Tahiti, le paradis du management participatif


Édition du 14 Octobre 2017

Tahiti, le paradis du management participatif


Édition du 14 Octobre 2017

Par Olivier Schmouker

Le management participatif se développe partout en ­Polynésie française. Dans une entreprise qui suit ces principe, il appartient au leader d’insuffler l’estime de soi à ceux qui l’entourent.

Au volant de sa camionnette Avis, Terehau tourne la tête en tout sens sur le terrain de stationnement du port de Papeete, à la recherche du client qui vient d'arriver en bateau de l'île de Moorea. Il est embêté parce que l'orage tropical de fin de journée menace, et il ne veut surtout pas que le Farani («Français», en tahitien) soit trempé jusqu'aux os. Trop tard ! Un coup de tonnerre, et c'est le déluge.

Terehau finit par le trouver, piteux et dégoulinant, au point de rendez-vous prévu, mais dénué d'abri. Il vole à son secours, l'installe à l'avant et jette ses affaires à l'arrière. «Quoi ? T'es tout seul ? Tu n'as pas ramené de vahiné (femme tahitienne) de Moorea ?» lui demande-t-il, pince-sans-rire. Le client, interloqué, est sans voix. «Ah, je comprends, ça doit être la pluie qui l'a fait fuir !» poursuit Terehau, déclenchant un fou rire général.

Voilà comment, en deux secondes, Terahau a réussi à transformer un client aigri en un client satisfait. D'ailleurs, une fois les formalités de la location de voiture effectuées, les deux, aux anges, ont pris un selfie avec l'iPad du bureau et l'ont diffusé sur les médias sociaux. «Ça, c'est le résultat de trois années de révolution de nos pratiques managériales», dit, tout sourire, Élodie Lansun, directrice exploitation d'Avis Tahiti.

En 2014, l'agence avait été frappée si durement par la concurrence qu'elle avait dû procéder à une opération de restructuration majeure. Le coup avait été si terrible pour le moral des troupes que la direction avait pris l'audacieuse décision d'adopter le management participatif, c'est-à-dire de laisser tomber les anciennes façons de travailler en équipe pour les remplacer par cinq principes fondamentaux (voir l'encadré).

«Le management participatif repose vraiment sur les relations humaines, explique Mme Lansun. Il était donc tout à fait naturel de le faire nôtre, puisqu'en Polynésie française, le contact entre les gens est direct et authentique. D'ailleurs, il y a un signe qui ne trompe pas : ici, tout le monde se tutoie spontanément.»

Résultats ? Les employés d'une agence ont, d'eux-mêmes, simplifié les procédures de retour des véhicules loués, ce qui a entraîné des gains conséquents en temps et en argent. D'autres ont mis fin au pointage manuel des heures de présence au travail, considérant que l'important n'est pas d'être présent, mais actif lorsqu'on est à l'agence.

«Nous avons fait le choix d'arrêter de commander les employés et de leur accorder une confiance totale. Un choix gagnant : non seulement nos affaires vont mieux qu'il y a trois ans, mais nos clients se disent plus satisfaits que jamais», indique Loana Tama, gestionnaire d'Avis Tahiti.

Combler les besoins fondamentaux des employés

Avis Tahiti est loin d'être une exception. Le management participatif se développe partout en Polynésie française. Un exemple lumineux est celui de... la Direction des impôts et des contributions publiques (DICP). Sa directrice, Claude Panero, a compris un beau jour combien la rigidité de la hiérarchie verticale de l'organisation était une nuisance : services cloisonnés, communication interne sclérosée, etc. «Nombre d'employés travaillaient en silence, incapables d'expliquer quel était le sens de leur travail lorsqu'on le leur demandait», confie-t-elle. À ses yeux, il était grand temps d'intervenir.

