Entrevue n°300 : Daniela Papi-Thornton, directrice adjointe, Skoll Centre for Social Entrepreneurship


Édition du 10 Septembre 2016

Entrevue n°300 : Daniela Papi-Thornton, directrice adjointe, Skoll Centre for Social Entrepreneurship


Édition du 10 Septembre 2016

Par Diane Bérard

«Méfions-nous de l'hérospreneurship, ce culte de l'entrepreneur social» - Daniela Papi-Thornton, directrice adjointe, Skoll Centre for Social Entrepreneurship.

Le Skoll Centre for Social Entrepreneurship est lié à la Saïd Business School de l'Université d'Oxford. Il est responsable du programme en entrepreneuriat social. Un profil populaire qui attire de nombreux étudiants étrangers. Daniela Papi-Thornton s'est penchée sur l'envers de la médaille de cette réussite.

Diane Bérard - Ce printemps, vous avez publié un article intitulé «Tackling heropreneurship» (Pour en finir avec l'hérospreneurship) dans la Stanford Social Innovation Review. Que dénoncez-vous ?

Daniela Papi-Thornton - Je fais une mise en garde contre le culte de l'entrepreneur social, comme si à lui seul il venait à bout des problèmes sociaux et environnementaux complexes.

D.B. - Comment se manifeste l'hérospreneurship ?

D.P.-T. - C'est par exemple un jeune Nord-Américain ou un jeune Européen qui se rend en Amérique latine ou en Afrique avec une idée d'affaires pour résoudre un problème social ou environnemental qu'il n'a jamais affronté. Cela s'applique par extension à tout entrepreneur social qui s'attaque à un problème auquel il n'a jamais fait face. Doit-on consacrer les ressources limitées du soutien à l'entrepreneuriat à ces héros importés ? Ne devrait-on pas investir ces sommes dans des entrepreneurs locaux et dans l'éducation de ces jeunes Nord-Américains et de ces jeunes Européens pour qu'ils comprennent la complexité des grands enjeux auxquels ils se heurtent ?

D.B. - Qu'est-ce qui a engendré l'hérospreneurship ?

D.P.-T. - Nous sommes responsables de cette situation. Nous, c'est-à-dire l'écosystème formé des établissements d'enseignement, des accélérateurs et des incubateurs d'entrepreneurs sociaux. Notre façon d'enseigner l'entrepreneuriat social et de sélectionner les candidats aux programmes d'accompagnement laisse croire que des individus seuls peuvent réaliser ce qui exige des équipes entières et souvent des regroupements d'organisations. Les médias ont aussi leur part de responsabilité. C'est beaucoup plus vendeur de raconter la fin de l'histoire - le lancement d'une entreprise sociale par un jeune passionné - que de relater les tâtonnements des 25 dernières années de la part de tous ceux qui ont buté sur le même problème.

D.B. - Parlez-nous de la formation en entrepreneuriat social donnée dans les écoles de gestion et les accélérateurs et incubateurs...

D.P.-T. - On encourage les idées préconçues. Il faut inciter les candidats à épouser le problème, pas leur solution. Au lieu de leur demander de parler de leur idée, interrogeons-les sur les solutions existantes. Ce qui a été tenté. Ce qui a fonctionné. Ce qui n'a pas fonctionné. Ce qui manque.

D.B. - Pourquoi faut-il se méfier des hackathons, ces processus créatifs de groupe ?

D.P.-T. - Je n'ai rien contre le principe du hackathon. Mais il faut le prendre pour ce qu'il est, un outil pour générer des idées, pas des solutions. Pour trouver une solution utile, il faut maîtriser parfaitement un problème. Un hackathon ne dure pas assez longtemps pour permettre aux participants de maîtriser un problème.

D.B. - Comment freine-t-on les ardeurs des aspirants entrepreneurs sociaux pour les convaincre de faire de la recherche plutôt que de se lancer tout de suite en affaires ?

