Le magasinage de Pierre Shoiry

Publié le 01/12/2008 à 00:00

Le magasinage de Pierre Shoiry

Publié le 01/12/2008 à 00:00

La crise du crédit limite la capacité des entreprises à se financer et à réaliser des acquisitions, mais pas celle de Genivar.

Plus d'une entreprise sur quatre (44 %) a indiqué à la Banque du Canada que les conditions du crédit se sont resserrées, selon une enquête publiée le 10 octobre dernier. Cette donnée illustre à quel point les liquidités sont rares par les temps qui courent. Pierre Shoiry, PDG de la firme de génie-conseil Genivar, esquive ce jab du marché et poursuit sa stratégie de croissance à coups d'acquisitions.

Genivar oeuvre dans les secteurs du bâtiment, des infrastructures municipales, du transport, de l'industriel-énergie et de l'environnement, et compte plus de 3 300 employés. En deux ans, elle a réalisé 23 acquisitions. En cinq ans, ce chiffre est passé à 42. Et l'entreprise n'a aucune intention de ralentir le rythme.

Pierre Shoiry pense sans cesse à ce magasinage quand il parle de ses projets d'avenir. C'est sa façon d'embaucher du personnel qualifié et réputé. "Nous avons toujours préféré les acquisitions pour faire une entrée immédiate au sein d'un nouveau marché, explique le dirigeant au regard franc. Chaque acquisition nous procure des listes de clients et des experts. C'est aussi une question de développement géographique. Nous allons chercher des gens qui sont établis localement, qui ont un impact sur leur collectivité."

La croissance interne et l'offre de services intégrés de génie-conseil complètent ce modèle d'affaires de style territorial. Pierre Shoiry cite un exemple d'acquisition réalisé en Ontario, où Genivar voulait s'imposer comme acteur majeur dans l'ingénierie du transport. Elle a mis la main sur NCE (planification), sur Harmer Podolak (ponts), sur Transenco (conception de routes) et sur Paddon & Associates (surveillance de construction). Ces firmes employaient de 20 à 100 employés chacune.

"En regroupant leurs effectifs, nous touchons à toutes les facettes du secteur et nous devenons un joueur sérieux auprès du ministère ontarien des Transports, souligne le PDG. Nous sommes maintenant l'un de ses principaux fournisseurs et nous développons nos activités autour de ce noyau."

Le concept consiste à semer là où l'entreprise n'est pas suffisamment présente. "Nous avons des pôles importants qui ont leurs bureaux satellites. Nous reproduisons déjà ce modèle ailleurs au Canada. Nous avons un pôle à Toronto. En fait, 20 % de nos revenus viennent de l'Ontario, grâce à des pôles à Toronto et Ottawa. Et nous répétons cette stratégie dans l'Ouest."

L'ambition de Pierre Shoiry ne fait aucun doute. "Nous voulons être dans chaque région parmi les chefs de file de chaque marché. Le Québec est plus porteur en hydroélectricité, et en Alberta, nous développons surtout l'éolien. En combinant ainsi les produits et l'expansion géographique, nous pouvons faire des ventes croisées et offrir de nouveaux services. Grâce à cette stratégie, notre croissance interne a été de 27 % en 2007 et de 24 % cette année."

Il fait peu de cas des synergies. "Beaucoup de gens nous demandent quelles sont les économies d'échelle à obtenir. Nous ne calculons pas d'économies sur le plan de l'administration. Nos actifs principaux, ce sont des personnes et des compétences. Nous cherchons à multiplier les occasions d'affaires."

Selon lui, les cibles potentielles ne manquent pas sur le marché. L'Association des firmes d'ingénierie du Canada confirme que la plupart des acteurs du secteur sont détenus par des intérêts privés, et qu'ils emploient moins de 25 personnes. Une telle fragmentation favorise vraiment un acheteur stratégique. "[Les vendeurs] sont souvent de petits bureaux qui n'ont pas accès à de grands projets, affirme Pierre Shoiry. En se joignant à un bureau qui a une plus grande capacité financière, ils élargissent leur accès aux projets. Cela contribue à la croissance des revenus."

Pour son dernier exercice, Genivar a enregistré un chiffre d'affaires de 257 millions de dollars et de 167 millions de dollars lors des deux premiers trimestres de l'exercice en cours. Environ 10 % de ces revenus viennent de l'extérieur du Canada. Si tout se déroule comme prévu, l'expansion canadienne sera pratiquement terminée en 2010 et Genivar se tournera davantage vers le reste du monde. "Nous voulons exporter le modèle dans d'autres pays, comme nous le faisons déjà dans les Caraïbes. Nous préférons les pays qui bénéficient d'une certaine richesse et qui sont dotés d'un plan de développement des infrastructures."

