« Aligner les intérêts génère le succès. »

Publié le 21/01/2011 à 15:03, mis à jour le 21/01/2011 à 15:03

« Aligner les intérêts génère le succès. »

Publié le 21/01/2011 à 15:03, mis à jour le 21/01/2011 à 15:03

Par Premium

Ennemi avoué des conflits d’intérêts, de l’individualisme des employés surperformants et de la gourmandise de certains dirigeants, le PDG Jacques Guénette bouscule les idées reçues sur la gestion. Un art qu’il maîtrise, comme en témoigne notamment la présence de son entreprise au Panthéon permanent du Défi Meilleurs Employeurs, depuis 2005. Propos et confidences d’un leader d’exception.

Je n’ai jamais fréquenté les sentiers battus. Renvoyé de deux collèges et refusé dans 10 autres, j’ai toujours eu du mal à m’adapter au système scolaire. Cela valait également pour les HÉC, où j’ai presque obtenu mon baccalauréat en administration (B.A.A.) en 1967. Je faisais prendre mes notes de cours pendant que je travaillais à temps plein, et je ne me présentais qu’aux examens.###

Comme j’avais besoin d’argent, je me suis mis à enseigner. J’ai été recruté par hasard par un ancien prof et j’ai appris le métier à la dure. Aussi, ma première classe réunissait tous les abrutis et les doubleurs de la 9e année générale de l’école secondaire, et on a tôt fait de l’appeler « la générale à Guénette ». J’enseignais toutes les matières et, déjà, je ne faisais rien comme les autres. Étonnamment, mon groupe est devenu extraordinaire et il a remporté tous les championnats scolaires imaginables. Pourquoi ? Parce qu’il avait trouvé un prof qui respectait ses élèves tout en étant extrêmement exigeant sur le plan de la discipline. Quand un des élèves dérapait pendant les cours, je le prenais à part. J’enlevais mon veston, je slackais ma cravate et je lui parlais en termes vrais. Pas question de faire n’importe quoi dans ma classe : les choses avaient un sens — et parce que nous en avions parlé ouvertement, les élèves comprenaient et changeaient leur comportement. Nous avons eu un fun noir toute l’année ! C’est formateur, une expérience comme celle-là. Cette méthode influence encore aujourd’hui mon style de gestion : on s’assoit, on se dit les « vraies affaires », et les gens embarquent. Fin de l’histoire.

Repenser le monde du travail

Je me suis intéressé aux technologies informatiques par hasard. Après avoir fait mes premières armes chez Unigesco, j’ai eu comme cliente la Société Cogito, une boîte informatique dont je suis devenu actionnaire en 1970. C’est là que j’ai fait la connaissance de Claude Lalonde, avec qui j’allais fonder D.L.G.L., 10 ans plus tard. Cogito comptait alors 200 employés et avait des bureaux à Montréal, à New York, au New Jersey… En vrais novices, nous avons commis toutes les erreurs possibles. Si bien que Claude et moi avons tout traversé ensemble, même la descente aux enfers. Nous bâtissions l’entreprise sur des dettes, sans aucune capitalisation. Son manque de structure financière la rendait très vulnérable, et les créanciers l’ont revendue à des gens mieux capitalisés. Cet échec cuisant m’a appris qu’une entreprise doit être solidement capitalisée pour ne pas avoir à demander de permission à qui que ce soit — surtout pas aux banquiers.

Plus important encore, cette aventure a façonné ma façon de voir le monde du travail. À l’époque, l’informatique connaissait une effervescence extraordinaire, un peu comme celle qu’allaient connaître les dot-com. C’était nouveau, sexy. Tout était à inventer. Nous couchions littéralement sous les bureaux. Tout ça bouffait les employés et leurs familles. Et plusieurs personnes ont souffert terriblement de cette explosion.

Ce constat nous a amenés, Claude et moi, à repenser le modèle. Oui, nous voulions nous relancer en affaires et créer une nouvelle entreprise, mais pas au prix de la qualité de vie des gens. C’est pourquoi nous avons tout d’abord élaboré notre énoncé de philosophie. La qualité de vie pour tous est devenue notre priorité absolue.

Inverser les valeurs

En 1980, trois ans après avoir touché à la gestion intérimaire — un boulot qui m’a appris que je ne voulais plus jamais travailler pour quelqu’un d’autre —, j’ai construit, lentement et prudemment, D.L.G.L. avec Claude Lalonde à mes côtés. Afin de concrétiser notre philosophie, nous avons décidé d’inverser les valeurs de l’entreprise, en créant d’abord et avant tout de la valeur, pas pour les actionnaires mais bien pour les employés. Aussi loufoque qu’elle puisse paraître, cette stratégie guide encore notre mission aujourd’hui. Elle va à l’encontre du modèle courant, mais, à mon sens, aucune organisation n’est viable pour les actionnaires et les clients si elle ne repose pas avant tout sur la richesse de sa base.

