Douze manières d'innover à la québécoise


Édition du 23 Novembre 2013

Douze manières d'innover à la québécoise


Édition du 23 Novembre 2013

Par Claudine Hébert

Nous avons demandé à une douzaine de personnalités dans divers secteurs de nous donner leur meilleur exemple d'innovation ainsi que la recette de leur succès. Voici leurs réponses.

1. Un grain de folie nécessaire pour évoluer

NORMAND LAPRISE, chef et copropriétaire du restaurant Toqué !

Coté cinq diamants CAA/AAA depuis 2005

«De nos jours, grâce aux technologies, on peut tout faire en cuisine. Plusieurs chefs en oublient cependant l'essentiel. Au-delà des modes, des tendances, l'innovation dans les plats commence avant tout par la maîtrise des vraies bases. Depuis l'ouverture du restaurant, il y a 20 ans, notre philosophie consiste à valoriser l'intégrité, l'authenticité et la traçabilité des aliments. Et on n'en démord pas. Après tout, le nom Toqué ! veut dire entêté. Cette façon de faire nous incite à être sans cesse imaginatifs pour respecter notre engagement. Puisque nous ne cuisinons qu'avec des produits locaux, des produits frais du terroir, chaque saison hivernale apporte son lot de défis. Ne cherchez pas des asperges fraîches sur notre menu ces temps-ci, on n'en commande pas. Il faut donc faire preuve de créativité pour maximiser nos provisions. Prenons l'exemple de la tomate fraîche. Lorsque nous préparons nos conserves, nous récupérons la pulpe et l'eau qui s'égoutte pour en faire des poudres, des gelées, soit des ingrédients qui rehausseront d'autres plats. Idem pour les poires, les fraises, les framboises : on réutilise tout pour en faire des caramels, des pâtes à dessert, des sirops, des vinaigres. Même principe pour les viandes. Plutôt que de se limiter à certaines pièces, on achète des carcasses entières à nos producteurs. Encore une fois, cette méthode nous garde en éveil. Elle nous pousse à innover, à trouver des recettes pour rendre appétissantes les autres parties moins populaires de l'animal. Une belle folie qui permet au restaurant de continuer à évoluer.»

2. Trouver les bonnes idées là où elles sont... même en vacances

SIMON DE BAENE, président et fondateur de GSoft

«Chez nous, l'innovation consiste à développer des logiciels qui répondent aux besoins des entreprises. Elle consiste aussi à développer des solutions visant à favoriser la rétention des employés. Déjà, on le fait par nos pratiques. On fournit le lunch trois fois par semaine, on offre des vacances illimitées. Il n'y a aucun horaire fixe. On organise même, depuis trois ans, nos partys de Noël à l'étranger. C'est d'ailleurs le tout premier voyage à Las Vegas qui nous a inspiré la création de notre nouvelle plateforme Officevibe, un produit qui permet de bâtir une culture d'entreprise en combinant plaisir et productivité.

Les générations Y et Z adorent le côté «gamification». Pour obtenir leur billet pour Las Vegas, les employés devaient pratiquer des activités physiques. Chaque activité, selon leur intensité et leur temps, correspondait à un nombre de pas. Chaque employé devait donc bouger suffisamment afin de parcourir la distance entre Montréal et Las Vegas.

Pourquoi ne pas développer de telles plateformes ludiques pour d'autres entreprises ? Lancée en juillet dernier, notre plateforme Officevibe comprend une série de comportements sociaux (apporter le café à ses collègues, prendre une pause, mettre en place des pratiques de recyclage, développer des techniques productives), qui donnent des points à l'employé. Chaque entreprise peut faire arrimer la plateforme à ses valeurs, à ses objectifs. C'est justement ce que vient de faire Microsoft Canada, qui présentera notre plateforme à ses 1 000 employés, dès janvier.»

3. Un laboratoire qui sauve des enfants

MARTIN GODBOUT, président du CA de Génome Québec

«Depuis 20 ans, la génomique, cette science moderne qui permet de mieux comprendre le fonctionnement du corps humain, a fait des pas de géant. La dernière innovation dans ce domaine est l'ouverture du tout premier laboratoire de génomique clinique pédiatrique à l'hôpital Sainte-Justine. Grâce à ce tout nouveau laboratoire, finies les interminables batteries de tests pour un enfant atteint d'une maladie génétique rare. Les tests pilotes, menés auprès d'une centaine d'enfants, ont permis d'établir des diagnostics précis en moins de six, voire de trois mois. Une avancée extraordinaire quand on sait qu'un diagnostic concernant ces maladies pédiatriques pouvait prendre deux, trois, voire dix années avant d'être prononcé avec exactitude. On estime à près de 300 le nombre de maladies génétiques rares pédiatriques au pays. Plus de 3 000 enfants en sont atteints chaque année. Mais il reste encore beaucoup de travail à faire. Cette innovation demeure un diagnostic. Non une cure.»

