Les coopératives nouvelle génération


Édition du 13 Octobre 2018

Les coopératives nouvelle génération


Édition du 13 Octobre 2018

Par Diane Bérard

[Photo : Martin Flamand]

Après le slow food et le slow money, voici venu le temps de la «slow entreprise». Le modèle coopératif suscite en effet l'intérêt d'une nouvelle génération dans des secteurs où on ne l'attendait pas, car il répond aux enjeux du 21e siècle.

«Au moins une fois par semaine, nous recevons un appel du type "J'ai vu sur votre camion que vous étiez une coopérative, c'est pour ça que je vous appelle. Vous m'inspirez confiance"«, raconte Julien Bourgeois Dumais, membre fondateur de Courant alternatif, une coopérative d'électriciens de Québec fondée en 2011. Cet intérêt pour son modèle ne l'étonne pas, surtout dans un secteur comme le sien. «Tôt ou tard, on cherche tous des références pour des travaux de construction, souligne-t-il. Les valeurs qui soutiennent le modèle coopératif deviennent une forme de référence.»

Le jeune homme de 36 ans n'a pas choisi la formule coopérative pour gagner des clients, mais parce qu'il n'aspire pas au rôle traditionnel de dirigeant, tout en désirant contrôler sa destinée. Ou comme il le résume : «Je ne veux pas de patron et je ne souhaite pas en devenir un.»

Secteurs traditionnels, nouveaux modèles

Le Québec compte actuellement 3 300 coopératives et mutuelles. Celles-ci emploient 100 000 personnes et regroupent des millions de membres producteurs, consommateurs et travailleurs. Cependant, Courant alternatif fait partie d'une nouvelle génération de coopératives. «Le Québec a l'habitude des grandes structures, comme Desjardins, la Coop Fédérée et Agropur, dit Simon M. Leclerc, membre de Courant alternatif et délégué régional pour la Fédération des coopératives de développement régional du Québec (FCDRQ). À l'ombre de ces grands frères, on voit naître une série de petits projets liés à de nouveaux besoins économiques ou sociétaux.»

L'industrie de la construction est l'une des filières que le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité considère comme porteuses. «Il faut revaloriser les métiers de la construction, car ce secteur peine à attirer une relève, constate Gaston Bédard, PDG du Conseil. La formule coopérative peut rendre ces métiers plus attractifs.»

Simon M. Leclerc en fait sa mission. «Je rencontre les associations sectorielles de la construction et les écoles de métier. Je raconte aux jeunes ce qu'on vit chez Courant alternatif : les décisions communes, l'équité entre les membres, la valorisation de l'autonomie, l'intention d'être là à long terme autour d'un projet commun qui appartient à tout le monde. Et je leur dis qu'il peut en être ainsi pour eux aussi.»

Coops d'électriciens, de plombiers, de tireurs de joints... Gaston Bédard entrevoit un réseau de spécialistes qui entretiennent des liens entre eux et se partagent des contrats en fonction de leur expertise complémentaire. À l'exception de Constructions Ensemble, une coop de Québec active depuis 32 ans, pour le secteur de la construction, il s'agit d'une première.

Le secteur agroalimentaire, lui, a davantage l'habitude de la formule coopérative. Des organisations comme Agropur et la Coop Fédérée comptent parmi les plus importants employeurs québécois. Toutefois, il s'agit surtout d'entreprises incorporées regroupées sous une structure coopérative pour se donner des services communs. Pensons à Citadelle, qui transforme et met en marché le sirop d'érable d'une foule de petits producteurs.

La véritable nouveauté dans le secteur agroalimentaire, ce sont toutefois les petites fermes coopératives. Le Québec en compte une vingtaine. Au cours de la prochaine année, entre 12 et 15 fermes supplémentaires devraient s'ajouter à ce groupe. Ces fermes répondent à des enjeux environnementaux (elles reposent sur des circuits courts, générant moins de gaz à effet de serre), à des enjeux économiques (elles sont ancrées dans leur territoire, générant de la richesse et des emplois localement) et à des enjeux sociaux (elles contribuent à l'indépendance alimentaire des communautés où elles se situent).