Chez nous, créer de la valeur pour les employés se traduit par une foule de gestes concrets. Par exemple, outre des salaires compétitifs, nous offrons un plan de participation aux revenus bruts, des bonis généreux, un fonds de pension (une rareté dans la petite entreprise) qui atteint déjà 11 millions de dollars. De plus, nous avons créé un pot pour inciter les gens à arrêter de fumer ou à se mettre en forme. Nous offrons aussi les services d’une entraîneure physique à temps plein et l’accès, même les week-ends, à un gymnase tout équipé.

Notre structure n’est pas pyramidale mais sphérique. Il n’y a pas de place pour la hiérarchie : personne n’a de titre sur sa carte professionnelle, les employés s’évaluent entre eux, et ils gèrent eux-mêmes leurs vacances et leurs congés. Nous misons sur les compétences de chacun. En contrepartie, nous nous attendons à ce que les gens donnent le meilleur d’eux-mêmes. Pas plus. Pas moins. À vrai dire, la culture de l’entreprise préconise la confiance. Et il n’y a pas d’abus, pour la simple raison que les employés se comportent comme on les traite, c’est-à-dire avec respect, et qu’ils doivent rendre des comptes à leurs pairs.

Atteindre un roulement de personnel zéro

Notre façon de faire a suscité — et suscite toujours — l’étonnement dans le milieu des affaires. On me demande souvent comment une entreprise peut se permettre d’offrir autant de privilèges à ses employés. En fait, ce que nous ne pouvons pas nous permettre, c’est de perdre constamment des employés. Entre nous, s’il fallait que chez D.L.G.L. nous ayons un taux de roulement comparable à celui de l’industrie, soit de 15 à 20 %, nous ne pourrions pas prétendre à l’excellence.

Chez nous, le taux de roulement est nul. Depuis trois ans, notre équipe est restée la même et nous n’avons embauché personne, malgré une croissance significative. La moyenne d’ancienneté de nos employés s’élève à 13,7 ans, et l’absentéisme est inexistant. Résultat, notre niveau de compétence va toujours en augmentant. Bien entendu, nous ne comptons que 93 employés : d’une certaine façon, c’est petit, mais, de l’autre, c’est gigantesque. Car ils sont tous extrêmement expérimentés.

En somme, les coûts engendrés par les privilèges que nous accordons à nos employés sont négligeables par rapport à ce qu’il en coûterait de perdre ne serait-ce qu’un seul employé aux mains d’un de nos concurrents.

Partager les profits

À ceux qui nous demandent : « Pourquoi partager vos profits ? », je réponds : « Pourquoi pas ? » Il n’y a aucune raison de ne pas le faire. En effet, croire qu’il faut s’assurer d’en garder le plus possible pour soi est une très mauvaise prémisse. Après tout, lorsque chacun y trouve son compte, il y en a pour tout le monde. Et puis, les privilèges consentis aux employés ne mettent pas l’entreprise en péril, au contraire. J’aime mieux que nous nous comportions de façon juste et raisonnable que continuer à m’enrichir ou posséder quatre bateaux.

Entre nous, qu’est-ce qui est trop généreux ou pas assez ? La question se pose, surtout que, tout compte fait, ma philosophie d’entreprise donne, sur le plan financier, de bien meilleurs résultats que celle d’autres organisations plus traditionnelles.

À vrai dire, notre façon de faire est simple. Tout le monde peut s’en inspirer et nous imiter. À condition de se fixer des priorités, d’élaborer des stratégies cohérentes et d’agir en conséquence. Aussi, afin d’éviter d’entraîner les employés dans la spirale de la surproductivité, nous avons adopté un plan d’affaires raisonnable. Oui, raisonnable. Nous ne signons pas des contrats simplement pour faire fonctionner l’entreprise.

Certaines organisations sont trop contraintes par le fameux impératif de création de valeur pour les actionnaires pour pouvoir même songer à nous imiter. C’est connu, on peut tout se permettre — même le pire ! — au nom de cet impératif. Il pardonne tout ! Le problème, c’est que cette mentalité génère des conflits d’intérêts, les ennemis mortels de l’entreprise. Par exemple, lorsqu’un conseil d’administration ne privilégie que les intérêts des actionnaires, il est tenté d’embaucher le PDG le plus cow-boy possible pour y parvenir, sans égard aux clients et encore moins aux employés. Et c’est la catastrophe : l’alignement des intérêts communs est inexistant et chacun tire alors dans sa direction, au détriment de l’organisation.

