J'incube, tu incubes, ils accélèrent


Édition du 27 Février 2016

J'incube, tu incubes, ils accélèrent


Édition du 27 Février 2016

[Photo : Shutterstock]

Le nombre d'incubateurs et d'accélérateurs explose au Québec. On en compte maintenant une quarantaine. La popularité de ces structures est-elle justifiée? Si les résultats concrets sont avérés, l'écosystème est une jungle dans laquelle il est difficile de se retrouver.

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Crew a passé ses trois premiers mois d'existence chez FounderFuel en 2012. À l'époque, FounderFuel était un incubateur ; il est maintenant un accélérateur et accepte les sociétés arrivées à un stade de développement plus avancé. «Ces trois mois nous ont permis de prendre notre envol», explique Stéphanie Liverani, chef de l'exploitation de Crew, une entreprise qui met en contact des programmeurs et des designers avec des clients à la recherche de professionnels pour créer des sites Web, des logos et des applications.

Le principal atout de l'incubateur est d'«accélérer tout le processus de création d'une entreprise», dit Mme Liverani. Les quatre fondateurs, les trois développeurs et designers ainsi qu'une actuaire ont pu quitter leur emploi pour se consacrer à leur projet d'entreprise grâce à une aide de 25 000 $ de FounderFuel. «Nous avons eu accès à un réseau spécialisé - chefs d'entreprise du secteur, investisseurs, avocats, spécialistes en développement des affaires - qui nous a acceptés tout de suite en raison de notre appartenance à FounderFuel», se souvient Mme Liverani.

Ce réseau a nourri leurs réflexions et leur a apporté de nouvelles idées. «Au départ, nous voulions aider les professionnels à faire leur marketing, mais nous avons constaté que leurs produits n'étaient pas toujours de bonne qualité. Nous avons donc changé pour mettre en relation des professionnels triés sur le volet avec des clients», explique la jeune femme. Un réalignement qui leur a permis d'empocher 500 000 $, grâce au tour de financement organisé pour démarrer le projet.

Quatre ans après son passage chez Fonderfuel, Crew emploie 25 personnes, affiche un chiffre d'affaires d'un million de dollars, en croissance constante, et prévoit doubler son effectif d'ici 2017. L'entreprise a approuvé en 2015 des projets de 15,5 M$ par rapport à 8,1 M$ en 2014. Et elle en a d'autres en réserve. Le 1er avril, elle ouvrira un café au 360, rue Saint-Jacques, dans l'ancien siège social de la Banque Royale du Vieux-Montréal. Le Crew collectif et café proposera des espaces de travail partagé gratuits dans le café et, à l'étage, des bureaux en location à la semaine ou au mois.

Des avantages clairs

C'est en brandissant des succès comme celui de Crew que les incubateurs et les accélérateurs justifient leur existence et font des petits. Le Québec, qui avait pris du retard dans le domaine par rapport à l'Europe et aux États-Unis - ces derniers sont des pionniers dans le domaine -, est en plein rattrapage. Les plus anciennes structures datent pour la plupart d'une vingtaine d'années, mais, depuis quelque temps, on assiste à une explosion de nouveaux modèles. On en compte aujourd'hui une quarantaine au minimum. L'année dernière seulement, au moins quatre ont été créés à Montréal et en région, là où la croissance est la plus forte : InnoCité et le Hacking Health Accelerator à Montréal, La Shop à La Sarre, et l'incubateur de Victoriaville.

C'est que les avantages des incubateurs sont clairs. Ils visent à créer des entreprises solides. Or, les taux de survie des entreprises incubées après cinq ans oscillent entre 60 et 80 % : 74 % pour le Centre d'entreprises et d'innovation de Montréal, 61 % pour le Centech, 80 % pour le Centre d'innovation et de technologies industrielles de Granby et 65 % pour l'incubateur de Drummondville. Comparativement, le taux général de survie d'une entreprise est de 35,9 % après cinq ans, selon Statistique Canada. Notons que les organisations ne mesurent pas toutes leur taux de survie. De plus, beaucoup de structures sont récentes et n'ont donc pas encore assez de recul pour avoir ce taux, si tant est qu'elles le mesurent.

