Croître et faire croître


Édition du 06 Février 2016

Croître et faire croître


Édition du 06 Février 2016

Par Matthieu Charest

Michael Denham. [Photo : Martin Flamand]

Michael Denham s'est fait discret depuis son entrée à la tête de la Banque de développement du Canada (BDC) le 10 août 2015. Dans sa première entrevue de fond à un grand média francophone, il dévoile enfin ses projets pour l'institution. En substance, le Canada n'a encore rien vu.

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Les Affaires - La BDC a 32 000 clients. C'est beaucoup, mais ça ne représente qu'une infime portion des entreprises canadiennes, dont le nombre était estimé à plus de 1 250 000 en juin 2015 par Statistique Canada. À titre de président et chef de la direction, avez-vous l'intention d'en faire plus ?

Michael Denham - Le premier volet de ma stratégie, de ma vision, c'est de toucher le plus de personnes possible, d'élargir notre portée. D'abord, nous allons embaucher ; surtout des directeurs de comptes. Nous allons aussi augmenter le nombre de nos succursales dans tout le pays. Nous en avons déjà une centaine, et d'ici 2017 ou 2018, nous en aurons de 125 à 130, dont une dizaine de plus au Québec. Le Québec, c'est non seulement le tiers de notre portefeuille, mais vraiment aussi le coeur de la BDC. C'est à Montréal que nous avons notre siège social.

L.A. - Vous voulez simplifier les processus. Est-ce trop compliqué de faire affaire avec vous ?

M.D. - Je crois que c'est simple, mais je veux rendre ça encore plus facile. Avec l'aide des nouvelles technologies, je veux que la BDC soit un modèle pour nos clients. Nous allons d'ailleurs mettre en place un programme grâce auquel notre personnel sera équipé de tablettes afin d'approuver des prêts en temps réel. Nous voulons être agiles et faire en sorte que ce soit simple de faire affaire avec nous.

En collaboration avec nos universités et nos écoles, nous allons mettre sur pied quelque chose comme «l'Académie BDC» afin de transmettre des compétences pour aider nos entrepreneurs. Encore au stade préliminaire, ce cursus sera virtuel, mais ambitieux et vaste. Oui, les PME ont besoin de capital, mais lorsque le financement est combiné au mentorat et à l'éducation, la magie opère.

L.A. - Au cours des derniers mois, les cours du pétrole ont dégringolé sous des niveaux historiques, le TSX a chuté, le huard est faible et la croissance projetée pour 2016 semble neutralisée. Êtes-vous pessimiste ?

M.D. - Non, pas du tout. Depuis que je suis arrivé [en poste], j'ai eu des centaines de discussions avec nos clients. Quand j'entends parler de leurs projets et de leurs initiatives, je ne suis pas pessimiste pour l'avenir. Cela dit, ce n'est pas facile en ce moment, surtout dans le secteur du pétrole et du gaz. Mais on pose des gestes pour aider et soutenir les PME dans ce secteur. Nous avons annoncé 500 millions de dollars en novembre dernier pour les aider à se diversifier et à stabiliser leurs fonds de roulement. La demande a été plus forte que prévu, et c'est tant mieux. Nous allons élargir notre offre s'il le faut, nous devons leur donner du temps.

L.A. - Ce n'est pas un peu contre-intuitif de soutenir les PME qui oeuvrent dans le secteur des énergies fossiles ? Comment pouvez-vous justifier votre appui à un secteur polluant dont les perspectives de rendement, selon le Fonds monétaire international notamment, sont pour le moins médiocres ?

M.D. - Ce qu'on fait dans le cleantech [technologie propre] est considérable. Nous allouons 275 M$ dans ce secteur en capital de risque, 325 M$ par du financement par emprunt, et nous aidons les entreprises par l'intermédiaire des accélérateurs et de nos services-conseils.

