«Rester avec des actionnaires divergents aurait été plus risqué» - Gilles Létourneau, pdg d'Acceo Solutions

Publié le 13/04/2013 à 00:00

«Rester avec des actionnaires divergents aurait été plus risqué» - Gilles Létourneau, pdg d'Acceo Solutions

Publié le 13/04/2013 à 00:00

Par Marie-Claude Morin

Photo: Gilles Delisle

Rassembler 75 millions de dollars pour racheter son actionnaire majoritaire, ça empêcherait plusieurs entrepreneurs de dormir. Pour Gilles Létourneau, pdg d'Acceo Solutions, la décision n'a pourtant pas été difficile à prendre. Elle s'imposait.

La française GFI Informatique freinait la croissance de la société qu'il avait fondée, et qui s'appelait alors GFI Solutions. Il fallait changer les choses.

«Nous préférions nous séparer alors que nous pouvions encore nous entendre pour bien le faire», raconte l'homme d'affaires dans son bureau du Vieux-Montréal.

Le mariage avec la société française, célébré en 2004, avait certes connu des années heureuses. Grâce à lui, l'entreprise montréalaise spécialisée dans les logiciels de gestion avait réalisé une demi-douzaine d'acquisitions. À elles seules, celles de Bell Solutions d'affaires et Fortsum, réalisées en 2008 et 2009, avaient triplé sa taille.

Début 2011, toutefois, GFI Solutions doit se rendre à l'évidence : le conjoint a bien changé depuis les noces. D'abord, il a resserré ses liens avec deux fonds spéculatifs (hedge funds) après une offre d'achat hostile de Fujitsu en 2007. Ces investisseurs plus axés sur le court que le long terme «modifient l'orientation» de l'entreprise.

De plus, GFI Informatique en a plein les bras avec l'Europe, où elle concentre ses activités. Depuis deux ans, elle «refuse pratiquement de facto» les dossiers d'acquisitions de Gilles Létourneau et son équipe. La lune de miel entre Paris et Montréal est bel et bien finie.

«GFI Informatique avait changé sa vision stratégique à long terme. Elle ne voulait plus investir à l'extérieur de l'Europe, où elle avait d'ailleurs certaines difficultés.» La situation causait d'autant plus de frustration dans les bureaux de Montréal que les choses allaient très bien chez GFI Solutions. «Nous avons donc commencé à penser à racheter les Français.» Ces derniers détiennent alors 62,4 % du capital de la société canadienne.

Convaincu que son entreprise «est l'une des plus belles du Québec et qu'elle doit continuer d'évoluer», le pdg se tourne vers son équipe de direction pour évaluer la pertinence du divorce. «J'ai une équipe assez formidable. Sentir qu'on n'est pas seul à bord du bateau, ça aide beaucoup à prendre des décisions.»

Regagner du contrôle

La perspective de rapatrier au Québec l'actionnariat de GFI Informatique enthousiasme les vice-présidents. En plus de se défaire d'un frein, ils pourront acquérir des actions de l'entreprise ! «La participation au capital était un élément très motivant, surtout pour ceux qui n'avaient pas d'actions.»

Un groupe de dirigeants étaient déjà actionnaires, mais ceux qui s'étaient joints à l'entreprise au fil des acquisitions n'avaient pas eu la possibilité de participer au capital. Même si l'entreprise ne pouvait offrir des actions à l'ensemble des employés (une société à capital fermé ne peut pas compter plus de 50 actionnaires), elle pouvait au moins faire en sorte que les dirigeants «reprennent plus de contrôle».

Quatorze dirigeants décident ainsi d'acheter 12,1 % du bloc d'actions de GFI Informatique. Cet investissement d'environ 9 M$ fait passer de 6,7 % à 14,3 % la participation de la direction au capital.

Gilles Létourneau fait partie du lot. Sans hésitation. «Je trouvais qu'il y avait plus de risque à rester avec des actionnaires aux intérêts divergents qu'à réinvestir une somme importante dans l'entreprise.» Quand les actionnaires sont en désaccord sur des points fondamentaux, la gestion est «inconfortable» et la valeur de l'entreprise diminue. De toute façon, il aime mieux investir dans ses propres sociétés que dans celles qui sont en Bourse. «Mes entreprises ont toujours plus prospéré que les investissements que j'ai pu faire dans des entreprises externes.»