«La preuve est faite de leur intérêt : amener plus rapidement le produit sur le marché et assurer, par un accompagnement adéquat, le succès des projets», résume Jacynthe Beauregard, directrice stratégique en développement de l'organisme Développement économique de l'agglomération de Longueuil, DELagglo.

Selon David Nault, vice-président, investissement, chez iNovia Capital, le passage des entreprises dans un incubateur leur permet «d'être beaucoup mieux structurées, mieux "alignées" sur ce qu'attendent les fonds d'investissement, car elles se préparent mieux, ont une idée plus précise de leurs besoins de financement et ont plus l'habitude d'être "challengées". Les incubateurs font passer les projets d'idée embryonnaire à une étape plus avancée après validation des besoins du marché et du modèle d'entreprise».

Un écosystème disparate

C'est un écosystème dynamique, mais «il existe un grand fouillis dans cet écosystème», constate Jean-François Cauchon, directeur général d'Inno-centre. Cet ancien incubateur est devenu depuis quatre ans un accélérateur spécialisé dans les TI, les dispositifs et logiciels médicaux, la fabrication avancée, les énergies vertes et le secteur de la transformation alimentaire et agroalimentaire. «Le mot incubateur est galvaudé, car il n'y a pas d'appellation contrôlée», constate aussi Julie Biron, commissaire industrielle à la Société de développement économique de Drummondville et présidente du Réseau IncubAction, le regroupement des incubateurs du Québec.

En effet, il n'existe pas de critères établis pour donner le droit à une structure de prendre le nom d'incubateur ou d'accélérateur. Certains incubateurs offrent un hébergement physique, d'autres non. Tous ou presque proposent un accompagnement au démarrage d'entreprise. Mais là encore, chacun a sa propre recette, et parfois, «cela consiste en des offres très commerciales, peu intéressantes de la part de cabinets de professionnels partenaires qui essaient d'en profiter pour vendre leurs services», confie une entreprise incubée qui souhaite conserver l'anonymat.

Pour alléger leurs coûts, plusieurs incubateurs et accélérateurs établissent des partenariats avec des firmes d'avocat, de développement d'affaires ou de financement qui proposent leur aide en espérant trouver là de futurs clients fortunés à fidéliser d'avance. Si certains offrent un service personnalisé de qualité, d'autres font le minimum, puisque les services dans ce contexte sont souvent gratuits. Certaines structures embauchent des spécialistes à demeure ou proposent des événements-conférences sur divers thèmes, comme le financement ou le plan d'affaires.

Un besoin d'évaluation

«Qu'une entreprise passe par un incubateur ou un accélérateur, ce n'est pas mauvais en soi, mais il faudrait évaluer la performance de ces entités, d'autant plus que la plupart sont financées en partie par des fonds publics», affirme Martine Hébert, vice-présidente principale et porte-parole nationale de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante.

Selon elle, il serait nécessaire d'analyser la situation pour savoir si les entreprises incubées survivent réellement plus longtemps que les autres à long terme et si elles croissent. On devrait également s'assurer que ces structures ne maintiennent pas en vie artificiellement des projets sans issue en les gardant dans un espace protégé, à l'abri de la réalité extérieure.

Sylvain Tessier, président de ST marketing, une firme spécialisée en stratégie d'affaires de Trois-Rivières, se demande «jusqu'où ces structures estiment la valeur entrepreneuriale de l'instigateur du projet : est-il prêt à bien s'entourer, à se faire lancer des défis, est-il la bonne personne pour mener ce projet ?»