Un autre exemple encore plus révoltant a trait à la rémunération des chefs d’entreprise, surtout aux États-Unis. Quand j’entends des leaders dire à leurs employés que tout le monde doit se serrer la ceinture et que, par ailleurs, ces mêmes dirigeants se votent des bonis indécents ou s’offrent des parachutes dorés, je me dis que les gens les perçoivent tels qu’ils sont : des bouffons. Or, aucun employé sensé ne peut avoir de respect envers un bouffon. Personne n’est dupe. Ce que certains leaders croient pouvoir faire avaler à leurs troupes est vraiment aberrant ! Pourtant, there’s nowhere to hide dans une entreprise, et cela vaut pour tout le monde. Même pour les PDG.

Surmonter les crises

Évidemment, diriger une entreprise, même saine, ne met pas à l’abri des crises. Aussi, en 1993, 13 ans après la création de la boîte, notre plus gros client, alors au bord de la faillite, a annulé le projet sur lequel nous travaillions depuis plusieurs années. Du coup, nous nous sommes retrouvés sans client ni contrat. Une crise majeure qui a duré un an. Pour survivre, nous sommes alors passés de 32 employés à 21 en une seule journée. Les employés qui sont restés ont même accepté une diminution de salaire. Heureusement, nous avions mis quelques millions de dollars de côté. Mais ce fonds s’épuisait vite. Nous nous sommes alors fixé des check-points pour mieux nous permettre d’évaluer la situation. Claude et moi, nous avons tout mis dans l’entreprise. Chaque fois que nous atteignions un check-point (le risque de perdre de l’équipement, l’immeuble, voire nos maisons), nous nous demandions si nous voulions poursuivre l’aventure. Dans la foulée, nous sommes devenus une entreprise de produits. Nous sommes passés en mode développement et nous avons dû repenser nos ressources humaines. J’ai rencontré personnellement les employés que nous avions laissés aller. À trois semaines de manquer de fonds est arrivé un contrat providentiel qui a permis de redresser l’entreprise, et de la relancer sur de nouvelles bases.

Il y a un an, un gros joueur, le plus important de notre industrie, a fait une offre pour se porter acquéreur de D.L.G.L. Il s’agissait d’un acquéreur stratégique. Le genre d’acquéreur rêvé, à même de lancer la société en orbite sur le plan international. Il était impensable de ne pas considérer cette offre, d’autant que, conformément à nos engagements, nous devions verser 20 % des revenus de la vente à nos employés. Le comité de gestion de l’entreprise s’est penché sur la question et a soupesé trois possibilités : a) ne rien faire ; b) se laisser acheter ; c) devenir une société publique.

J’aurais pu intervenir, mais je me suis gardé de le faire, bien résolu à respecter la décision du comité. Après tout, il y a pire que d’encaisser un chèque dans les huit chiffres ! Au terme de quatre heures de discussion, le comité a retenu unanimement le premier scénario : ne rien faire. J’avoue avoir été extrêmement ému de la décision de mes pairs. Le soir même, j’ai écrit un long courriel à tous les employés en leur disant ce que cette décision leur avait « coûté » ! Le lendemain matin, ils m’ont inondé de messages pour me remercier de ne pas avoir vendu D.L.G.L. C’est le plus beau cadeau que je pouvais recevoir ! Car à mon sens, l’attachement des employés à l’entreprise est beaucoup plus important que la propriété financière.

Assurer la transition

Je prends progressivement ma retraite de D.L.G.L. Notre culture, extrêmement forte, est toujours ancrée dans l’esprit de nos employés. Mais le paysage a changé. Mon associé, Claude Lalonde, a succombé à un cancer en 2001. Sa perte a été éprouvante, mais, comme l’organisation était soudée, elle a tenu le coup. De mon côté, je prépare activement la transition. J’ai mis sur pied un comité de gestion qui fonctionne à merveille. Je suis au bureau une fois par semaine, pas par nécessité, mais parce que j’y prends un grand plaisir et que je crois pouvoir encore contribuer au succès de l’entreprise.

Ma plus grande fierté, c’est de réaliser que la culture d’entreprise, si bien implantée, ne nécessite pas ma présence pour exister. À l’annonce de sa maladie, mon associé avait souhaité que nous poursuivions l’aventure, même sans lui. Il m’a légué la mission de veiller à ce que l’entreprise survive à ses fondateurs, et qu’elle demeure dans les mains des employés qui l’ont bâtie. Si le présent est garant de l’avenir, je peux prédire que la mission sera accomplie.

Propos recueillis par Manon Chevalier

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