La Bourse, une pression supplémentaire sur Dollarama

Publié le 13/03/2010 à 00:00

La Bourse, une pression supplémentaire sur Dollarama

Publié le 13/03/2010 à 00:00

En faisant son entrée en Bourse, l'automne dernier, cinq ans après être passée aux mains du fonds privé américain Bain Capital, Dollarama s'est retrouvée avec des moyens financiers plus grands pour croître. Mais elle doit aussi composer avec une pression accrue pour satisfaire les attentes des investisseurs.

" La pression était déjà là avec Bain, c'est sûr. Mais maintenant, elle est encore plus forte depuis l'entrée en Bourse ", soutient Marie-Claude Frigon, associée chez RSM Richter, et spécialiste du commerce de détail. Les fonds privés d'investissement réclament eux aussi des rendements appréciables. Mais l'avantage que procure ce type de bailleur de fonds, c'est qu'il est toujours possible " de s'asseoir et de discuter " quand vient le moment de prendre des décisions. Il est difficile d'avoir de telles relations avec des milliers de petits actionnaires.

" Bain, ce n'est pas seulement un investisseur, renchérit Louis Hébert, professeur à HEC Montréal. Ils alimentent et motivent la direction au moyen de leur expertise [en attendant de toucher leur profit]. " Or, ceux qui achètent des actions en Bourse ne veulent pas aider l'entreprise, ils veulent multiplier leur mise. Et vite.

En novembre 2004, Bain Capital avait acquis 80 % de Dollarama dans une transaction d'un milliard de dollars. Cinq automnes plus tard, un premier appel public à l'épargne a permis de récolter 272 millions de dollars (M$). Depuis l'arrivée à la Bourse de Toronto du détaillant, le 9 octobre, ses actions (Tor. DOL, 21,95 $) ont gagné 25 % par rapport au prix de 17,50 $ auxquelles elles avaient été émises.

Le piège du court terme

Le défi principal de Dollarama est de s'assurer que la croissance et la rentabilité seront au rendez-vous. Des exigences que connaissent bien les entreprises qui doivent rendre des comptes trimestriellement à leurs actionnaires. Maintenant que les résultats sont scrutés à la loupe par des analystes, Dollarama doit répondre aux attentes.

" Le marché exerce beaucoup de pression pour avoir un rendement rapide, rappelle Marie-Claude Frigon. Le risque, c'est de prendre des décisions à court terme qui peuvent nuire au développement de la société à long terme. " Par exemple, les dirigeants pourraient décider de verser un dividende, au lieu d'utiliser les liquidités pour rénover les commerces de la chaîne.

Le chef de la direction, Larry Rossy, nie pourtant que l'arrivée d'actionnaires ait changé quoi ce que soit dans ses façons de gérer l'entreprise qu'il a fondée en 1992. " Nous ne ressentons pas de pression pour croître plus rapidement. Notre succès dans l'avenir s'appuiera sur les principes qui ont fait notre succès dans le passé : prendre des décisions d'affaires prudentes et en temps opportun pour croître de façon rentable ", nous a-t-il écrit par courriel, étant donné son " inconfort " à accorder des entrevues.

Un potentiel de 1 200 magasins

" Croître de façon rentable " n'est pas un objectif qui semble préoccuper Dollarama, pour qui le Canada regorge d'occasions d'affaires. Depuis la création de la bannière, le nombre de magasins a augmenté à un taux annuel composé de 16 %. Et ce rythme peut être maintenu pendant des années, soutient-on, même si la chaîne compte déjà 594 commerces.

Compte tenu du taux actuel de pénétration par habitant au Québec, le détaillant croit qu'il peut exploiter 900 magasins au pays, soit presque autant que Loblaw. Cette prévision est même frileuse, selon l'analyste Keith Howlett, de Desjardins. D'après ses calculs, le potentiel est plus près de 1 200 commerces.

Actuellement, on compte un magasin " à un dollar " pour 32 000 personnes au Canada. Aux États-Unis, cette proportion est de un pour 15 500 consommateurs. Mais peut-on vraiment comparer les deux marchés ? " Notre population est plus étalée qu'aux États-Unis ", répond Marie-Claude Frigon, ajoutant qu'il y a un risque à établir des magasins dans de trop petites villes. Différent du nôtre, le marché américain n'attire d'ailleurs pas Dollarama pour l'instant.

Les investisseurs devraient faire confiance à la haute direction quant à ses capacités de faire croître l'entreprise, affirme l'analyste Patricia Baker, de Scotia Capitaux. Jusqu'ici, le bilan de Dollarama à ce chapitre est " exemplaire " et les résultats du dernier trimestre ont été " solides ". Ouvrir 300 autres magasins au pays coûtera 180 M$, chaque nouveau point de vente nécessitant une somme de 600 000 $ (400 000 $ en immobilisations et 200 000 $ en stocks). Le remboursement du capital investi prend moins de deux ans.

Larry Rossy, 67 ans, et son équipe, misent aussi sur la hausse de l'achalandage dans les magasins existants et sur l'accroissement des marges bénéficiaires. Pour ce faire, ils ont développé une multitude de stratégies (voir le texte " Des stratégies payantes ").

