemblent trop, relève l’auteure. Pour écrire une nouvelle histoire, pour relever de nouveaux défis, il faut cultiver des liens faibles avec des gens très différents de nous. » Enfin, il faut s’amuser. « Ne prenez donc pas tout au sérieux. Collaborez à de nouvelles expériences, juste pour voir si cela vous plaît.

Le succès selon Jim Collins : jongler avec des balles et des boulets de canon

« Le succès n’est pas le fruit de la chance ni de circonstances favorables, souligne Jim Collins. Le succès est une question de choix. Les entreprises se démarquent lorsque leurs dirigeants font de bons choix. » Ces dirigeants maximisent le ROL (« return on luck »). « Les gagnants ne sont pas plus chanceux que les autres, ils tirent simplement mieux profit de la chance lorsqu’elle se présente. » Il cite la chance liée aux rencontres (« who luck »). De nombreuses personnes croisent notre chemin, mais il faut se demander si nous profitons de leurs réseaux ou de leur expertise. Collins poursuit en parlant des balles et des boulets de canon. « Les sociétés remarquables ne se contentent pas d’innover, elles massifient leurs innovations. Faites d’abord les choses à petite échelle, puis investissez le nécessaire pour passer à grande échelle. » Il cite trois erreurs fréquentes qui empêchent les entreprises d’avancer ou les font reculer. Elles ne lancent pas assez de balles. C’est-à-dire qu’elles n’investissent pas assez dans l’expérimentation de nouveaux concepts. D’autres réalisent de nombreuses expérimentations, mais lorsque vient le temps des vraies offensives, elles se dégonflent. Elles ne lancent que des balles, jamais de boulets de canon. Reste les entreprises qui lancent des boulets de canon à tous moments et dans toutes les directions... pour avoir l’air d’innover !

Les conseils d'un négociateur d'otages

« Avez-vous déjà essayé de discuter avec quelqu’un que vous avez envie de gifler tant il vous irrite ? » demande George Kohlrieser. Une drôle de proposition venue d’un drôle de bonhomme. Kohlrieser enseigne la gestion à l’International Institute for Management Development (IMD) et il est négociateur lors de prises d’otages.

« Chacun de nous est l’otage de quelque chose ou de quelqu’un : notre patron, un collègue, un client, nos émotions, notre culpabilité, etc. Amorcer un dialogue avec celui ou celle qui fait de vous un otage peut changer la suite de votre histoire. » Il ajoute : « Si vous écoutez vraiment et que vous répondez honnêtement aux questions de votre interlocuteur, cela peut vous libérer de ce qui vous empêche d’avancer ». Pour y arriver, les hommes et les femmes auraient des obstacles à surmonter, selon Kohlrieser. Les hommes ont à apprendre la proximité. Les femmes, elles, doivent mieux composer avec les conflits.

Suivez Diane Bérard sur Twitter @diane_berard

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