Le PDG pense que le renouvellement des infrastructures offre un potentiel très vaste. Sur le plan mondial, Macquarie Research Equities, une firme australienne, estime que d'ici 2030, il faudra 30 000 milliards de dollars américains pour les rénover. Le Canada est lui aussi en mode rattrapage... "Auparavant, la situation était gérée au cas par cas, souligne Pierre Shoiry. Maintenant, il y a du financement à long terme et des partenariats public-privé. C'est sans doute l'une des meilleures périodes que j'aie connues en 30 ans de métier. Non seulement nous devons rattraper un déficit, mais de plus, la croissance démographique et le vieillissement de la population justifient les investissements."

Toutefois, la stratégie de Genivar sera mise à l'épreuve par deux défis majeurs. Le premier, c'est la crise du crédit et des liquidités. Pourra-t-on financer une stratégie de consolidation à plus long terme ?

Pierre Shoiry estime qu'il a pris les mesures nécessaires pour y parvenir. À la fin d'août, Genivar a doublé sa facilité de crédit à terme pour atteindre 80 millions de dollars. Entré en Bourse en 2006, le fonds de revenu Genivar peut recueillir 50 millions de dollars par an auprès du marché, ce qui a été fait en septembre avant que la crise financière ne s'aggrave. "S'il fallait solliciter le marché demain, ce ne serait pas facile. Mais nous avons actuellement accès à tous les capitaux nécessaires pour continuer."

Le dirigeant ajoute que son secteur a besoin de peu d'investissements en biens matériels pour fonctionner, ce qui constitue un avantage. "L'argent que nous recueillons est investi à 100 % dans la croissance de l'entreprise plutôt que dans l'achat d'installations ou dans des rénovations coûteuses."

Cependant, les difficultés de l'économie mondiale ralentissent l'investissement. Le PDG de Genivar prévoit des répercussions à court terme, mais pas de croissance négative. "Notre exposition au secteur résidentiel reste minime, ajoute-t-il. Elle représente moins de 5 % de nos revenus. Environ 65 % de ceux-ci viennent de contrats gouvernementaux. Nous pourrions ressentir un impact sur les plans commercial et industriel. Par exemple, des projets de mines pourraient être retardés. De façon générale, je suis assez optimiste. Le Canada semble se porter mieux que les États-Unis. L'équilibre budgétaire des gouvernements offre des avantages. Pour le système bancaire, nous n'avons pas à recevoir de leçons. C'est en période de crise qu'on le voit."

L'autre défi, reconnaît-il, "c'est d'étendre notre culture à l'échelle Genivar. Nous avons des valeurs très entrepreneuriales et nous encourageons l'autonomie de nos employés. Quand vous intégrez 1 000 employés en un an, vous assurer que tous travaillent dans le même esprit et partagent les mêmes valeurs est un exercice exigeant. Nous avons mis l'accent sur ce transfert de richesses. Chaque fois qu'un professionnel se joint à notre groupe, ce sont jusqu'à 30 ou 40 ans d'expérience qui peuvent être partagés."

Malgré l'optimisme de ce dirigeant, la menace que pose la crise financière rend la route difficile à suivre, soulignent les économistes consultés par Commerce. "Nous empruntons des chemins qui n'ont pas été balisés, estime Joëlle Noreau, économiste principale et vice-présidente aux Études économiques au Mouvement Desjardins. En début d'année, nous nous préoccupions de la hausse des prix des matières premières. Maintenant, c'est la question du crédit qui a pris le relais de l'inflation. Les marchés pourraient très bien se ressaisir, mais il est impossible de prédire quand ce revirement aura lieu."

Sal Guatieri, économiste principal chez BMO Marché des capitaux, précise : "Notre sentiment général, c'est que la crise durera plusieurs mois. Nous avons besoin de voir des signes de stabilisation dans l'industrie de l'habitation aux États-Unis. Les prix doivent cesser de baisser, ou du moins, limiter leurs reculs. Les stocks non vendus et les saisies pourraient encore faire chuter les prix".

Si un rayon de soleil devait surgir, ce serait grâce à la réaction rapide des gouvernements, poursuit-il. "Les plans de sauvetage lancés par les gouvernements devraient aider. Cependant, les marchés du crédit mettront du temps à revenir à la normale et l'économie sera fragile pendant les prochains trimestres. Mais pour le Canada, le ralentissement n'est pas si important."

Il reste que pour financer sa stratégie, une entreprise comme Genivar a besoin d'argent... jusqu'à l'embellie. "Le comptant est roi, c'est certain, ajoute Sal Guatieri. Les jours de "l'argent facile" sont derrière nous. Si elles disposent de liquidités, les entreprises sont en position de force." Un plan ingénieux aussi pourrait faire la différence.

Pierre Shoiry sera honoré en novembre 2009 au Gala du Commerce en compagnie des autres Audacieux 2009.

finances@munger.ca

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