Mme Panero a ainsi organisé un séminaire où chaque employé a dû méditer sur le principe d'égalité émanant de la Déclaration universelle des droits de l'homme, et par la suite, sur la nécessité de chacun de contribuer au civisme fiscal. Les participants en sont arrivés à la conclusion qu'il ne leur fallait plus percevoir l'administré comme un contribuable, mais plutôt comme un client. «Du coup, la mission de la DICP et de ses employés s'est enrichie de nouvelles dimensions, comme celle de produire de l'information fiscale à l'attention des clients», dit-elle.

Le service s'est ainsi doté d'un nouveau vocabulaire ; par exemple, un problème à résoudre est devenu un «noeud à défaire». Et il a recouru à de nouvelles méthodes de résolution de problèmes : un agent peut repérer un noeud et proposer de lui-même une solution pour le défaire. Si jamais le noeud est trop complexe, la directrice peut donner carte blanche à une équipe d'agents chargée d'en venir à bout.

Avis Tahiti a libéré ses employés des carcans managériaux traditionnels, en faisant totalement confiance à chaque employé.

«Le service est maintenant réactif, à l'écoute des besoins des clients. Il fournit des solutions novatrices orientées vers la satisfaction de la clientèle», souligne Claude Panero, avec une pointe de fierté. Elle illustre : «Un commerçant m'a récemment confié qu'auparavant il présentait sa déclaration de revenus à la dernière minute, inquiet d'avoir fait une erreur qui lui coûterait cher, et qu'aujourd'hui il la présente à l'avance, rassuré, et même réjoui de contribuer ainsi au bien commun.»

L'explication d'un tel succès est simple : le management participatif vient combler en grande partie les besoins fondamentaux des employés. «Des études montrent qu'à partir du moment où un employé a du plaisir à travailler et a saisi le sens de son travail, il gagne en énergie, en concentration et en performance. Il ressent un véritable bien-être qui découle du fait qu'il est alors en mesure d'exprimer ses talents propres, d'être autonome dans son travail et de bénéficier de l'appui des autres (collègues, clients...)», explique Jacques Forest, professeur de psychologie organisationnelle à l'ESG-UQAM, en marge du Congrès international du management et des ressources humaines à Tahiti.

«Les anciennes façons de gérer, celles du 20e siècle, menaient au corporate fragging, c'est-à-dire au sabotage hiérarchique, à l'image de ces soldats américains qui, au Vietnam, en venaient à balancer une grenade sur les officiers autoritaires qu'ils ne supportaient plus. À présent, de nouvelles valeurs émergent, plus propices au bien-être des employés : la gentillesse, l'humour, et même la vulnérabilité. Des valeurs profondément humaines, qui permettent à chacun de ne plus se sentir au travail comme sur une île déserte», a ajouté, au cours de sa conférence au même congrès, Serge Panczuk, vice-président international des ressources humaines d'Edwards Lifesciences, une firme américaine spécialisée dans le matériel médical cardiovasculaire.

Recourir à l'E.S.C.

Lors du congrès, les participants tahitiens ont été amenés à plancher en tables rondes sur les bienfaits du management participatif, et surtout, sur les moyens à mettre en oeuvre pour son implantation au sein d'une organisation existante. Il en est ressorti une formule simple, celle de l'E.S.C. :

> E pour estime de soi

> S pour simplicité

> C pour connexion

Il appartient au leader d'insuffler l'estime de soi à ceux qui l'entourent. «En Polynésie française, celui qui dirige est perçu comme un metua, à savoir un père, un sage. Il doit non seulement guider le groupe, mais aussi encourager chacun à s'épanouir, et donc, cultiver l'estime de soi tout autour de lui», dit Olivier Touboul, directeur du Laboratoire de cosmétologie du Pacifique Sud, qui produit du monoï (une huile issue des fleurs de tiaré) notamment pour Christian Dior, The Body Shop et Yves Rocher.

Le dirigeant doit également toujours faire les choses simplement, par exemple en revenant aux sources. «Lorsqu'il y avait un conflit, nos ancêtres utilisaient le parahi i raro : les personnes impliquées devaient s'asseoir par terre en cercle et ne pouvaient se relever qu'une fois le différend réglé. Une astuce efficace qui revient au goût du jour ici», raconte Hinatea Colombani, directrice du Centre culturel et artistique 'Arioi de Papara.