Diviser le pouvoir

Présent dans l'actionnariat depuis 2008, le Fonds de solidarité FTQ appuie le rachat des Français. «Le Fonds avait les mêmes intérêts que nous. Il voulait continuer de faire progresser l'entreprise.» L'institution allonge 8,7 M$ pour augmenter sa participation de 31,1 à 38,4 %.

Évidemment, l'investissement de l'équipe de direction et du Fonds de solidarité ne suffit pas. Il faudra trouver de nouveaux investisseurs. Au moins, il est possible de structurer l'actionnariat de sorte que personne n'ait le contrôle. Pour ce faire, il suffit de recueillir la soixantaine de millions nécessaires auprès de deux investisseurs, qui se partageront 47,3 % des actions (75,7 % du bloc de GFI Informatique).

Quant à s'allier à un nouveau partenaire stratégique, la direction avait exclu cette possibilité dès le départ. Comme il n'y a, dans son secteur, «pas beaucoup, voire aucune» entreprise de sa taille au Québec, elle aurait dû se tourner vers le reste du Canada. «Les entreprises n'y ont pas nécessairement les mêmes orientations que nous.»

Pas question non plus d'entrer en Bourse, contrairement aux visées passées. «Trop petite» avec ses 100 M$ de revenus, la société n'aurait pas suffisamment de volume sur son titre. Gilles Létourneau «sait maintenant ce que c'est que d'être en Bourse», ayant acquis et privatisé deux sociétés cotées. «Il faut avoir de bonnes raisons d'être en Bourse. Or, nous n'avons pas besoin de financement et, de plus, nous avons encore besoin de deux ans pour achever notre plan d'intégration [de Fortsum et Bell Solutions d'affaires]. Sans oublier que ce n'est pas toujours bien vu, en Bourse, d'investir dans le développement à long terme de produits.»

Choisir les bons actionnaires

GFI Solutions approche donc des investisseurs institutionnels, plus susceptibles de rester «au moins cinq à sept ans». Dans un marché québécois «pas très grand, où tout le monde se connaît», elle se tourne vers Capital régional et coopératif Desjardins et Investissement Québec. «Les actionnaires que j'ai choisis dès le départ ont accepté.»

Ces investisseurs sont heureux de rapatrier le capital d'une entreprise comptant 725 employés au Québec (plus de 800 au total). La participation des dirigeants au capital est également «drôlement rassurante». Qui plus est, ces nouveaux actionnaires savent à quoi s'en tenir, la convention d'actionnaire, le prix d'achat et le plan d'affaires étant déjà établis.

C'est que Gilles Létourneau et son équipe ont fait signer un protocole d'entente à GFI Informatique quelques mois après le début des discussions, ce qui fixait plusieurs aspects de la transaction. La société française s'engageait à vendre si elle obtenait un certain prix. «Le protocole diminuait le risque de passer des mois en vérification diligente, puis de voir les Français changer d'idée.»

Après les discussions «assez houleuses» avec GFI Informatique pour établir le prix, les négociations avec les nouveaux investisseurs vont «très bien». Le rachat est d'ailleurs officialisé le 1er mars 2012.

Acceo Solutions, comme elle a été rebaptisée en septembre dernier, peut maintenant compter sur des actionnaires «prêts à réinvestir au besoin». Elle qui est «encore très concentrée au Québec», malgré ses 25 ans cette année, repart à la chasse aux acquisitions. Son pdg aimerait réaliser d'autres grandes transactions, surtout dans l'Ouest canadien et le Nord-Est américain. «Nous doublerons, au moins, nos revenus d'ici trois ans, mais ça ne me surprendrait pas non plus que nous les quintuplions.» À 54 ans, Gilles Létourneau est loin de rêver à la retraite. Juste l'idée le fait rire : «Je m'ennuierais pas mal !»

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