Se rapprocher de ses valeurs et de sa collectivité

Les coopératives ont souvent permis de sauver des emplois en évitant la fermeture ou le déménagement d'une entreprise. C'est l'histoire de Promo Plastik, de Saint-Jean-Port-Joli, devenue une coop en 1992 pour éviter le déménagement. Ce fabricant d'articles promotionnels en plastique produit, entre autres, l'effigie du Carnaval de Québec et les macarons du Festival d'été de Québec.

Mais on assiste à un phénomène nouveau : une coopérative naît pour que ses membres, des travailleurs qui ont déjà un emploi bien rémunéré et d'excellentes perspectives d'en trouver un autre s'ils désirent en changer, créent leur propre emploi qui rejoint leurs valeurs. Ainsi sont nées deux coopératives d'ingénieurs, Alte et Bureau d'études collaboratif, au cours de la dernière année à Montréal.

Alte est surtout composée de membres dans la vingtaine, fraîchement diplômés. Le Bureau d'études collaboratif, de membres dans la mi-trentaine ayant déjà connu la vie en entreprise. Ils se sont rencontrés pour échanger. «Mes cofondateurs et moi avons joint le monde du travail avant que les discussions sur le sens du travail et l'équilibre entre la vie personnelle et professionnelle débutent. Après l'université, nous avons connu la pression de la croissance et des profits des firmes d'ingénierie traditionnelles. Aujourd'hui, nous voyons qu'il existe une solution de rechange, confie Patrice Gratton, un des trois membres fondateurs du Bureau d'études collaboratif. Alte, quant à elle, a le dynamisme et les idéaux de sa génération. Ses membres commencent leur vie professionnelle alors que ces discussions sont devenues courantes. Ils adoptent d'emblée un modèle d'entreprise alternatif.»

Cependant, ces deux groupes d'ingénieurs ont opté pour la même solution : démarrer une coopérative. «Nous ne souhaitons pas être des employés exécutant des mandats choisis uniquement en fonction de leur rentabilité. Nous ne voulons plus qu'on nous dise "Sois un bon employé, ce contrat est important pour l'entreprise, peux-tu faire des heures supplémentaires non rémunérées ? " Dans une coop, ce qui est bon pour l'entreprise est aussi bon pour les employés, puisque nous sommes tous propriétaires.»

Les membres d'Alte ont confirmé leur choix de structure juridique en remplissant chacun de leur côté la boussole entrepreneuriale (boussoletrepreneuriale.com), un projet du Forum jeunesse de l'île de Montréal.

Les créateurs de ces deux coopératives d'ingénieurs ont opté pour une structure d'entreprise qui leur permet de se rapprocher de leurs valeurs, mais aussi de leur collectivité. «Au cours des dernières années, la profession d'ingénieur a été malmenée au Québec, déplore Abrielle Sirois-Cournoyer, cofondatrice de la coop Alte. Nous voulons démontrer que l'ingénieur peut réaliser des projets utiles pour la collectivité.»

M. Gratton renchérit : «J'aime ma profession ! Je ne veux pas qu'elle soit obscure, éloignée des gens. Je veux la rendre accessible, que nous soyons présents dans notre milieu.»

Apprivoiser le modèle coopératif

Sentir que l'entreprise collective vous ressemble est une chose. Avoir les capacités et les compétences d'implanter le modèle en est une autre. À l'été 2017, Abrielle et ses collègues ont donc suivi la formation de 14 semaines Parcours Coop, offerte par le Réseau Coop. Celle-ci comporte 14 ateliers, 20 heures d'accompagnement personnalisé, un accès à des professionnels et des rencontres avec des membres d'autres coopératives. «Nous étions la gang d'ingénieurs qui ne connaissaient rien aux coops, dit Abrielle en riant. Nous avons terminé nos études avec un plan d'affaires solide. Il nous reste à le déployer.» Ainsi commence le test de la réalité et ses trois défis.

