Les 3 défis du nouveau secteur de l'impact social


Édition du 28 Mai 2016

Les 3 défis du nouveau secteur de l'impact social


Édition du 28 Mai 2016

Par Diane Bérard

[Photo : Shutterstock]

Les fondations philanthropiques deviennent des investisseurs sociaux et les entreprises flirtent avec le concept de rendements extra-financiers. Au Québec comme ailleurs un nouveau secteur se profile, celui de l'impact social, qui rassemble pêle-mêle entreprises et organismes à but non lucratif (OBNL). On parle désormais de l'industrie de l'impact social. Et comme toute industrie, elle rencontre son lot de défis. En l'occurrence, un défi d'inclusion, de mesure et d'image, sans compter les risques de socioblanchiment. C'est ce qui ressort de la 13e édition du Skoll World Forum on Social Entrepreneurship, qui a eu lieu à la mi-avril à Oxford, en Angleterre, à laquelle Les Affaires assistait.

À lire aussi : L'entrevue de Sally Osberg, pdg de la Skoll Foundation

Le cabinet d'avocats McMillan et le cabinet comptable Richter visent la certification B Corp, un sceau qui atteste qu'une entreprise accorde autant d'importance à son impact social et environnemental qu'à son impact financier. Il existe 1 713 organisations certifiées B Corp, dont une dizaine au Québec.

Ce mouvement ne cesse de croître. Ajoutons les entreprises qui comptent sur un service ou un directeur de la responsabilité sociale. Ajoutons aussi les entreprises sociales, cette forme émergente d'organisations créées dans le seul but de résoudre un problème social ou environnemental.

C'est clair : le secteur privé veut élargir son carré de sable. Il explore d'autres formes d'impacts, en plus de l'impact financier. Ses motivations : satisfaire les aspirations de ses jeunes employés des générations Y et Z et réagir à la pression de la communauté, et même de certains actionnaires.

La philanthropie aussi évolue. Poussées par le désengagement de l'État, la concurrence du secteur privé, les nouveaux besoins des bénéficiaires et une nouvelle génération de dirigeants aux commandes, les fondations se perçoivent moins comme de purs donateurs. Centraide, par exemple, se définit maintenant comme un «investisseur social». Ici aussi, il est question d'impact.

Ce mélange des genres a ses défis. Si tout le monde se mêle de développement social, quel sera le rôle du secteur social traditionnel ? Et comment éviter le socioblanchiment ? Peut-on rassembler les «Inc.» et les OBNL autour d'un but commun, soit l'impact social ?

Des conférences entendues au Skoll World Forum, nous avons retenu trois défis pour le secteur émergent de l'impact social. Et nous avons demandé à trois acteurs clés de l'écosystème social québécois comment ces défis se concrétisent au Québec. Ce sont Natalie Voland, pdg de Gestion immobilière Quo Vadis, une B Corp, et fondatrice du laboratoire d'innovation sociale Salon 1861 ; Jean-Martin Aussant, directeur général du Chantier de l'économie sociale, qui depuis 1999 supervise les initiatives québécoises d'économie sociale et solidaire ; et Samuel Gervais, directeur et cofondateur de l'Esplanade, le premier espace collaboratif et accélérateur consacré à l'entrepreneuriat social et à l'innovation sociale au Québec.


« Ce n’est pas parce que nous sommes une organisation à but lucratif que nous sommes cupides. Nous promettons simplement des rendements financiers en plus des rendements sociaux. » – Alan Chang, associé chez Capricorn Investment. [Photo : Skoll World Forum]

Premier défi : l'inclusion

Retenir le meilleur des deux mondes

On a beaucoup parlé d'inclusion au forum Skoll. Parfois, en termes très durs. «Je n'ai jamais vu de secteur aussi élitiste que le secteur social. N'y entre pas qui veut», a déploré Alexis Bonnell, chef de l'innovation et de l'accélération chez USAID Global Development Lab, l'agence gouvernementale américaine responsable de l'aide internationale. Autrement dit, on hésite à y accepter les «Inc.».