Quant aux PME dont vous parlez, nous avons la responsabilité de les soutenir lorsqu'elles éprouvent des difficultés. À terme, nous voulons que ces entreprises puissent s'adapter et s'aligner sur les technologies propres. Nous manquons de diversification au Canada, en particulier en Alberta. En excluant les matières premières, notre part dans les importations américaines a vraiment baissé. Il faut absolument renverser cette tendance.

L.A. - Parlant d'exportations, lorsque vous étiez directeur général principal de la firme d'experts-conseils Accenture Canada en 2012, vous aviez confié au Globe and Mail que c'était une malédiction [curse] pour le Canada d'être si proche des États-Unis. Qu'en pensez-vous aujourd'hui ?

M.D. - Que je suis une victime des cycles économiques ! (Rires.) Reste qu'à moyen long terme, c'est dangereux de ne se concentrer que sur les États-Unis. En ce moment, l'économie américaine se porte assez bien, et les pays du BRIC [le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine] se trouvent dans une période de turbulence. S'il est vrai que les entreprises doivent rester disposées à exporter sur plusieurs marchés, dans le futur proche, c'est plus simple de viser les États-Unis, surtout pour une entreprise qui n'a encore jamais exporté. Pour celles qui ont déjà de l'expérience, je conseille plutôt la Chine et l'Inde. C'est primordial pour le pays de changer notre performance en matière d'exportation. Je crois que le message commence à résonner, mais les résultats ne sont pas encore là. J'ai rencontré un client récemment qui me disait qu'il y avait de grandes occasions pour son entreprise en Chine, en Inde et aux États-Unis, mais qu'il n'avait tout simplement pas le temps de s'en occuper, de trouver un distributeur, etc. Et c'est notre rôle de les aider à découvrir les meilleures stratégies pour entrer sur ces marchés. Ce n'est pas qu'elles manquent d'ambition, mais souvent nos entreprises ne connaissent pas ces marchés, ce qui entraîne un manque de confiance.

L.A. - Avec la faiblesse actuelle du dollar canadien, nos entreprises devraient-elles multiplier les occasions d'exporter ?

M.D. - C'est tout à fait le moment de s'attaquer aux exportations, et c'est une priorité pour nous. Avec plus d'exportations, on crée plus d'emplois, on devient plus innovant, plus compétitif. Ça commence, mais il y a un délai entre un taux de change favorable et une hausse des exportations. Trop souvent, les PME manquent de ressources pour exporter, elles sont très occupées à gérer les défis et les occasions à court terme. Nous voulons être le complément pour les aider avec des informations, des réseaux et des contacts pour qu'elles y parviennent. Nous venons de lancer le programme Entreprises à impact élevé, qui fait partie du programme BDC Avantage. Il s'agit d'un vaste effort de consultation pour des entreprises qui ont au moins 20 M$ de revenus, une croissance annuelle de 20 % ou 30 % et une attitude conquérante, afin de leur donner accès à une équipe d'experts pour les aider à atteindre leurs ambitions. À terme, on parle d'une équipe qui comptera une cinquantaine de personnes.

L.A. - Dans le contexte de la faiblesse des taux d'intérêt, le rôle de la BDC auprès des PME est-il toujours pertinent ?

M.D. - Même s'il y a beaucoup de liquidités, surtout pour les grandes entreprises, notre rôle est toujours d'assurer que nos PME, les start-up, les entreprises autochtones, toutes celles qui sont assets light [peu capitalistiques] ont accès à des fonds. [Dans ce créneau], il faut encore compenser. Nous sommes leur porte d'entrée.

L.A. - Comptez-vous augmenter vos investissements en capital de risque ? Et comment la BDC peut-elle tirer son épingle du jeu dans ce créneau, alors que vous faites face à plusieurs investisseurs privés ?

