J'aurais voulu être un gestionnaire


Édition du 26 Août 2017

J'aurais voulu être un gestionnaire


Édition du 26 Août 2017

Hugo ­Sanschagrin, un musicien de formation, a dû acquérir d’importante notions de gestion à HEC Montréal. À 38 ans, il dirige les ­Violons du ­Roy, une OBNL dont le budget est de 4 millions de dollars.

Fini la frontière invisible entre le secteur privé et le milieu des organismes à but non lucratif. De plus en plus, les OBNL doivent relever les mêmes défis que les entreprises. Pas étonnant, donc, que certains dirigeants franchissent le pas et choisissent de faire un MBA pour améliorer leurs compétences en gestion. Ce faisant, ils contribuent à créer un mélange d'expériences enrichissant dans les cohortes.

Hugo Sanschagrin, 38 ans, dirige les Violons du Roy, un orchestre de musique de chambre qui participe à plusieurs festivals devenus célèbres, comme celui de Lanaudière ou le Festival international du Domaine Forget. L'OBNL compte 11 employés permanents, 14 musiciens salariés et une quarantaine de bénévoles. Son budget : 4 millions de dollars. Bref, une véritable PME !

Sauf que Hugo Sanschagrin est un musicien de formation. Il a dû acquérir des notions de gestion au fur et à mesure que ses fonctions l'exigeaient. Il a donc fait un DESS en gestion à HEC Montréal en 2005 et, l'année dernière, il a entrepris un MBA pour cadres à l'Université Laval. «Je voulais parfaire mes connaissances car, même s'il est vrai qu'on apprend beaucoup de choses sur le tas, je me demandais si j'utilisais vraiment les meilleures pratiques», explique-t-il. À mi-parcours, il n'a aucun regret. «Je vois déjà la transposition concrète des apprentissages dans mon style de gestion des ressources humaines, comme améliorer les conditions de travail des employés même si nos salaires ne sont pas aussi compétitifs que dans le secteur privé, de l'organisation et de la pensée stratégique», reconnaît-il.

Si M. Sanschagrin n'a pas hésité à venir se former aux méthodes de gestion des entreprises privées alors qu'il dirige un OBNL, c'est parce que «l'esprit entrepreneurial est très présent dans la gestion de tous les organismes, qu'ils soient à but lucratif ou à but non lucratif. Nous vivons les mêmes enjeux par rapport aux ressources humaines et financières, notamment», estime-t-il.

Une reddition de comptes plus exigeante

Des enjeux qui se sont accentués au fil des ans. «Le désengagement des pouvoirs publics dans certains domaines a fait en sorte que de plus en plus d'OBNL se sont créés pour prendre le relais et que leur croissance est forte. Avant, c'était souvent des petites organisations communautaires, liées à l'église du quartier, qui servaient quelques repas grâce à des volontaires. Aujourd'hui, on remarque que des organismes de grande taille servent de nombreuses personnes, ont des employés à temps plein et fonctionnent comme des entreprises privées», constate Dave McKenzie, le fondateur et coordinateur du Service d'initiatives communautaires de l'Université Concordia.

Ces dernières années, les financements publics se sont aussi faits plus rares. «Quand les ressources sont limitées, on a besoin de compétences pointues en gestion pour réussir à gérer une organisation», souligne Louise R. Bertrand, responsable du MBA pour cadres de l'Université de Sherbrooke.

Par ailleurs, pour assurer leur pérennité, les OBNL ont dû diversifier leurs ressources et se sont notamment tournés vers le secteur privé. «Les nouveaux partenaires financiers des OBNL sont de plus en plus exigeants sur la reddition de comptes. Ils veulent s'assurer que l'argent est utilisé pour la mission plutôt que pour le fonctionnement de l'organisme», observe Gilles Bernier, directeur des programmes du Collège des administrateurs de sociétés. En raison de ces exigences, les OBNL doivent avoir une organisation sans faille et mettre en place des indicateurs dont ils n'étaient pas toujours dotés.

Sur ce plan, certains organismes - et pas seulement les plus grands - peuvent parfois être des modèles pour le secteur privé tant leur organisation et leurs outils de gestion sont performants. «Les OBNL veulent aider le maximum de personnes avec des ressources limitées. Ils sont donc souvent très bons pour s'organiser de façon à maximiser les retombées de leurs actions», affirme Sandra Betton, vice-doyenne, responsable des programmes de deuxième cycle à l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia. Michel Filion, directeur du recrutement et du marketing de l'EMBA McGill-HEC Montréal, se dit admiratif de «l'efficacité opérationnelle des OBNL mise en place par des gens passionnés et pétris de valeurs, qui s'investissent pour un salaire bien moindre que ce qu'ils toucheraient dans le secteur privé».