4. Un moteur d'avion plus économe

HANY MOUSTAPHA, directeur et professeur de l'AéroÉTS et conseiller technologique chez Pratt & Whitney

«Le tout nouveau moteur Pratt & Whitney utilisé dans les nouveaux CSeries constitue l'un des meilleurs exemples d'innovation de l'aéronautique moderne. Pour la première fois, ce moteur GTF (Geared Turbofan), qui a nécessité près de 10 ans de R-D, permet d'employer une boîte de vitesse à l'intérieur de son mécanisme. Ce qui était jusqu'à ce jour réservé aux moteurs d'avions à hélices et aux hélicoptères.

La certification de ce moteur élaboré conjointement par Pratt & Whitney Canada et Pratt & Whitney USA a nécessité un long processus coûteux et laborieux. En général, une nouvelle technologie aérospatiale prend trois années d'essais au sol et en vol. Dans ce cas-ci, compte tenu de l'aspect révolutionnaire de l'innovation, on a eu besoin de près du double. Plusieurs configurations ont été nécessaires afin de mettre au point la performance, la durabilité, le poids du moteur et son coût de production. Résultat ? En plus de réduire de 30 à 40 % ses émissions de bruit, ce nouveau moteur consomme jusqu'à 25 % moins de carburant que les moteurs turbos actuels pour avion de 150 passagers et moins. Sa composition permet aussi de réduire jusqu'à 25 % les coûts d'entretien. Jusqu'à maintenant, plus de 3 500 moteurs ont trouvé preneur dans le monde. Mais c'est Bombardier qui est le premier à les utiliser.»

5. Un marché plus grand que prévu

DANIEL AYOUB, président et coactionnaire de QSD

«Formée de six passionnés de sport, dont un chirurgien, QSD avait pour objectif, il y a huit ans, de mettre au point des vêtements de compression pour faciliter le rétablissement des patients ayant subi une invention chirurgicale. Ces vêtements ont des zones de pression qui ont pour effet de stimuler la circulation sanguine. Tout a donc commencé avec un short et un soutien-gorge.

De fil en aiguille, on s'est demandé : pourquoi ne pas faire profiter la clientèle sportive de nos innovations ? Aujourd'hui, on fabrique plus d'une soixantaine de vêtements de compression, sous la marque EC3D, qui habillent les sportifs de la tête aux pieds. Nous consacrons plus de 20 % de notre chiffre d'affaires à la création. Nous avons été les premiers à produire des bas de compression avec des zones de pression précises, il y a deux ans.

Notre plus récente nouveauté, lancée au printemps 2013, est justement une paire de bas dont les zones de pression changent, selon que la personne est en action ou au repos. Ces bas permettent de se rétablir 40 % plus rapidement après une opération. Bien que nos vêtements soient d'abord pensés et conçus pour les athlètes professionnels, plus de 85 % des ventes sont effectuées auprès du grand public.

Fait à noter : aucune de nos innovations n'est brevetée ! C'est un choix d'entreprise. Le brevetage d'un produit engendre des frais importants. Or, dans l'industrie textile, une simple maille qui diffère permet aux concurrents de changer la formule d'un produit. On n'aurait pas les moyens de se défendre...»

6. Des robots pour garder des emplois

YVES GOUDREAU, vice-président, développement corporatif, de Premier Tech

«Chez Premier Tech, nous avons des robots qui servent à manipuler des produits qui vont sur des palettes. Cette robotisation permet de manipuler des sacs et des boîtes lourds. Une tâche qui, par le passé, était effectuée par les membres du personnel. En plus d'accroître la compétitivité, l'automatisation améliore les facteurs santé et sécurité du personnel.

Le plus beau, c'est que nous n'avons encore rien vu des vastes possibilités de l'automatisation. À mon avis, une des innovations les plus efficaces pouvant contribuer au succès des entreprises manufacturières passe par l'automatisation des équipements. C'est du moins ce que l'on constate au sein de nos trois divisions : horticulture et agriculture, équipements industriels et technologies environnementales.