Il considère également que l'incubateur devrait être prolongé par une structure plus légère capable de continuer à suivre de loin les entreprises incubées «afin de tester leur autonomie». «On pourrait imaginer un conseil consultatif que les entreprises pourraient solliciter quand elles ont d'importantes décisions à prendre», suggère-t-il.

La boucle serait alors bouclée, et l'objectif de survie à long terme des entreprises serait mieux assuré.

CINQ CRITÈRES POUR FAIRE LE BON CHOIX

L'équipe

«Cela vaut la peine de rencontrer l'équipe d'accompagnement et d'interroger d'autres entreprises incubées afin d'avoir leur avis sur la qualité des intervenants», dit Jacynthe Beauregard, de DELagglo. «Les intervenants et les dirigeants ne doivent pas seulement être des gestionnaires, ajoute David Nault. Ils doivent avoir de bonnes relations dans leur domaine.»

Le réseau

Il faut s'assurer que la structure jouit d'un bon réseau dans votre secteur d'activité, mais aussi dans les structures de financement, dont les fonds de capital de risque. Certains organismes sont situés dans les mêmes locaux qu'un fonds d'investissement ou comprennent un bureau occupé plusieurs jours par semaine par un bailleur de fonds. C'est le cas de la Maison Notman et de la Banque de développement du Canada (BDC). Le réseau international d'un bailleur de fonds est incontournable si vous prévoyez exporter.

L'hébergement

L'incubateur offre-t-il des espaces de travail en location ? Dans le cas d'une entreprise en démarrage, le fait que l'incubateur loue des bureaux adaptés à son activité peut être un critère important, d'autant que les loyers sont généralement inférieurs au prix courant, du moins au début. La qualité de l'équipement est également un critère en ce qui concerne les entreprises de secteurs spécialisés. De plus en plus de structures sont virtuelles : elles proposent un accompagnement en services professionnels sans hébergement physique. Ce qui peut être naturel pour des entreprises en croissance qui ont déjà leurs locaux ne l'est pas forcément pour de jeunes sociétés. En effet, celles-ci pourraient tirer profit de côtoyer des entrepreneurs dans leur situation.

Le financement

Rares sont les incubateurs qui versent de l'aide financière ou qui investissent dans les entreprises qu'ils accueillent. En revanche, les accélérateurs le font presque constamment. Prêt, prise de participation, il faut savoir quelle forme prend l'aide financière.

L'accompagnement

Les incubateurs et les accélérateurs misent généralement sur les services professionnels qu'ils offrent grâce à l'engagement de gens d'affaires spécialisés dans leur domaine d'activité et qui jouent le rôle de coach ou d'experts. «Les services incontournables à trouver dans un incubateur concernent l'accompagnement au démarrage : la préparation du plan d'affaires, la planification financière, l'analyse de marché, la propriété intellectuelle, etc.», dit Jacynthe Beauregard, de DELagglo. Elle considère que «toute forme d'incubation est intéressante parce qu'elle permet d'aller chercher de l'expertise complémentaire». L'accompagnement dans les accélérateurs est généralement plus pointu.

Un enjeu important : veiller à ce que l'accompagnement ne soit pas trop généraliste, mais plutôt personnalisé afin qu'il s'adapte le mieux possible à votre entreprise et à son stade de développement. «Une bonne façon de juger la qualité du programme d'accompagnement est de prendre contact avec des entreprises d'anciennes cohortes pour avoir leur point de vue, prévient David Nault. Il faut vérifier que la feuille de route est bonne, qu'elle a donné naissance à des entreprises à succès par le passé.»

Sur le Web
L’automne dernier, Les Affaires organisait sa propre initiative d’incubation express : lancer une start-up en sept jours avec moins de 700 $. Découvrez tout sur cet événement ainsi que des conseils pratiques pour créer votre entreprise dans le livre électronique en téléchargement gratuit à www.lesaffaires.com/dossier/defi-start-up-7.

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