Une sensibilité différente

Pour les dirigeants d'OBNL qui n'auraient pas acquis de compétences en gestion pendant leurs études, le MBA ou le MBA pour cadres peuvent être des options. Toutefois, leur nombre dans les cohortes reste marginal, même s'il pourrait augmenter à l'avenir étant donné la professionnalisation des OBNL. D'ailleurs, certains programmes s'adressent directement à eux. L'EMBA McGill-HEC Montréal, qui vient de bonifier son offre, octroie quatre bourses de 50 000 $ à des étudiants issus du milieu des OBNL pour la rentrée de septembre 2017. L'Université Laval propose pour sa part une spécialisation en gestion des coopératives et des mutuelles.

Pour les étudiants issus des OBNL, faire un MBA est souvent difficile. Non seulement l'investissement financier et en temps est important pour des organismes qui ont des budgets limités et peu d'effectifs, mais, en plus, les matières enseignées ont souvent peu de rapport avec leur secteur d'activité et les études qu'ils ont suivies. «Le MBA est un très bon outil pour eux, mais ça les sort de leur zone de confort, remarque Yves Trudel, directeur du programme de MBA à l'Université de Sherbrooke. Les cours de comptabilité, de finance ou de statistique sont souvent des épreuves pour eux. Par contre, ils sortent du lot dans les soft skills, comme le leadership ou la communication.»

Ces étudiants ont souvent une approche différente des autres quant aux enjeux posés durant le MBA, au point qu'il y a «parfois des conflits de valeurs entre les préoccupations financières des uns et sociétales des autres», admet M. Trudel.

Les étudiants issus des OBNL reconnaissent eux-mêmes avoir une sensibilité particulière. «Je pensais plus aux gens qu'aux chiffres. C'est toujours moi qui amenais les questions d'impacts des activités sur la communauté. C'est moi qui ai expliqué le concept de développement durable en présentant les objectifs que l'Organisation des Nations unies a fixés sur le sujet», témoigne Lai-Ling Lee Rodriguez, chef de la région Amériques de la Croix-Rouge canadienne. Cette femme de 50 ans travaille dans des organisations humanitaires depuis une vingtaine d'années. Elle a été diplômée de l'EMBA McGill-HEC Montréal l'hiver dernier. Gérant une centaine de personnes dans des domaines aussi variés que la santé, la logistique ou la gestion de projet, elle a fait l'EMBA «pour mieux comprendre comment les gens du milieu des affaires pensent et parce que, même quand on a une mission sociale, il faut générer des revenus», explique-t-elle. Elle a notamment acquis des connaissances dans l'approche de la clientèle - dans son cas, les bénéficiaires de la Croix-Rouge - ainsi que des outils financiers.

L'exemple de Lai-Ling Lee Rodriguez témoigne du fait que l'écart entre le milieu des OBNL et celui des entreprises privées tend à se réduire. Les premiers appliquent les principes de gestion des secondes. Les entreprises, quant à elles, prennent conscience de l'importance d'être des citoyens responsables et de défendre des valeurs sociétales au sein de l'organisation.

Shannon Willcoks

Shannon ­Willcocks, directrice générale du ­CPE ­Riverview

 « Je fais les choses plus efficacement. »

Études : baccalauréat en philosophie et ­beaux-arts, certificat en ressources humaines
Programme : ­MBA pour cadres (EMBA) – École de gestion ­John-Molson, ­Université ­Concordia
Nombre d’employés dans l’OBNL : 7

Shannon ­Willcocks, 39 ans, dirige le ­CPE ­Riverview, à ­Verdun, depuis 6 ans. Arrivée à ce poste après avoir été éducatrice et sans avoir de formation en gestion, elle a dû composer avec les moyens du bord. « Je suis seule pour gérer le ­CPE. C’est moi qui prends toutes les décisions. J’ai beaucoup appris sur le tas », ­raconte-t-elle. C’est donc des compétences en gestion qu’elle a voulu acquérir en faisant un ­MBA pour cadres.

D’ailleurs, après une année d’études à la fin de laquelle elle est arrivée en troisième place de sa cohorte, sa pratique a déjà évolué. « Je fais les choses différemment et plus efficacement. Grâce à l’EMBA, je comprends mieux certains domaines, notamment financiers.

Je me suis séparée de certains prestataires de services dont je me suis rendue compte qu’ils n’étaient pas à la hauteur. »

En faisant un ­EMBA, ­Shannon poursuit aussi un autre but : aller travailler dans une entreprise du secteur privé. Si elle a aimé ses années passées dans le ­CPE, elle envisage de le quitter. Par dépit. « Gérer un ­CPE avec les coupes de subventions, c’est devenu très stressant, et je n’aime pas la façon dont on nous traite », ­regrette-t-elle. Elle a donc pris sa carrière en main et apprend les bases de la gestion d’entreprise pour écrire une nouvelle page professionnelle.

