Une saine gouvernance pour assurer la continuité


Édition du 09 Avril 2016

Une saine gouvernance pour assurer la continuité


Édition du 09 Avril 2016

Par Claudine Hébert

[Photomontage : Josée Noiseux]

Le 16 mars, 7 h 30, 24e étage chez TC Media. L'équipe de Les Affaires a réuni sept dirigeants de fondation et deux experts du milieu de la philanthropie. Personne n'est en retard. Deux personnes sont même arrivées une quarantaine de minutes à l'avance. Les gens sourient, s'embrassent, sont motivés et très heureux de faire partie de cette table ronde. Pourtant, le but de la rencontre est loin d'être festif. Il sera question d'un sujet sensible, la gouvernance.

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Constat : le recrutement des membres du CA est un processus qui a gagné en rigueur dans les organismes philanthropiques. Le temps où il se faisait de manière improvisée est révolu.

«Aujourd'hui, plus question de réunir ses petits amis autour de la table ou de composer avec des membres qui ne sont présents que pour la prise de photos. Chacun doit jouer un rôle pertinent au sein de l'organisation», soutient Marie-Julie Tschiember, directrice générale de la Fondation René-Verrier, un organisme de Drummondville qui offre du soutien aux malades et à leur famille.

«Le public ne veut plus appuyer des organismes qui manquent de professionnalisme. Les organisations qui tardent à mettre en place de saines politiques de gouvernance en matière de dons, de transparence, de reddition de compte ou de collectes de fonds performantes risquent de passer à côté des grands donateurs», confirme le professeur et consultant en gestion philanthropique Daniel Lapointe. Il vient de publier Améliorez la gouvernance de votre OSBL : un guide pratique, qu'il cosigne avec Jean-Paul Gagné, éditeur émérite de Les Affaires.

Les CA se professionnalisent

De plus en plus de fondations invitent donc des gens d'affaires à siéger autour de leur table. «Non seulement ils disposent d'un vaste réseau de relations qu'ils peuvent solliciter, mais ce sont de bons gestionnaires. Ils sont efficaces dans un conseil !» signale Pierre Bélanger, directeur général de la Fondation Le Pilier, un organisme qui gère des milieux de vie pour les personnes handicapées. Récemment, l'organisme a dû installer des gicleurs dans une de ses maisons d'hébergement.

«Au cours d'une réunion du CA, le trésorier, le pharmacien Jacques Bourget, a pris instantanément la décision de subventionner à 50 % les travaux et de trouver lui-même l'autre donateur», raconte M. Bélanger.

Résultat, les CA de ces organisations se professionnalisent. Cette quête de professionnels fait du recrutement un enjeu stratégique, enchaîne Nicolas St-Pierre, qui a pris la relève de son père à la tête de la Fondation Mira il y a deux ans. «On veut des professionnels qui apportent leur expertise, mais on souhaite surtout bénéficier de leur disponibilité. Si joindre un membre de notre conseil pour la signature d'un chèque prend chaque fois plus de quatre appels, ça ne fonctionne pas», rapporte M. St-Pierre, accompagné de son chien labernois Roger.

Séparer les rôles

Marcèle Lamarche, directrice générale de l'Association d'entraide Le Chaînon et de sa fondation, est très consciente du rôle qu'elle campe au sein de son organisation, qui vient en aide aux femmes en difficulté. «Le directeur général a un rôle d'influenceur, mais pour bien jouer ce rôle, il a intérêt à maîtriser la cause pour laquelle il travaille. Autrement, le CA aura l'impression qu'il manque de leadership, ce qui nuit à la confiance et à l'application des décisions», commente-t-elle.

Le Chaînon s'est doté de deux CA distincts. Un pour l'organisme et l'autre pour la fondation. «Ces deux CA ont chacun leur profil. Celui du Chaînon veille au rayonnement de l'organisation et à en améliorer les services. Celui de la fondation s'occupe de récolter des dons. Ce sont deux structures autonomes, dont les présidentes ont chacune un siège au CA de l'autre afin d'assurer le dialogue et la communication entre les deux», explique Mme Lamarche.

Le duo directeur et président du CA

Pour que l'organisme atteigne ses objectifs, la chimie entre le président du CA et le directeur général de l'organisation est essentielle. Le rôle de chacun doit être clairement défini.

«Le CA est le chien de garde. C'est aux administrateurs que revient l'ultime responsabilité de l'organisation face à la loi», explique Daniel Lapointe. Le directeur général est pour sa part responsable des opérations courantes de l'organisation et des décisions prises au quotidien. Un président de CA ne doit donc pas se mêler de ce travail, poursuit-il.

«Le président occupe le salon, et l'organisation se trouve à la cuisine. C'est au directeur général de faire le lien entre ce qui se passe entre les deux pièces», illustre Alain Demers, directeur général de la Fondation Cité de la Santé, à Laval, dont le CA compte 11 membres.

Dans les saines organisations, insiste Daniel Lapointe, ces rôles sont occupés par deux personnes différentes.

«Chez nous, le lien entre les deux est si important que l'ancien président du CA a tenu à me consulter pour connaître mon opinion sur celui qui pourrait le remplacer», précise Pierre Bélanger.