Keith Howlett, de Desjardins, propose une suggestion originale : distribuer des circulaires. Pour tous ceux qui connaissent le nom Dollarama, mais qui n'ont jamais mis les pieds dans un de ses commerces, ce serait une façon efficace de leur faire découvrir les produits offerts. " La direction, cependant, ne semble pas encline à vouloir tester une circulaire semblable dans un avenir prochain ", ajoute-t-il.

Des stratégies payantes

Dollarama est devenue un des détaillants les plus efficaces en Amérique du Nord grâce à des recettes particulières. Voici quelques-uns des ingrédients de sa réussite.

> De 30 à 40 nouveaux magasins sont inaugurés chaque année. Cela augmente le pouvoir d'achat de l'entreprise et les économies d'échelle;

> Dollarama importe directement 50 % de sa marchandise, ce qui lui permet d'éviter les intermédiaires, qui font augmenter les coûts. Autre avantage : elle peut ainsi vendre des produits exclusifs;

> Les achats se font surtout en Chine. Mais Dollarama se tourne de plus en plus vers l'Inde, l'Indonésie, la Thaïlande, la Turquie, l'Uruguay et le Vietnam,;

> La vente de produits de marque maison permet d'offrir des articles uniques qui génèrent de meilleurs marges. Dollarama possède une vingtaine de marques de commerce dont Duramax, Make it Special, Stitch-It, Static Matic et Dr. Bob. D'autres marques viendront, et suivent le processus d'enregistrement;

> Environ 15 % des Dollarama sont situés à moins de deux kilomètres d'un Walmart, selon les estimations de Desjardins. Ces magasins sont les plus achalandés et les plus rentables de tous. Dans l'Ouest canadien, la société mise beaucoup sur cette stratégie de couplage;

> Contrairement à certains de ses concurrents, qui misent sur une expérience de magasinage du type Course au trésor - et dont l'offre varie d'une semaine à l'autre - Dollarama propose une sélection stable de produits. Cette stratégie fidéliserait la clientèle et générerait des visites supplémentaires en magasin;

> Depuis un an, le règne du prix unique (1 $) a pris fin. Des articles à 1,25 $, 1,50 $ et 2 $ ont fait leur apparition sur les tablettes. Ces nouveaux articles contribuent à l'augmentation des ventes comparables et du panier. La stratégie permet surtout de mieux résister à l'inflation et aux variations du cours des devises;

> Les magasins sont deux fois plus grands qu'il y a 10 ans (près de 10 000 pieds carrés) ce qui permet d'enrichir certaines catégories de produits, comme l'alimentation, les vêtements et les articles pour bébés. La vente de denrées alimentaires procure de plus faibles marges, mais elle génère de l'achalandage;

> Depuis le troisième trimestre de l'exercice 2009, les cartes de débit sont acceptées dans tous les magasins. La facture des clients qui utilisent ce mode de paiement est 2,5 fois plus élevée que la facture de ceux qui paient comptant. De plus, cela réduit le temps et les coûts associés à la manipulation de l'argent.

> Dollarama mise beaucoup (au moyen de tablettes bien visibles dans l'entrée des magasins), et toute l'année, sur les jours de fêtes : Saint-Valentin, Saint-Patrick, Pâques, Halloween, Noël, etc. Ces articles thématiques comptent pour 16 % de l'offre, et ils sont en vente plus tôt que chez ses concurrents.

Des nuages à l'horizon

Le ciel bleu de Dollarama n'est pas totalement exempt de nuages. Desjardins craint le départ de membres clés de la haute direction, des personnes d'expérience. En 2004, plus de 900 millions de dollars comptant avaient été versés par Bain Capital aux dirigeants, la plus grosse part du gâteau revenant à Larry Rossy. Avec un tel magot en poche, maintenant que l'entreprise est en Bourse, la tentation de quitter doit être plus forte, croit-on.

De plus, Dollarama est très touchée par les hausses du salaire minimum. Les magasins les plus achalandés comptent parfois jusqu'à 13 employés à temps plein et 25 autres à temps partiel. Un total de 12 000 salariés. Desjardins estime que Dollarama doit " augmenter ses ventes de 1,25 % pour compenser chaque hausse de 3 % du salaire minimum. Des hausses sont justement prévues cette année au Québec et en Ontario. Au Québec, il passera de 9 $ à 9,50 $ l'heure à partir du 1er mai, une hausse de 5,56 %. Le salaire minimum ontarien sera majoré de 0,75 $, à 10,25 $, le 31 mars.

Keith Howlett craint que le fait d'accepter les cartes de débit entraîne une baisse du nombre de visites des clients en magasin. Cette inquiétude avait d'ailleurs été formulée par la direction de Dollarama lorsque ce type de paiement a été instauré. En revanche, manipuler de l'argent prend du temps et entraîne des coûts, dit Patricia Baker, chez Scotia Capitaux.

Prochaine étape, si les tests sont concluants : le paiement par cartes de crédit. Une décision qui surprend l'analyste de Desjardins, à cause des frais de transaction inhérents. " Cela attirera peut-être de nombreux clients, mais c'est loin d'être certain ", dit-il. D'ici un an, on dotera aussi les magasins de scanners pour lire les codes à barre des produits. La plupart des fournisseurs sont déjà prêts. Mais ce changement technologique ne se fera pas en claquant des doigts.

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