Entrevue: Jean-Claude Biver, pdg de Hublot

Publié le 07/07/2012 à 00:00

Entrevue: Jean-Claude Biver, pdg de Hublot

Publié le 07/07/2012 à 00:00

Par Diane Bérard

Jean-Claude Biver, pdg de Hublot

«Meilleur communicateur», «Pdg de l'année», «Leader de l'année», «Meilleur design», Jean-Claude Biver collectionne les honneurs. L'entrepreneur de 63 ans a contribué à la renaissance de l'industrie horlogère suisse en ressuscitant trois marques : les montres Blancpain et Omega (aujourd'hui propriétés de Swatch), ainsi que Hublot. Je me suis entretenue avec lui à New York, lors du World Innovation Forum.

DIANE BÉRARD - Vos montres coûtent des dizaines de milliers de dollars, mais elles ne servent pas à donner l'heure. Où est la logique ?

Jean-Claude Biver - Vous lisez encore l'heure sur votre montre ? Moi pas. Pour ça, j'ai mon iPhone. Les montres Hublot servent à montrer que vous êtes riche, élégant, sportif, «bling-bling», etc. Vous avez autant de choix pour exprimer votre personnalité que nous avons de modèles. En somme, nous vendons des outils de communication déguisés en montres. Mais nous ne sommes pas les seuls à penser ainsi. Croyez-vous que tous les acheteurs de produits Nike font du sport ? Hublot vend des montres qui ne servent pas à lire l'heure comme Nike vend des chaussures qui ne servent pas nécessairement à faire du sport.

D.B. - Vous avez acheté une société en crise en 2004. Pour sauver Hublot, vous l'avez «libérée de son produit». Pourquoi et comment ?

J.C.B. - Un produit se rattache à une mode, ce qui rend son succès temporaire. La marque qui repose sur ce produit devient elle-même fragile. La solution : chercher le message derrière votre produit. Ainsi, votre produit deviendra l'ambassadeur de votre message. Toutes les entreprises ont déjà connu un «avant», une période de prospérité. Car, sans cet «avant», elles ne seraient pas là aujourd'hui. C'est dans ce passé qu'il faut puiser pour retrouver les germes du message qui ont donné naissance à votre produit. Votre passé comprend les raisons de votre succès et de votre échec.

D.B. - Hublot ne vend plus un produit, elle vend un message. Quel est-il ?

J.C.B. - Le Big Bang ! Nous avons recréé le Big Bang à travers notre produit. Nos montres juxtaposent deux matières, le caoutchouc et l'or. À première vue, ces matériaux n'ont aucune raison de se rencontrer. Le premier pousse dans les arbres et le second est caché sous la terre. Hublot a donc recréé son propre Big Bang en procédant à cette fusion improbable. Telle est l'essence de notre marque.

D.B. - Vous affirmez que les entreprises en crise préfèrent «l'espoir à l'action». Expliquez-nous.

J.C.B. - On voit tous venir la fin de nos réussites. Mais nous fermons les yeux. Nous trouvons des excuses en attendant un miracle.

D.B. - Vous estimez plus rentable de retrouver sa marque plutôt que de la réinventer ou d'en créer une autre. Pourquoi ?

J.C.B. - Si vous vous déconnectez de vos racines, la sève ne monte plus et l'arbre meurt. Ce sont les risques et les coûts associés au fait de réinventer une marque. Supposons maintenant que vous en créez une nouvelle. Cela équivaut à planter un arbre. Avez-vous songé au temps requis avant qu'il n'atteigne une taille raisonnable ? N'est-il pas plus simple de réanimer les plants que vous possédez déjà ? Hélas, ce n'est pas le réflexe des dirigeants. Le salut de leur entreprise passe toujours par la prochaine marque qu'ils vont créer. Cela ne règle rien. Chaque fois qu'elles créent une marque plutôt que de trouver leur message, les entreprises ne font que remplacer une dépendance par une autre.

D.B. - Vous avez navigué sur la présente crise en augmentant vos dépenses, est-ce bien raisonnable ?

J.C.B. - Ce n'est pas tout à fait ça... je n'ai augmenté que les dépenses stratégiques, soit la R-D et le marketing. Lorsque le futur est trouble, il faut plus innover pour contrecarrer le doute. Quant au marketing, c'est un instrument de communication pour faire connaître votre produit et votre marque. La crise brouille la communication. Que faites-vous lorsqu'il y a de la friture sur la ligne ? Vous parlez plus fort. Augmenter les dépenses de marketing, c'est parler plus fort à vos clients.

D.B. - Vous vendez des objets de luxe, vos clients ont encore de l'argent malgré la crise. Mais cela vaut-il la peine de faire du marketing auprès de clients qui n'ont plus les moyens de dépenser ?

J.C.B. - La crise finira un jour. Quand les consommateurs recommenceront à acheter, se souviendront-ils de votre entreprise ?

D.B. - Pendant la crise, vos employés ont voyagé en première classe plutôt qu'en classe économique. Était-ce nécessaire ?

J.C.B. - C'était essentiel. Pendant les crises, il faut rassurer. Or, pour rassurer, vous devez être présent. Lorsqu'un patient est atteint d'une maladie grave, son médecin ne se contente pas de le visiter une fois par jour. Cela peut grimper à deux ou trois fois. Lorsque le marché est malade, vous devez faire comme le médecin et augmenter les visites. Cependant, la quantité sans la qualité ne mène à rien. Si vos employés visitent les clients trois fois plus souvent, mais qu'ils ont l'oeil cerné, cela ne donne pas grand-chose. Un large sourire et une mine radieuse convainquent davantage.

D.B. - Depuis que vous dirigez Hublot, vous avez connu deux crises. Il y en aura d'autres. Comment se préparer à la prochaine ?

J.C.B. - D'abord, imiter l'écureuil et faire des réserves. Lorsque vous avez 10 $, n'en dépensez que 8 $. Les Américains, eux, lorsqu'ils ont 10 $, ils en dépensent 15 $... Ensuite, travailler sa marque en profondeur. Plus les racines d'une plante sont profondes, moins elle souffre des sécheresses épisodiques.

D.B. - Vous comparez le «courtermisme» au dopage chez les athlètes. Expliquez-nous.

J.C.B. - Après le «high» vient toujours le «down», pour les athlètes comme pour les entreprises. Chaque fois que vous optez pour une stratégie opportuniste qui vous fait avancer plus vite - comme la drogue propulse l'athlète -, la réalité finit par vous rattraper. Les entreprises sont le reflet des hommes qui les composent. Nous sommes tous animés par les mêmes sentiments que les personnages des fables de La Fontaine, et nous pouvons commettre les mêmes bêtises qu'eux.

«Après le "high" vient toujours le "down", pour les athlètes comme pour les entreprises. Chaque fois que vous optez pour une stratégie opportuniste qui vous fait avancer plus vite - comme la drogue propulse l'athlète -, la réalité finit par vous rattraper.»

LE CONTEXTE

L'été amène son lot d'événements sportifs de prestige. Des manifestations auxquelles Jean-Claude Biver a su habilement associer son produit. Les créations Hublot sont les montres officielles de la Coupe du monde de football, de l'Euro et du championnat de F1. Et celles du Yacht Club de Monaco. Dans une autre vie, il a convaincu James Bond de porter une montre Omega.

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