Dorothée Trudeau

Dorothée ­Trudeau, économe de la communauté Famille ­Marie-Jeunesse

« Ma communauté, c’est comme une ­PME ! »

Études : DEC en technique des sols et baccalauréat en théologie
Programme : ­MBA pour cadres – ­Faculté des sciences de l’administration (FSA), ­Université ­Laval
Nombre de collaborateurs : une vingtaine 

Dorothée ­Trudeau, 43 ans, est depuis peu l’économe de la ­Famille ­Marie-Jeunesse, une nouvelle communauté de l’Église catholique qui vise à « accueillir et évangéliser les jeunes ». Entrée dans la ­Famille en 1997, elle s’est toujours occupéedes tâches liées à la gestion de la communauté.

Avec une formation initiale en agriculture et un bac en théologie, elle a dû apprendre sur le tas. Alors, pour devenir l’économe en titre, soit la gestionnaire de la communauté, elle a décidé de faire un ­MBA pour cadres à l’Université ­Laval. C’est « un parcours global et complet » qui lui permet d’acquérir des apprentissages, mais aussi une crédibilité et une reconnaissance de ses compétences, ­explique-t-elle.

Les défis de l’économe sont grands dans la ­Famille. « C’est comme une ­PME qui a des filiales à l’étranger », lance ­Dorothée ­Trudeau. En effet, la maison mère se situe à ­Sherbrooke, mais des maisons existent également à ­Québec et ailleurs dans le monde. De plus, « notre communauté est soutenue par des bienfaiteurs et des communautés religieuses plus anciennes, mais certains bienfaiteurs sont vieillissants et ne peuvent plus nous aider, constate Mme ­Trudeau. Il faut donc réfléchir à un nouveau modèle afin de trouver d’autres sources de financement. »

Elle vient de terminer sa première année du ­MBA. Ses études lui ont déjà donné de nombreuses idées de solutions et de projets à mettre en place pour améliorer certaines façons de faire. Elle pense notamment à se lancer dans la modernisation du site Internet de la communauté.

Tanya Giannelia

Tanya ­Giannelia, responsable des programmes et services de la ­Fondation canadienne des tumeurs cérébrales, au ­Québec

« Le monde des affaires et le milieu communautaire sont en train de se rejoindre. »

Études : baccalauréat en sciences humaines, ­DESS en développement économique communautaire
Programme : ­MBA à temps partiel – ­HEC ­Montréal
Nombre d’employés et de bénévoles dans l’OBNL : une vingtaine d’employés, mais seulement deux au ­Québec, et une quinzaine de bénévoles réguliers

Tanya ­Giannelia est la représentante de la ­Fondation canadienne des tumeurs cérébrales au ­Québec. Elle travaille avec une spécialiste des communication et du marketing à temps partiel. Le siège est en ­Ontario. Son mandat : développer des programmes, faire connaître la ­Fondation ici et précollecter des fonds.

Armée de son ­DESS en développement économique communautaire, elle mène le bateau. « Ça demande un fort esprit entrepreneurial. Je suis très polyvalente et je dois faire connaître l’organisme tout en gérant des ressources limitées », résume ­Tanya.

Elle a choisi de faire un ­MBA pour l’aider dans son poste actuel. « C’est la première fois que j’entre en contact avec le monde de l’entreprise et de la gestion. Je veux apprendre ce qu’est un bon gestionnaire et dans quoi j’ai des lacunes », confie la jeune femme. Les cours de marketing lui seront particulièrement utiles pour mettre en place une stratégie visant à publiciser la ­Fondation au ­Québec.

­Au-delà du quotidien, ­Tanya ­Giannelia ambitionne de « devenir une experte en stratégie des ­OBNL ». Elle aimerait bien connaître les rouages de la gestion afin d’assumer de plus grandes responsabilités et, pourquoi pas, diriger la branche québécoise de la ­Fondation quand ­celle-ci aura grossi.

Si elle a choisi de faire un ­MBA plutôt qu’une formation spécifique aux organismes communautaires, c’est qu’elle estime que « les compétences en gestion s’appliquent à toutes les organisations », ­indique-t-elle. Elle tenait aussi à être baignée dans un milieu diversifié. « De toute façon, le monde des affaires et le milieu communautaire sont en train de se rejoindre : le premier est désormais préoccupé par sa responsabilité sociale, tandis que le second cherche comment optimiser ses revenus », conclut Mme ­Giannelia.

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