M.D. - Dans le capital de risque, il n'y a pas de surplus de liquidités. Dans ce créneau, nous avons environ 1 milliard de dollars d'actifs et nous investissons 250 M$ par année. Nous voulons augmenter nos investissements de 10 à 15 % par an, soit dans des fonds, soit directement dans les entreprises. Quant aux start-up en TI, en technologies propres ou en soins de la santé, nous devons les soutenir dès le début et continuer à les soutenir, à chaque ronde de financement. Nous sommes aussi très présents dans plusieurs accélérateurs d'entreprises au Canada, dont la Maison Notman et FounderFuel au Québec. C'est aussi très important d'attirer des fonds privés, plus que des fonds publics, pour les soutenir. Et si nous sommes là, c'est plus rassurant pour les investisseurs privés. Notre performance dans le capital de risque est bonne, c'est rentable [23,3 M$ de bénéfices pour l'exercice 2015 et 12 M$ de pertes en 2014]. C'est même une bonne façon de générer des profits. Ces entreprises-là, c'est l'avenir de notre économie.

L.A. - Est-ce que l'élection d'un gouvernement libéral à Ottawa en octobre dernier change la donne pour la BDC ? Comme société de la couronne, avez-vous de nouvelles orientations ?

M.D. - C'est encore très tôt pour le gouvernement. On verra ce qu'il fera dans le prochain budget. Cependant, lorsqu'on regarde les lettres de mandat des ministères économiques, on voit beaucoup les mots «croissance» et «innovation». C'est en plein ça, notre mission ; je pense que nous sommes [en phase].

L.A. - Vous avez versé à peu près 63 M$ de dividendes au gouvernement fédéral en 2015. Avec le déficit prévu dans le prochain budget, les dividendes sont-ils appelés à augmenter ?

M.D. - Il y a une formule qui sert à déterminer le montant des dividendes que nous versons, et nous n'avons pas eu de discussion pour changer cette formule. Le Canada bénéficie de nous et de notre bilan. Je m'attends à un surcroît d'intérêt pour que nous dépensions [davantage par rapport à] notre bilan plutôt que de verser des dividendes plus élevés au gouvernement. J'espère que nous investirons plus dans l'économie plutôt que d'être une «vache à lait». Une chose est sûre, nous renforcerons l'importance de la BDC au Canada. C'est pour ça que j'y suis entré.

La BDC en chiffres

› 100 bureaux

› 32 000 clients

› 490,7 millions de dollars de bénéfices en 2015

› 2 000 employés

› 21,1 milliards de dollars d'actifs

› 62,9 millions de dollars de dividendes au gouvernement fédéral en 2015.

Source : Rapport annuel 2015 de la BDC

10 ÉTAPES DU PARCOURS DE MICHAEL DENHAM

› 1982 à 1986 : Il étudie à l'Université Princeton, aux États-Unis, où il obtient un baccalauréat en affaires publiques et internationales.

› 1986 à 1987 : il fait une maîtrise en économie à la London School of Economics and Political Science (diplôme obtenu avec mention).

› 1987 : Il entame sa carrière dans les bureaux torontois de McKinsey & Company, une firme multinationale de services-conseils.

› De 1994 à 2001 : Il est responsable de la pratique canadienne du cabinet (avec un accent particulier sur la fabrication et le secteur minier).

› 2001 : Il s'établit à Montréal afin d'occuper les fonctions de vice-président principal, stratégies, chez Bombardier. Il est notamment responsable des fusions et acquisitions, de la stratégie d'entreprise et des partenariats mondiaux.

› 2005 : Il devient président, service d'impartition des processus d'affaires chez CGI, géant des TI québécois. Il reste en poste jusqu'en 2007.

› 2007 : Il est nommé directeur général de la consultation en gestion chez Accenture, une firme de services-conseils.

› 2011 : Il est promu directeur général principal de la division canadienne d'Accenture.

› D'avril à juillet 2015 : Il assume les fonctions de président et chef de la direction chez AquaTerra (eau embouteillée Labrador).

› 10 août 2015 : Le Torontois d'origine âgé de 51 ans est nommé président et chef de la direction de la Banque de développement du Canada.

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