Pour le tester, le forum Skoll a mené une expérience fort instructive. Dans un panel, il a opposé trois fonds qui investissent dans le même secteur et sur le même continent : l'agriculture, en Afrique. L'un est à but lucratif, Capricorn Investment. Les deux autres, à but non lucratif, Root Capital et le One Acre Fund. La question posée aux participants dans la salle : si vous aviez 100 000 $ à investir, quel fonds donnera le meilleur rendement social, selon vous ? Les votes sont allés aux fonds à but non lucratif, au grand dam des représentants de Capricorn. «Ce n'est pas parce que nous sommes à but lucratif que nous sommes cupides. Nous promettons simplement des rendements financiers en plus des rendements sociaux», a lancé Alan Chang, associé chez Capricorn Investment, à San Francisco.

Pendant ce temps, Andrew Youn, du One Acre Fund, s'est empressé d'ajouter que son fonds était géré «comme une entreprise». Ainsi, pendant que le fonds à but lucratif a rappelé ses visées sociales, le fonds à but non lucratif a insisté sur le professionnalisme de sa gestion, chacun misant sur les qualités naturellement attribuées à l'autre pour se faire reconnaître. Faut-il y voir un pas vers l'inclusion ?

Pour qu'il y ait inclusion, il faudra établir des conditions favorables. «Il faut des terrains neutres où tous ceux qui s'intéressent à l'impact social peuvent se retrouver, juge Natalie Voland. C'est la mission du Salon 1861.» Installé dans une ancienne église du quartier Petite-Bourgogne, à Montréal, le Salon 1861 voit défiler des entreprises, des universités, des start-up, des OBNL, des entreprises sociales et les citoyens du quartier. On retrouve un esprit similaire dans le quartier Mile-Ex, dans les locaux à aire ouverte de l'Esplanade. «Nous avons élaboré un module sur l'impact destiné aux entreprises traditionnelles, explique Samuel Gervais. Nous voulons rendre cette notion concrète pour les intrapreneurs désireux de contribuer à l'impact positif de leur employeur, au-delà des activités de responsabilité sociale.»

«L'impact social positif n'est pas exclusif à l'économie sociale», reconnaît Jean-Martin Aussant, du Chantier de l'économie sociale. Il ajoute : «Si le secteur privé compte des gens qui ont les mêmes valeurs que les entrepreneurs collectifs, tant mieux. Cela contribuera à rétablir l'équilibre. Depuis plusieurs années le secteur privé, et ses préoccupations traditionnelles, prennent trop de place. Ça crée un déséquilibre. Mais pour travailler ensemble, il va falloir se donner des définitions communes.»

« Il faut des terrains neutres où tous ceux qui s’intéressent à l’impact social peuvent se retrouver. » – Natalie Voland, pdg de Quo Vadis et fondatrice du Salon 1861. [Photo : Jérôme Lavallée]

Deuxième défi : la mesure

Se donner des indicateurs de performance

Comment définit-on l'impact social ? Comment le mesure-t-on ? Quel projet en a ? Quel projet n'en a pas ? «Sans définition commune, nous risquons le socioblanchiment», dit Jean-Martin Aussant. Un souci partagé par Samuel Gervais, qui veut toutefois éviter une définition trop stricte. «Le secteur de l'innovation sociale et de l'impact social évolue rapidement, dit-il. Il faut créer un mouvement assez accessible pour qu'on puisse accueillir de nouveaux membres.»

Des indicateurs de performance sont essentiels pour attirer l'attention et les investissements. «C'est par les faits et les données que l'on gagne de la crédibilité et que l'on change les choses, a insisté Michael Porter, professeur de stratégie à la Harvard Business School et conseiller au Social Progress Imperative, l'organisme américain qui a créé le Social Progress Index. Il va falloir faire mieux pour mesurer l'impact social.»

Un exercice à faire aussi au Québec. «J'ai voulu décrocher la certification B Corp pour mon entreprise afin d'avoir accès à des outils de mesure de notre impact social», précise Natalie Voland. Le questionnaire, qu'il faut remplir tous les deux ans pour conserver sa certification, constitue une méthode parmi d'autres pour mesurer l'impact social et environnemental d'une organisation.

