Entrevue: Joi Ito, directeur du Media Lab du MIT

Publié le 14/04/2012 à 00:00

Entrevue: Joi Ito, directeur du Media Lab du MIT

Publié le 14/04/2012 à 00:00

Par Diane Bérard

Joi Ito, directeur du Media Lab du MIT

Citoyen japonais et résident américain, Joi Ito, le directeur du Media Lab du MIT, est l'incarnation parfaite de l'homme de la Renaissance du 21e siècle. À 44 ans, il possède diverses expériences : entrepreneur, ange financier, administrateur et, depuis avril 2011, il dirige l'un des centres de recherche les plus prestigieux du monde.

DIANE BÉRARD - Vous appartenez aux pionniers d'Internet au Japon. Vous comptiez aussi parmi les premiers investisseurs de Twitter, Flickr et cie. Comment jugez-vous l'évolution d'Internet ? Vers quoi nous dirigeons-nous ?

JOI ITO - Nous n'avons rien vu encore ! Internet a renversé des gouvernements. Il contribuera désormais à les bâtir, à les rendre plus robustes. Les prochaines années seront celles du gouvernement «ouvert» (open government) où les citoyens pourront converser avec les élus et avoir accès à l'information qui les concerne.

D.B. - À propos d'Internet et de la vie privée, vous avez déjà dit : «Les citoyens en dévoilent trop et les organisations, pas assez». Cela vous inquiète-t-il ?

J.I. - Le dossier de la vie privée se compare à celui de l'environnement. Les experts sont conscients que c'est sérieux. La population, elle, ne s'en est pas encore rendu compte. Et rien ne bougera sans une prise de conscience collective. Lorsque les citoyens estimeront que le dossier de la vie privée devra être réglé, il se passera quelque chose. D'ici là, il n'y aura pas mort d'hommes. Nous allons souffrir, certes, mais ce sera désagréable comme un gros rhume. Nous finirons bien par guérir.

D.B. - Le Media Lab du MIT est-il toujours le regroupement de marginaux qu'il fut à sa fondation, en 1985 ?

J.I. - Absolument ! Ici, tout le monde entretient la même obsession du futur. Depuis les designers de produits jusqu'aux informaticiens en passant par les experts en nanotechnologies, nous tentons tous d'imaginer comment la technologie peut faciliter la vie des humains. Évidemment, nos champs de recherche ne sont plus les mêmes qu'il y a 27 ans. À l'époque, Internet n'existait pas et la révolution PC n'avait pas eu lieu. Le monde d'aujourd'hui est plus complexe, plus interrelié. C'est un univers de réseaux. Ce qui rend l'approche multidisciplinaire du Media Lab encore plus pertinente.

D.B. - «Tais-toi et construis !» est la devise du Media Lab. Expliquez-la-nous.

J.I. - Le monde universitaire est souvent axé autour de la recherche fondamentale. On vous finance afin que vous creusiez un sujet très étroit. Vous produisez ensuite un article scientifique énonçant vos résultats. Ce type de recherche est important, mais ce n'est pas ce que nous faisons ici. Comment voudriez-vous que des spécialistes de différentes disciplines rédigent un article ensemble ? Ils perdraient un temps fou à argumenter sur le choix et la signification des mots ! Nous leur disons plutôt : «Bâtissez quelque chose ensemble». Du coup, personne ne s'obstine et tous travaillent en fonction d'un but concret.

D.B. - Un des cours les plus populaires de votre département se nomme «Comment tout fabriquer» (How to build anything). De quoi s'agit-il ?

J.I. - Ce cours vous permet de comprendre comment les objets sont faits. Après l'avoir suivi, nos étudiants peuvent regarder n'importe quel objet et déduire comment il a été créé. Du coup, aucun projet de création ne leur fait peur.

D.B. - Quelle est la contribution de vos étudiants à la société une fois qu'ils sont diplômés ?

J.I. - Certains deviendront entrepreneurs sociaux en Afrique. D'autres, chefs de la création dans de grandes sociétés. Chaque organisation a besoin d'un employé créatif et multidisciplinaire. La spécialisation devient moins pertinente. Nous devrions tous développer notre capacité à apprendre.

D.B. - Votre vision du leadership est peu banale. Vous estimez que jouer à World of Warcraft (WOW) prépare mieux à devenir gestionnaire qu'étudier des cas au MBA...

J.I. - Jouer à WOW fait appel au leadership du futur, alors que les cas du MBA appartiennent souvent au leadership du passé. WOW est une communauté. Les joueurs ne sont pas payés et peuvent partir n'importe quand. Pour conserver votre équipe et gagner, il faut gérer avec doigté. Garder les joueurs motivés en leur offrant des missions où ils tiennent des rôles correspondant à leurs intérêts. Ça vous fait penser à quelque chose ? La nouvelle génération d'employés se soucie bien moins de l'organisation qui l'emploie que de ce qu'elle peut en tirer. Elle veut se développer. Les ressemblances entre WOW et la nouvelle réalité des entreprises ne s'arrête pas là. Dans un cas comme dans l'autre, vous ne savez jamais de quelles ressources vous disposerez. Elles apparaissent au fur et à mesure de la «mission». Il faut réagir vite, gérer le risque. Les entreprises n'ont plus les moyens d'accumuler les ressources en vue du jour où elles en auront besoin. Elles doivent plutôt savoir où celles-ci se trouvent et comment y accéder le moment venu. La prochaine fois que vous regarderez par-dessus l'épaule de votre fils en train de jouer à WOW, dites-vous qu'il développe ses talents de gestionnaire !

D.B. - Vous suggérez aussi d'aller nager en compagnie de requins pour apprivoiser le chaos et l'incertitude et surmonter nos idées reçues...

J.I. - J'ai toujours pensé que les requins étaient des créatures dangereuses et imprévisibles. Puis, j'ai nagé avec eux. Après quelques heures, j'ai réalisé que les requins sont des êtres relativement prévisibles. Je dirais même que ce sont des créatures calmes et agréables à observer. Mais pour en arriver à cette conclusion, il a fallu que je surmonte mes appréhensions et mes idées préconçues. Parfois, pour apprendre, il faut d'abord désapprendre.

«Jouer à World of Warcraft fait appel au leadership du futur, alors que les cas étudiés au MBA appartiennent souvent à celui du passé.»

LE CONTEXTE

La formation continue et la multidisciplinarité constituent des préalables au monde du travail du 21e siècle. Au Media Lab du MIT, on applique cette philosophie depuis 1985. Ce laboratoire inusité rassemble quelques-uns des esprits les plus créatifs de la planète, issus de tous les horizons, pour qu'ils dessinent notre futur technologique.

À la une

Les scénaristes canadiens disent oui à un mandat de grève

La Writers Guild of Canada représente près de 2500 scénaristes anglophones au pays

Y'as-tu d'la bière icitte?

EXPERT INVITÉ. La bière est une thématique d’investissement extrêmement forte de plusieurs milliards de dollars.

Gain en capital ou être né pour un petit pain

«L’augmentation de la tranche imposable sur le gain en capital imposée par Ottawa et Québec est une mauvaise idée.»