Actuellement, les pays occidentaux voient certaines entreprises manufacturières déménager leur production dans des pays où le coût de la main-d’œuvre est faible. Or, je reste convaincu qu'une meilleure automatisation de nos équipements de production nous permettrait d'être aussi compétitifs en Amérique du Nord. Contrairement à ce que certains peuvent penser, l'automatisation contribue à créer des emplois de qualité. Une entreprise compétitive vend plus et, par conséquent, doit produire davantage et embaucher pour pallier la demande.»

7. Des avancées sur le dépistage du cancer du sein

JACQUES SIMARD, chaire de recherche du Canada en oncogénétique, Centre de génomique du CHU de Québec

«Grâce à la génomique, nous assistons à une révolution dans la prévention du cancer du sein. Au cours des 25 dernières années, la mortalité due au cancer du sein a diminué de 40 % grâce aux percées dans les domaines du dépistage précoce et des traitements de cette maladie. La mammographie - telle que pratiquée actuellement et se basant sur l'âge comme critère d'éligibilité pour le dépistage - a principalement favorisé le mieux-être des femmes de plus de 50 ans. Cependant, la détection précoce et la prévention du cancer du sein pourraient être améliorées grâce à la mise en oeuvre d'une approche de stratification du risque, qui permettra de cibler le dépistage du cancer du sein chez les femmes les plus susceptibles de développer la maladie. Cette approche novatrice serait bénéfique chez les femmes plus jeunes, soit de 35 à 49 ans, qui sont à risque élevé et qui échappent présentement au programme de dépistage classique. Actuellement, la stratification du risque se fonde principalement sur les antécédents familiaux et la présence de mutations rares dans les gènes BRCA1 et BRCA2. Les résultats de notre récente étude internationale, menée auprès de 100 000 femmes qui proviennent de 30 pays, nous indiquent que plusieurs centaines d'autres variantes génétiques existent. Notre objectif au cours de la prochaine année est de valider ces résultats chez plus de 150 000 femmes. Donc, le profilage du risque génétique facilitera la détermination des femmes à risque accru de la maladie pouvant bénéficier le plus des interventions de prévention, de réduction du risque et d'interventions thérapeutiques mieux adaptées.»

8. Pour lutter contre la pornographie juvénile

JACQUES SIMONEAU, président et directeur général chez Univalor

«Depuis 2001, Univalor contribue à la valorisation de la recherche universitaire. Notre portefeuille compte plus de 400 technologies. L'une de ces innovations dont on est particulièrement fier revient au professeur Jean-Pierre David du Département de génie électrique de l'École Polytechnique de Montréal. Il a développé un algorithme capable de détecter des fichiers informatiques contenant des vidéos et des photos de pornographie juvénile. La licence d'exploitation de cette innovation a été acquise en 2011 par l'entreprise suédoise NetClean Technologies, étroitement liée à Interpol et à d'autres grandes forces policières du monde. Avant les recherches du professeur David, il était impossible de déceler en temps réel le passage d'un fichier connu par la simple surveillance d'une connexion Internet, compte tenu du débit élevé. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Remarquez, la technologie du professeur David peut servir à d'autres contextes, notamment à la lutte contre les virus informatiques, au contrôle des dossiers confidentiels par les entreprises et à la sécurité informatique. Jean-Pierre David tenait toutefois à ce que la première application de son algorithme soit consacrée à une solution pour contrer la diffusion d'images et de contenu d'abus pédosexuels. Et, foi de NetClean, l'algorithme est jusqu'ici très efficace !»

9. La magie de Moment Factory

ALBERT DE LUCA, associé, expert innovation, chez Deloitte

«L'innovation se déclare non seulement dans les développements technologiques, mais aussi dans leur application dans des contextes réels. Nous voyons des exemples de cela tout autour de nous au Québec, que ce soit dans le domaine du jeu, de la simulation ou de l'aéronautique. Ces temps-ci, je suis fasciné par les innovations issues de l'environnement numérique. Un de nos plus beaux exemples au Québec est Moment Factory. Pourquoi ? Cette entreprise réussit à manier le son, la lumière et le mouvement pour en faire des ambiances et des environnements hors du commun. En repoussant les limites, Moment Factory crée de nouveaux besoins, de nouvelles applications qui en font un expert. J'ai récemment vu ce que cette entreprise a accompli pour l'aéroport international de Los Angeles. Il faut voir cette fontaine de mouvements qui enveloppent nos sens. Ces créateurs utilisent des technologies existantes pour créer des environnements inédits. Ils réussissent à repousser les limites de ces technologies pour en élaborer de nouvelles. Et ce qui est encore plus extraordinaire, à mon humble avis, c'est que les frontières de ces innovations numériques sont loin d'avoir été établies ; il n'y a aucune limite à l'imagination.»

