Entrevue n°278 : Baronne Glenys Thornton, pdg, Young Foundation


Édition du 27 Février 2016

Entrevue n°278 : Baronne Glenys Thornton, pdg, Young Foundation


Édition du 27 Février 2016

Par Diane Bérard

«Il ne suffit pas de trouver un emploi à un chômeur pour réduire les inégalités» - Baronne Glenys Thornton, pdg, Young Foundation.

La baronne Glenys Thornton s'est impliquée au sein du mouvement coopératif britannique, du mouvement féministe (elle a contribué à la rédaction du Equality Act de 2010), de la politique (elle a été ministre de la Santé) et de l'entrepreneuriat social (elle a été parmi les premières personnes à mentionner ce terme au Parlement britannique). Depuis juin 2015, elle dirige la Young Foundation.

Diane Bérard - Qu'est-ce que la Young Foundation ?

Glenys Thornton - Elle a été créée il y a 60 ans par le sociologue Michael Young. Nous élaborons des projets pour réduire les inégalités. Nous sommes tournés vers l'action, pas la recherche. Nous cocréons avec le secteur public, le secteur privé et la société civile.

D.B. - Il y a toujours eu des inégalités, mais aujourd'hui, elles font les manchettes...

G.T. - Notre fondateur était un précurseur. Il saisissait déjà les impacts d'une société inégalitaire sur le bonheur et le développement des individus et des communautés. Les inégalités affectent la capacité d'un individu ou d'une communauté à croire à ses capacités et à élaborer des projets. Une telle vision entraîne des conséquences désastreuses. C'est ce que de plus en plus de groupes constatent.

D.B. - Donnez-nous un exemple de projet que vous avez entrepris.

G.T. - Je peux vous parler de l'organisme UpRising qui a été incubé chez nous avant de voler de ses propres ailes. UpRising se concentre sur le leadership et l'employabilité. Il travaille, entre autres, avec la population d'East London, un quartier de Londres métissé qui a accueilli plusieurs vagues d'immigrants. Plusieurs, surtout les jeunes, peinent à prendre leur place. Ils ne savent pas comment faire entendre leur voix. UpRising organise des stages de quelques mois où ces jeunes apprennent à parler en public, à exprimer leurs idées et à débattre. On les jumelle à des mentors qui leur permettent de vivre une expérience en entreprise ou au gouvernement. UpRising permet de passer du statut d'exclus à celui d'inclus.

D.B. - En quoi le projet UpRising contribue-t-il à réduire les inégalités ?

G.T. - Les jeunes immigrants d'East London démarrent dans la vie en situation d'inégalité. Ils sont pauvres. Les écoles auxquelles ils ont accès sont de piètre qualité. Ils ont peu d'aspirations. À la fin de leur stage, ils ont acquis plus de confiance en eux et de compétences. Ce que ni l'école ni leur famille ne peuvent leur inculquer. Du coup, leur vision de ce que la vie peut leur apporter change. Plusieurs décident d'aller à l'université.

D.B. - Doit-on comprendre que la réduction des inégalités ne passe pas nécessairement par des solutions économiques et financières ?

G.T. - On ne peut pas nier qu'il existe une composante économique aux inégalités. La richesse n'est pas également répartie. Mais pour briser le cercle vicieux des inégalités, il ne suffit pas de trouver un emploi à quelqu'un qui n'en a pas. Si cette personne n'a pas confiance en elle ou qu'elle ne possède pas d'habiletés particulières, elle sera condamnée toute sa vie à une situation financière et professionnelle précaire.

D.B. - Les fondations comme la vôtre jouent un rôle important dans la réduction des inégalités. Mais ce rôle évolue. Expliquez-nous.