D.P.-T. - Je crois qu'on se trompe en pensant que tous ceux qui ont à coeur les problèmes sociaux et environnementaux ont la fibre entrepreneuriale. On fait aussi fausse route en croyant que les futurs entrepreneurs se trouvent dans les écoles de gestion. Les Richard Branson n'ont pas de MBA. Certes, l'entrepreneuriat social attire de plus en plus d'étudiants. Mais la plupart aspirent à travailler dans ces entreprises, pas à les créer. Ou ils veulent travailler pour de grandes entreprises et y être des agents de changement.

D.B. - Du 7 au 9 septembre, Montréal accueille le Forum mondial de l'économie sociale (GSEF). Comment éviter que le GSEF n'accentue le phénomène du hérospreneurship au Québec ?

D.P.-T. - D'abord, en s'assurant que les panels ne sont pas peuplés que de riches qui règlent les problèmes des pays pauvres. Ensuite, en prenant soin de célébrer tous les rôles liés au changement social et environnemental, au-delà de l'entrepreneur. Nos gouvernements, nos banques et toutes nos institutions ont besoin d'évoluer.

D.B. - Pour aider tous ceux qui veulent s'attaquer à des problèmes sociaux ou environnementaux, vous avez inventé l'outil Impact Gap Canvas. De quoi s'agit-il ?

D.P.-T. - C'est l'étape avant le Business Model Canvas. [il s'agit d'une matrice dans laquelle l'entrepreneur inscrit tous les éléments qui composent son modèle - prix, proposition de valeur, clients, fournisseurs, etc. - et dresse les liens entre eux.] À gauche, vous inscrivez le problème. Vous précisez qui profite du statu quo, soit du maintien de ce problème. À droite, vous répertoriez les solutions. Au centre, vous inscrivez ce qui manque. L'Impact Gap Canvas est utilisé dans quelques universités ainsi que dans des incubateurs.

D.B. - Qu'est-ce que le Global Challenge du Skoll Centre for Social Entrepreneurship ?

D.P.-T. - C'est un concours qui s'adresse aux étudiants universitaires et aux jeunes diplômés désireux de contribuer à résoudre un problème social ou environnemental. Le verbe «contribuer» est important. Les participants n'aspirent pas nécessairement à lancer une entreprise. Ils peuvent apporter leur contribution au sein d'une entreprise existante. Les candidats présentent un rapport qui explore un problème de leur choix. Ce document répond aux questions suivantes : Quel est le problème, quelle est son histoire, quelle est son envergure ? Quelles solutions ont été tentées ? Quelles leçons peut-on en tirer ? Quel rôle le secteur public, le secteur privé et le secteur social peuvent-ils jouer dans la résolution de ce problème ? Les gagnants sont invités à participer au Skoll World Forum on Social Entrepreneurship. Les 10 finalistes peuvent solliciter un financement pour passer de la théorie à la pratique. L'argent leur permettra d'explorer sur le terrain les enjeux liés au problème qu'ils ont choisi. Nous sommes en discussion pour ouvrir l'édition 2017, entre autres, aux étudiants et aux diplômés canadiens.

D.B. - L'éducation à l'impact [impact education] est un des champs d'intérêt du Skoll Centre for Social Entrepreneurship. De quoi s'agit-il ?

D.P.-T. - Notre centre est lié à la Saïd Business School de l'Université d'Oxford. Nous sommes donc naturellement près du monde de l'enseignement. L'éducation à l'impact résulte de la demande des étudiants. Il y a 10 ans, les étudiants en gestion voulaient travailler en finance ou en consultation. Aujourd'hui, ils le veulent toujours, mais souhaitent aussi contribuer à résoudre des problèmes sociaux et environnementaux. Ils réclament donc des outils différents. On ne peut plus simplement enseigner le marketing et la comptabilité. Il faut les aider à comprendre les grandes tendances et les grands enjeux mondiaux.

D.B. - Le cours GOTO [Global Opportunities and Threats Oxford, soit occasions et menaces mondiales] fait partie de l'éducation à l'impact...

D.P.-T. - Le GOTO est un cours obligatoire pour tous les étudiants au MBA à Saïd. Il est centré chaque année sur un enjeu différent. Cette année, les étudiants se pencheront sur l'avenir du travail.

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