10. La clé du cerveau

ANNE-MARIE LAROSE, présidente et directrice générale de Gestion Valeo

«Notre firme a le mandat de valoriser les résultats de la recherche effectuée par ses commanditaires, notamment plusieurs universités de la province. L'une de ses découvertes, que j'estime énormément, provient de l'équipe du Dr Richard Béliveau. Lorsqu'il était professeur au Département de chimie de l'Université du Québec à Montréal, M. Béliveau a découvert, au début des années 2000, une "clé" permettant aux molécules de franchir la barrière hémato-encéphalique du cerveau. Grâce à cette clé, un produit dérivé d'une protéine qui cible un récepteur spécifique sur cette barrière, l'entreprise Angiochem met au point des vecteurs médicaments susceptibles d'avoir un impact majeur sur plusieurs pathologies du cerveau, dont les tumeurs cérébrales, la maladie de Parkinson et d'autres maladies neurodégénératives. Cette méthodologie est actuellement testée sur des humains. Ce qui laisse croire qu'un premier produit pourrait être commercialisé dès 2016.»

11. Le Train du futur, un exemple d'innovation collaborative

JACQUES BELLEY, directeur de la recherche et développement chez Bombardier Transport

Chaque année, depuis 23 ans, l'Association pour le développement de la recherche et de l'innovation du Québec (ADRIQ) organise un gala qui célèbre l'innovation québécoise. Plus de 750 inventions y ont été soulignées au fil des ans. «Parmi ce lot, je retiens celle du Train du futur de Bombardier Transport, qui a remporté le prix Innovation Ouverte en 2012. Voilà un bel exemple d'innovation collaborative», souligne Jean-Louis Legault, directeur général de l'ADRIQ. Afin de créer de nouveaux wagons de train et de métro plus rapides, moins coûteux et plus économes en énergie, Bombardier Transport a développé une plateforme d'ingénierie virtuelle à laquelle participent diverses entreprises. Notamment des firmes telles que Bull, Amesys, le CRIM, TEC, Silicomp Canada et le centre de transfert technologique de La Pocatière, Solutions Novika. «Jusqu'à maintenant, cette nouvelle plateforme a été utilisée pour nos contrats des métros de New York et de San Francisco», signale Jacques Belley, directeur de la recherche et développement chez Bombardier Transport. Ce partenariat, dit-il, ajoute une nouvelle diversité d'idées. C'est une force de pouvoir travailler avec d'autres entreprises spécialisées en techniques de virtualisation, de simulation, de communication... Ça permet d'augmenter l'efficacité du produit. De plus, cette collaboration rend possible la conception de nouveaux produits qui seront aussi commercialisés dans des domaines industriels beaucoup plus vastes de l'ingénierie et du transport. «Néanmoins, pas question d'en faire une recette universelle pour l'ensemble de nos projets chez Bombardier Transport. Dans le cas du Train du futur, la collaboration était tout à fait appropriée. C'est un outil désormais présent dans notre coffre, que l'on pourra utiliser lorsque le développement de produit s'y prêtera», conclut M. Belley.

12. Répondre au besoin d'un client

STEPHEN BULL, vice-président, recherche et développement, d'Exfo

«Les gens ont tendance à associer systématiquement l'innovation à une nouvelle technologie. En fait, les technologies sont des outils qui mènent à des solutions innovatrices. Chez Exfo, on en sait quelque chose. Pour rester l'un des plus importants fournisseurs de solutions de test pour le marché des télécommunications, nous devons innover. Près de 40 % de notre personnel se consacre à la R-D. Qu'est-ce qui fait qu'une innovation fonctionne ? Il faut que le produit, le concept, le service répondent à un besoin ou à une problématique d'un client. Il y a d'ailleurs deux modes d'innovation. Le premier consiste à trouver l'idée transformatrice, celle qui sort de la boîte. Ce que j'appelle le breakthrough. L'autre mode consiste à développer de nouvelles possibilités aux produits. Ceci dit, tant qu'un concept ou une nouvelle idée, la plus brillante essoit-elle, ne vient pas satisfaire un besoin d'un client, ce n'est pas ce que j'appelle une innovation.»

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