Évaluer le travail des administrateurs

Pour obtenir les résultats visés, mesurer la participation d'un membre bénévole est un aspect délicat, mais essentiel dans le fonctionnement d'un CA. «En plus d'avoir établi une planification stratégique qui permet au CA de se doter d'objectifs quantifiables, les organisations avant-gardistes ont développé des questionnaires qui permettent aux administrateurs de s'autoévaluer, d'évaluer leurs pairs de façon anonyme ainsi que le travail de leur président», constate Daniel Lapointe. Ces évaluations, poursuit-il, obligent les administrateurs à prendre leur engagement au sérieux.

Chaque année, Tel-Jeunes remet aux huit membres de son CA un cahier des administrateurs qui comprend les grandes règles de fonctionnement, le plus récent budget et les procès-verbaux des dernières séances. «Cela permet à chacun d'être conscient de la cause, de sa mission et du rôle qu'il a à tenir», insiste Céline Muloin, à la barre de l'organisme depuis plus de 30 ans.

À la fondation du Centre Philou, qui offre un répit aux parents d'enfants lourdement handicapés, on demande tous les deux ans à chacun des 10 administrateurs la raison de la poursuite de son engagement dans l'organisation. «Lorsque quelqu'un me répond que c'est pour moi, je sais qu'il est temps que cette personne cède sa place. Pour que les membres du CA prennent leurs responsabilités, ils doivent être inspirés par la cause et non par la personne qui dirige», explique Diane Chênevert, fondatrice et pdg de Centre Philou.

Résister aux tentations

La gouvernance doit également s'assurer d'instaurer une politique relativement aux dons pour que tant ceux-ci que la délivrance de reçus fiscaux s'effectuent en toute légalité. Diane Chênevert avoue avoir refusé un don de 10 000 $ en argent liquide. «On a bien fait. La GRC a pris contact avec nous peu de temps après», dit-elle.

Il y a également des donateurs qui, sans doute de bonne foi, essaient néanmoins d'avoir le meilleur reçu fiscal possible. «Lors de précédents encans, il a fallu indiquer aux gens que les reçus fiscaux étaient remis selon la valeur du don, par exemple la valeur d'une bouteille de vin, et non pas selon le montant qu'ils ont misé pour l'obtenir», explique Pierre Bélanger.

Conserver la flamme des administrateurs

Les organismes veulent des CA engagés. Maintenir cette passion passe par la notion de plaisir, soutient Daniel Asselin, président de la firme Épisode.

À la Fondation René-Verrier, on a une arme secrète : le Livre bleu, qui contient les témoignages de personnes soutenues par l'organisme. «Lors de chaque réunion, j'ouvre ce livre et je lis à voix haute une des histoires émouvantes pour rappeler à nos membres l'impact de leur engagement», dit Marie-Julie Tschiember.

Au Centre Philou, on a trouvé une autre solution : un bon repas arrosé de vin est au menu des quatre réunions annuelles du CA depuis la création de l'organisme il y a 10 ans, précise Diane Chênevert. Cela peut sembler anecdotique, mais cela fonctionne, souligne-t-elle.

Selon Daniel Asselin, au-delà du plaisir, la responsabilité de stimuler ses troupes revient avant tout au directeur général. «Personne ne se joint au CA d'une fondation pour être perdant. Surtout pas les personnes issues de la communauté des affaires. L'emploi du storytelling, le récit de témoignages poignants, est une tendance qui stimule autant les baby-boomers que les membres des générations X, Y et Z», indique-t-il.

Place aux jeunes !

Daniel Lapointe est catégorique. La saine gouvernance est essentielle pour assurer la pérennité des organisations philanthropiques. Cette pérennité dépend d'un processus bien établi pour stimuler la relève.

Tel-Jeunes a ainsi mis en place un regroupement de jeunes professionnels qui comprend 10 membres âgés de 22 à 33 ans. «En plus d'avoir un représentant au CA de la fondation, ces jeunes ont le mandat d'organiser une activité de financement, comme le bal Tel-Jeunes chaque année en juin», rapporte Mme Muloin. Elle précise que cette génération apporte un vent de fraîcheur à l'organisation.

«On a besoin de baby-boomers dans un CA, ne serait-ce que pour leurs réseaux d'influence et de relations. Mais les organisations ont tout avantage à intégrer des X, Y et Z, car ce sont eux qui prendront un jour les commandes de l'organisme. Et ce sont eux qui sont actuellement les plus branchés sur les réseaux sociaux», conclut Daniel Asselin.

Les participants à la table ronde sur la gouvernance des organismes philanthropiques organisée par Les Affaires.


Nicolas St-Pierre et son chien Roger Fondation Mira. [Photo : Jérôme Lavallée]


Daniel Lapointe Focus OSBL [Photo : Jérôme Lavallée]


Marie-Julie Tschiember Fondation René-Verrier [Photo : Jérôme Lavallée]


Pierre Bélanger Fondation Le Pilier [Photo : Jérôme Lavallée]


Diane Chênevert Centre Philou [Photo : Jérôme Lavallée]


Alain Demers Fondation Cité de la santé [Photo : Jérôme Lavallée]


Marcèle Lamarche Le Chaînon [Photo : Jérôme Lavallée]


Céline Muloin Tel-Jeunes [Photo : Jérôme Lavallée]


Daniel Asselin Épisode [Photo : Jérôme Lavallée]

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