PREMIER DÉFI
La prise de décision

«L'entreprise collective, c'est l'anti-fail-fast, explique Agnès Dupriez, leader de pratique, Engagement socioéconomique, chez Desjardins. Nous sommes à l'opposé de la culture de l'échec rapide et de l'itération, présentement glorifiée dans le monde des jeunes pousses.» Elle poursuit : «Lancer une coopérative prend du temps. Il faut aborder les problèmes avant qu'ils ne surviennent pour prévoir des mécanismes de solutions collectifs. C'est comme un contrat de mariage.»

Aucun univers n'est parfaitement étanche. Les entreprises à capital-actions ne sont pas imperméables à la quête de sens des travailleurs. Les entreprises collectives ne peuvent non plus faire fi de la nature impatiente de l'économie. «Les coops émergentes explorent un équilibre entre la lenteur inhérente à l'entreprise collective et la culture de l'échec rapide, observe Agnès Dupriez. Leurs membres tentent de combiner une culture de la prévention et une culture de la rapidité. Ils sont en train de trouver des passerelles entre les deux univers. C'est intéressant. Ça oblige le modèle coopératif à se dépoussiérer tout en conservant ce qu'il a de bon.»

DEUXIÈME DÉFI
Choisir ses membres

Une coopérative n'appartient à personne. Elle appartient à tous ses membres. Personne ne peut dire : «Je vends» ou «On déménage.» Une entreprise collective peut toutefois se dissoudre, à la suite d'une décision collective. Ses membres peuvent aussi la quitter. Même si elle vise l'engagement à long terme, la structure coopérative n'est pas à l'abri des départs. Et ce, même chez les membres fondateurs. La coop Courant alternatif comptait trois fondateurs. Il n'en reste qu'un. L'un a déménagé et l'autre a préféré un emploi à l'université. «Ce projet, nous le portions à trois, raconte Julien Bourgeois Dumais. Nous avions des affinités. Je me suis questionné sur la suite des choses.» Aujourd'hui, il cherche d'autres membres qui portent les valeurs coopératives.

«On ne recrute pas pour une coopérative comme on recrute pour une entreprise incorporée, prévient Isabelle Faubert Mailloux, directrice générale du Réseau Coop. Si vous n'embauchez pas des membres à l'esprit collaboratif, ils se comporteront davantage comme des syndiqués animés de revendications.» Elle cite certaines caractéristiques essentielles dans une entreprise collaborative : la capacité à mettre de l'eau dans son vin, à entendre les opinions des autres, une intelligence émotionnelle élevée, le désir de se développer au-delà de ses tâches actuelles et d'assumer davantage de responsabilités partagées avec les autres membres.

L'ambition de l'employé d'une société privée diffère de celle de l'employé d'une coopérative. Le premier désire progresser dans sa carrière. Le second souhaite plutôt avancer en faisant progresser l'organisation, puisqu'il en est copropriétaire. Joindre une coopérative, c'est accepter que toutes les voix soient égales. Peu importe le rôle, les années d'ancienneté et les parts détenues, chaque membre ne détiendra toujours qu'un vote. Dans une entreprise incorporée, le nombre d'actions détenues et le titre confèrent des pouvoirs supplémentaires. Cela explique qu'il faut définir ce qui anime un candidat avant de l'inviter à joindre une coopérative. Plusieurs coopératives recrutent des employés, pour ensuite leur proposer le statut de membre, si la pâte lève. D'autres coopératives comptent des membres et des employés, les uns et les autres n'ayant pas les mêmes aspirations.

TROISIÈME DÉFI
Les revenus

Une entreprise incorporée vise la maximisation des revenus et des profits. La coopérative, elle, réalise des excédents qu'elle choisit de redistribuer aux membres ou de verser dans la réserve générale de la coop. Les excédents sont redistribués en argent ou sous forme de parts. En quittant une entreprise, le membre emporte ses parts. Mais on ne congédie pas les membres d'une coopérative, ce qui signifie que lors des périodes creuses, on se répartit les contrats. «C'est un enjeu de recrutement, reconnaît Julien Bourgeois-Dumais. Courant alternatif offre 30 heures par semaine, alors que dans notre secteur, les électriciens sont habitués à cumuler un maximum d'heures pendant la saison forte et à collecter la sécurité du revenu pendant la saison morte. On veut attirer des candidats qui cherchent un autre style de vie.»