Malgré l'émergence d'indicateurs, lorsqu'il est question de l'impact social d'un projet ou d'un investissement, on nage encore dans l'imprécision. «Notre secteur a longtemps préféré avoir vaguement raison que risquer d'avoir tort sur un point précis. Nous nous sommes contentés d'évaluations approximatives des retombées de notre travail», a expliqué Zia Khan, vice-président, Stratégies et initiatives, de la Rockfeller Foundation, lors du panel «Rethinking Giving». «On apprend et on progresse bien plus en ayant tort sur un point précis qu'en ayant vaguement raison», a-t-il ajouté.

L'impact social se trouve confronté au même enjeu que le développement durable il y a plusieurs années, croit Jean-Martin Aussant. «Le développement durable, c'était philosophique. Puis, on l'a concrétisé, entre autres, dans l'économie circulaire, soit les coûts que les entreprises évitent en réutilisant leurs extrants [ou ceux d'organisations partenaires].» Pour figurer l'impact social d'un projet, on évalue notamment les économies qu'il procure au gouvernement et aux citoyens en réduisant les frais de santé, d'éducation, d'incarcération et autres.

Le secteur de l'impact social n'est pas l'industrie du transport ni celle du commerce de détail. Tant les intervenants au forum Skoll que les personnes interviewées au Québec s'accordent pour dire qu'il serait utopique de préconiser quelques mesures universelles arrimées à tous les projets. Malgré tout, de plus en plus d'acteurs sont décidés à implanter le réflexe de mesurer. Ainsi, chaque fois que la Fondation Walmart accorde un don à une organisation, elle spécifie qu'une partie de cet argent doit servir à calculer l'impact du projet. «C'est une demande claire de notre part, cet argent ne peut servir à rien d'autree», a indiqué Kathleen McLaughlin, présidente la Fondation Walmart lors de son passage à Skoll.

« Il faut dépasser l’image du super-héros et de la super-héroïne. » – Darren Walker, président de la Ford Foundation. [Photo : Skoll World Forum]

Troisième défi : analyser les modèles de façon objective

Migrer des anecdotes aux faits

Il n'y a pas que les mesures d'impact social qui soient imprécises. Les comptes rendus des projets aussi. On connaît souvent mieux les protagonistes que les projets eux-mêmes. «Il faut dépasser l'image du super-héros et de la super-héroïne et migrer des anecdotes aux faits», a insisté Darren Walker, président de la Ford Foundation, lors du panel portant sur le progrès social.

«J'ai constamment peur de surinvestir dans des projets qui n'ont pas le potentiel de passer à un autre niveau ou qui sont déjà réalisés ailleurs et qu'on pourrait simplement étendre . Et ce, simplement parce qu'ils sont portés par un leader charismatique», a-t-il poursuivi.

Le risque de déification existe aussi dans l'univers de l'entreprise traditionnelle. De nombreux pdg ont atteint le statut de demi-dieux. Mais dans l'univers de l'impact social, il semble encore plus facile de glisser vers cet excès.

L'exemple parfait est le Californien Blake Mycoskie, fondateur de Toms Shoes, une entreprise sociale qui fait don d'une paire de chaussures pour chaque paire vendue. Il a fallu des années pour dépasser le stade du portrait inspirant et décortiquer vraiment le modèle d'entreprise de Toms Shoes. Un modèle qui comportait ses failles, particulièrement par rapport au souci des écosystèmes locaux en place. Ce regard critique sur son entreprise a poussé le jeune entrepreneur à améliorer son modèle. Il est passé du don à la contribution au développement des économies locales.

Il faut décortiquer les modèles d'entreprise des organisations à impact social avec la même impartialité que ceux des organisations traditionnelles, souligne le professeur Porter.

Les organisations comme le Salon 1861 et l'Esplanade ont un rôle à jouer pour faire comprendre la pertinence, la contribution et les enjeux de ce nouveau secteur. Et surtout, susciter une réflexion critique sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Bref, ce qui a de l'impact et ce qui n'en a pas. «Mais on ne s'en sortira pas. À cette étape, le secteur de l'impact social a besoin de vedettes pour décoller, croit M. Gervais. Il faut simplement que ces acteurs apprennent à expliquer clairement les modèles et les stratégies qu'ils emploient.»

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