Le leader doit enfin veiller à nourrir les connexions en vigueur au sein du groupe, et ce faisant, miser sur le partage, à l'image du haere mai tama'a, l'invitation traditionnelle à casser la croûte ensemble. «Demain, en raison de l'avènement des robots, seules deux compétences permettront aux êtres humains de briller au travail : la créativité et la capacité à travailler en équipe. Les deux reposent sur une même chose, la qualité des connexions établies avec autrui. D'où l'importance vitale pour nous d'apprendre à partager à large échelle, comme le font d'ailleurs les Tahitiens depuis la nuit des temps», dit Christian Vanizette, cofondateur de MakeSense, une communauté internationale visant à aider les entrepreneurs sociaux du monde entier à surmonter leurs défis.

S'il y a un endroit où l'E.S.C. s'exprime à merveille, c'est au Sofitel de Moorea, l'un des hôtels les plus luxueux de la Polynésie française, avec ses bungalows cinq étoiles à fleur de lagon. «Ça m'a pris des années, mais j'ai fini par découvrir la clé du succès. Il suffit de faire en sorte que chacun soit lui-même, que vous comme moi soyons en mesure d'exprimer ce que nous avons de plus beau en nous», confie son directeur général, Didier Lamoot.

À Tahiti, cela passe notamment par l'acceptation d'un trait de caractère qui peut paraître a priori dérangeant en affaires : la franchise. «Je me souviens d'une serveuse à qui un client avait demandé ce qu'elle pensait d'un plat. Elle lui avait répondu spontanément que le mets était "dégueulasse". Elle n'aimait pas ce plat-là et elle ne voyait pas pourquoi elle travestirait la réalité. Les Tahitiens sont comme ça. Rien ne sert de tenter de les changer, mieux vaut s'adapter à leurs valeurs et même essayer d'en faire une force inédite», dit-il.

Un exemple lumineux : auparavant, les dirigeants du Sofitel se réunissaient tous les matins pour planifier la journée ; à présent, cette réunion est ouverte à tout employé qui souhaite y participer, «car chacun sait qu'il sera écouté avec la plus grande attention». Autre exemple : les employés ont carte blanche pour interagir avec les clients. Aucune consigne ne leur est donnée à ce sujet, l'idée étant de faire confiance à la chaleur et à la spontanéité des Tahitiens. «Histoire d'inciter chacun à aller en ce sens, nous avons créé le concours du Best Spoken, qui récompense chaque mois l'employé dont les clients parlent le plus sur les médias sociaux», dit M. Lamoot.

Mine de rien, le management participatif a su se frayer un chemin dans une organisation aussi bien rodée que celle du Sofitel. C'est donc le signe qu'il peut s'immiscer partout. Oui, partout. Y compris - pourquoi pas ? - au Québec.


Christian ­Vanizette, cofondateur de ­MakeSense, considère que le partage est la clé du succès d’une équipe.

Cinq principes fondamentaux du management participatif

Épanouissement. Les conditions de travail doivent favoriser le développement personnel de chaque employé.

Mobilisation. Chaque employé est désormais engagé dans le processus de décision.

Confiance. Chaque employé doit assumer davantage de responsabilités que d’habitude, pourvu, bien entendu, que ­celles-ci soient dans ses cordes (au besoin, un programme de formation peut lui être proposé en ce sens). 

Autonomie. La résolution des problèmes est confiée à l’équipe concernée au premier chef, et ce, sachant que chaque solution définie doit favoriser avant tout l’évolution de l’entreprise. 

Coordination. Les dirigeants doivent se mettre au service des employés (et non l’inverse), leur rôle consistant à s’assurer que chaque employé dispose des ressources nécessaires pour l’atteinte des objectifs tant individuels que collectifs.

Ce reportage a été possible grâce à l'invitation du Congrès international du management et des ressources humaines à Tahiti.

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