G.T. - Les fondations retrouvent le rôle et le comportement qu'elles avaient au 19e siècle. La fondation Carnegie, par exemple, bâtissait des bibliothèques pour démocratiser la connaissance. Sa mission était claire, son impact aussi. Au 20e siècle, plusieurs fondations ont cessé leurs activités parce qu'elles avaient dépensé tout leur argent. Les autres ont modifié leur façon d'investir. Elles ont continué de soutenir des causes très valables, mais sans la cohérence observée au 19e siècle. Plusieurs interventions n'ont pas récolté des retombées à la hauteur des sommes allouées. Depuis quelques années, les fondations se montrent plus stratégiques. Elles raffinent leur mission, ciblent les partenaires qui ajoutent de la valeur à leurs interventions et se mettent en quête de mesures d'impact. Elles migrent d'une série de projets à une plateforme capable de susciter un changement durable.

D.B. - Parlons de la gestion des fondations. On a longtemps valorisé celles qui consacraient la plus petite partie de leur budget à l'administration. Cela est aujourd'hui remis en question...

G.T. - Je comprends que les donateurs souhaitent que leurs dons soient bien investis. Mais ce ne sera pas le cas si vous n'avez ni la structure ni les ressources matérielles et humaines pour déployer ces dons..

D.B. - Comment la Young Foundation est-elle financée ?

G.T. - Contrairement à d'autres grandes fondations, nous n'avons aucun fonds de dotation, c'est-à-dire aucune réserve dans laquelle puiser. Chaque fois que nous avons une idée, nous enclenchons la machine pour trouver des partenaires et des fonds.

D.B. - La Young Foundation ne fait pas vraiment de philanthropie. Expliquez-nous.

G.T. - La Young Foundation investit dans des innovations sociales qui contribuent à réduire les inégalités. Une de nos divisions, la Young Academy, investit dans des start-up sociales liées à l'éducation. Nous les incubons de 6 à 12 mois pour les préparer à obtenir du financement. Celui-ci est puisé à même un fonds de 3 millions de livres (5,9 M$ CA) dont nous disposons grâce à des contributions gouvernementales et privées. Notre succès est mesuré selon notre capacité à recruter des start-up de qualité et à les préparer adéquatement. En un an, nous avons incubé 25 start-up et nous avons investi dans 3 d'entre elles. Nous prévoyons de 12 à 20 investissements en 2016.

D.B. - Parlons de l'échec. Est-on plus sévère avec un incubateur de start-up sociales parce qu'il est financé par l'argent des dons et non par du capital de risque ?

G.T. - L'échec fait partie du processus d'apprentissage, quel que soit votre secteur. J'ai travaillé pour Michael Young au début de la fondation. Mon rôle consistait à tester des idées. J'en ai testé cinq. Une seule fut implantée avec succès. Deux ont donné des résultats, mais pas ceux qu'on avait prévus. Deux ont échoué.

D.B. - Parlons de responsabilité sociale. En janvier 2013, la Grande-Bretagne a voté le Public Services (Social Value) Act. De quoi s'agit-il ?

G.T. - Cette loi incite les fonctionnaires qui s'apprêtent à lancer un appel d'offres public à considérer toutes les retombées, pas seulement les retombées économiques. Cela signifie que la meilleure décision ne consiste pas nécessairement à accorder le contrat au plus bas soumissionnaire. Par exemple, si vous achetez des services de collecte de rebus, vous pouvez accorder le contrat à une société internationale. Mais vous pourriez aussi l'attribuer à une société locale qui a mis au point des techniques spécialisées de recyclage ou de valorisation de déchets. Ce contrat peut coûter plus cher, mais sa valeur sociale est plus élevée.

D.B. - Cette loi a-t-elle un impact sur les entreprises ?

G.T. - Oui, elles ne peuvent plus se contenter d'externaliser leurs bonnes actions en finançant des fondations. Elles doivent être elles-mêmes créatrices d'impact social et environnemental.

D.B.- Londres est une plaque tournante de la finance. La City se sent-elle concernée par l'investissement social ?

G.T. - La Young Foundation est partenaire avec plusieurs institutions financières. Le secteur financier ne nous a pas très bien servis au cours des dernières années. Peut-être veut-il se racheter ? Nous allons leur en donner l'occasion. [Rires.]

Suivez Diane Bérard sur Twitter @diane_berard

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