Les ingénieurs du Bureau d'études collaboratif, quant à eux, vont tenter un modèle de revenu hybride pour assurer des entrées d'argent pour tous les membres pendant les creux. «Nous sommes tous diplômés en génie mécanique, explique Patrice Gratton. En marge des mandats externes, nous développerons des innovations internes que nous proposerons à des manufacturiers en partenariat. Ils les fabriqueront et les commercialiseront pour nous.»

Répondre aux enjeux du 21e siècle

Les défis inhérents à la formule coopérative n'empêchent pas cette structure de connaître un intérêt soutenu. Entre autres, «parce qu'elle répond bien aux enjeux sociaux et environnementaux du 21e siècle», affirme Gaston Bédard, PDG du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM). Parmi ces enjeux, l'accès à la propriété, qui constitue un casse-tête pour bon nombre de foyers de la classe moyenne. «Depuis 15 ans, les prix des propriétés ont augmenté de 120 % alors que les salaires ont augmenté de 3 % à 13 %», souligne Jocelyne Rouleau, directrice générale du Fonds Coop Accès proprio, lancé en août dernier. Sa mission : l'équité intergénérationnelle en immobilier.

Accès Proprio est propriétaire des terrains à 100 %. Elle embauche un promoteur immobilier pour construire sur son terrain. Elle accorde ensuite un droit d'occupation des lieux aux membres utilisateurs de la coop, soit les propriétaires résidents. Ce droit permet au membre d'obtenir une hypothèque. Le prêt hypothécaire appartient donc à celui qui occupe la maison. La coop contribue à la mise de fonds, jusqu'à 25 % par résidence.

Au moment de la revente de la maison, la moitié de la plus-value va à Accès Proprio, 40 % va au membre et 10 % demeure dans la coop. Les résidences seront toujours de 30 % à 40 % en dessous de la valeur marchande. Au moment d'aller sous presse, Accès proprio avait quatre projets : trois entre Estrie et un à Québec. Le premier projet est prévu à Sherbrooke. Il s'agit de Havre des Pins, phase I. Ce projet permettra à 48 ménages d'obtenir les droits d'usufruit d'un logement.

Pourquoi un propriétaire accepterait-il de se priver d'une partie de la plus-value de sa maison au moment de la vente de celle-ci ? «Cette formule n'est pas pour tout le monde, reconnaît Jocelyne Rouleau. Les membres de ce type de coopérative ne cherchent pas la spéculation.» On n'attirera pas ceux qui voient leur propriété comme un véhicule d'investissement. Mais Accès proprio n'attire pas non plus que des acheteurs à la recherche d'une propriété abordable. Sa formule répond aussi à des aspirations sociales. «Dans un contexte de vieillissement de la population, dans une société où il y a moins d'enfants et beaucoup de solitude, il existe une demande pour l'habitation citoyenne, qui repose sur le principe des communs, avec des ressources partagées et gérées collectivement. Notre projet attire aussi des gens qui ont envie de vivre dans un milieu de solidarité», souligne Jocelyne Rouleau.

«Les coopératives naissent pour combler des besoins chez des producteurs, des consommateurs ou des travailleurs, résume Agnès Dupriez. On pourrait donc expliquer l'émergence d'une nouvelle génération d'entreprises collectives par l'apparition de nouveaux besoins. Des besoins économiques, comme l'accès à la propriété. Des besoins environnementaux, comme l'autonomie alimentaire grâce à la construction de nouveaux systèmes alimentaires. Des besoins sociaux, comme l'engagement et la quête de sens chez les milléniaux. Il semble que la formule coopérative apporte une contribution utile à la résolution de ces nouveaux besoins.»

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