Le pari fou d'Alexandre Taillefer

Offert par Les Affaires


Édition du 12 Septembre 2015

Le pari fou d'Alexandre Taillefer

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Édition du 12 Septembre 2015

Intellia a beau tarder à se définir, l'entreprise connaît une belle croissance, notamment en raison du pouvoir de persuasion de M. Taillefer, qui réussit à vendre sa vision enthousiaste du potentiel d'Internet auprès du Québec inc. Au tournant des années 1990, Intellia surfe sur la fièvre techno qui s'empare du monde, et en 1998, elle passe dans le giron de Québecor, qui en deviendra l'actionnaire majoritaire. M. Taillefer demeure actionnaire et président de l'entreprise qui, au terme d'une série d'acquisitions, serait renommée Nurun. L'entreprise fait aujourd'hui partie de Publicis, qui a acquis Nurun pour 125 M$ en 2014.

Pendant que les acquisitions se succèdent, M. Taillefer voit des occasions d'affaires partout. Pour lui, la révolution de l'information est en cours et tout est à refaire. «J'arrivais au bureau, puis il me disait qu'il avait convaincu tel pdg de se lancer dans tel projet», évoque Martin Le Sauteur, directeur des opérations de Nurun/Intellia entre 1998 et 2001.

À l'époque, M. Le Sauteur s'occupait des choses terre-à-terre, tandis que M. Taillefer s'occupait de la stratégie, des acquisitions - de concert avec Pierre Karl Péladeau (PKP) - et de la vision d'entreprise. «C'est beau d'avoir une bonne idée, mais ça prend des gens pour livrer. La force d'Alex, c'est qu'il a toujours su s'entourer des bonnes personnes pour livrer la marchandise.»

Alexandre Taillefer fait partie des jeunes prodiges devenus millionnaires grâce à Internet durant les années folles qui ont précédé l'éclatement de la bulle. Il est alors la figure publique de Nurun et donne beaucoup d'entrevues dans les médias. Lorsque le gouvernement du Québec décide de lancer la Cité du multimédia, Intellia est première en lice pour bénéficier de son généreux programme de subvention.

Le 3 juillet 1998, Bernard Landry et PKP participent à un événement durant lequel on annonce l'attribution de l'aide gouvernementale. «Bernard Landry a fait son speech, PKP a fait son speech, puis Alex est arrivé sur la scène et c'est lui qui a volé le show, relate M. Le Sauteur. Il faisait un discours à la Elvis Gratton, il disait qu'on allait planter les Américains.»

Intellia n'a pas manqué de remplir sa promesse de devenir une entreprise internationale en multipliant les acquisitions. Le hic, c'est que l'entreprise est devenue trop grande pour M. Taillefer, qui aujourd'hui reconnaît qu'il n'était pas un bon gestionnaire. «À cette époque, je ne savais pas lire un état des résultats, je ne savais pas lire un bilan financier ; des erreurs, j'en ai fait plein.»

Toujours est-il qu'à l'époque, il voit les choses d'un oeil différent. S'il accepte initialement de travailler sous un nouveau pdg en 1999, il espère revenir à la tête de Nurun, dont la croissance n'est pas de tout repos. Les pdg s'y succèdent, et à chaque départ, il espère que l'heure de son retour a sonné. Lorsque Jacques-Hervé Roubert est nommé pdg de Nurun, en 2000, M. Taillefer, devenu riche sur papier grâce à ses actions, décide de passer à autre chose. «Il se positionnait pour avoir la job de pdg, et il ne l'a pas eue, dit M. Le Sauteur. Alors, quand Jacques-Hervé a été nommé, Alex est parti.»

Prise 2

M. Taillefer ne chôme pas longtemps. Très vite, il jette son dévolu sur un studio de jeux pour appareils mobiles en faillite qu'il renomme Jeux Hexacto. Il s'associe au vice-président de Gameloft, Alex Thabet, qui jonglait déjà avec l'idée de lancer son propre studio.

Chez Hexacto, M. Taillefer retombe vite dans ses vieilles habitudes. Brillant stratège, il a du mal à s'en tenir à un plan. «Alexandre arrivait avec beaucoup d'idées et de nouvelles initiatives et il était un peu impulsif dans son processus de décision, dit M. Thabet, aujourd'hui pdg de Ludia. Il pouvait arriver avec 12 idées par semaine, mais on arrivait à le convaincre que 8 d'entre elles n'étaient pas très réalistes. Par contre, les quatre autres idées amenaient beaucoup à l'entreprise.»

Hexacto, qui ne génère aucun revenu à ses débuts, éprouve rapidement des problèmes financiers. «Je me souviens de ne pas avoir reçu de chèque de paye pendant un temps, dit M. Thabet. J'avais caché à mon épouse que je payais l'hypothèque avec la carte de crédit.»

M. Taillefer, pour sa part, n'était pas en bien meilleure position. Millionnaire sur papier au début de l'aventure, sa solvabilité s'amincissait de jour en jour durant cette période, l'action de Nurun s'effondrant jour après jour au cours des années 2000 et 2001. Garant de prêts accordés à Hexacto, il passe près de la faillite personnelle. «J'ai mis beaucoup d'argent dans Hexacto, et à un moment donné, j'ai été transféré aux créances spéciales de la CIBC, car j'avais une dette personnelle et je devais pas mal d'argent que je garantissais pour Hexacto, explique-t-il. Être transféré aux créances spéciales, c'est une expérience dans la vie, car tu apprends ce que sont les finances et la gestion du cash flow.»

Il échappe à la faillite grâce à un financement d'urgence de 250 000 $ d'amis et de parents, mais ses problèmes de liquidités n'étaient pas réglés. En 2013, il voit une importante ronde de financement déraper après trois mois de négociations avec la Banque de développement du Canada. C'est alors que le studio américain Jamdat Mobile dépose une offre d'achat pour Hexacto et que M. Taillefer se résigne à l'accepter. S'il considère avoir vendu trop tôt, soit bien avant que la popularité des jeux pour mobiles explose, il s'en est assez bien tiré. En tant que président de la branche canadienne de Jamdat, il obtient des options qu'il a pu exercer après l'inscription de l'entreprise à la Bourse Nasdaq en 2004.

Prise 3

En 2007, il avait appris de ses erreurs. Désormais, il n'était plus question de se lancer dans les créneaux d'avenir évidents. Après tout, se lancer dans ces secteurs, c'était courir le risque de faire face à une concurrence féroce et de dépendre de l'humeur des investisseurs en capital de risque. Alexandre Taillefer partage ce constat avec l'entrepreneur en série Eric Boyko. Ensemble, ils commencent à jongler avec différentes idées d'entreprises.

Les deux hommes cherchent des créneaux peu attrayants à première vue, mais susceptibles de générer une belle croissance. Ils décident que le marché de l'ornithologie et celui du karaoké sont les secteurs qu'ils tenteront de conquérir dans leur prochain projet.

Grâce à l'appui financier de Telesystem, le holding de Charles Sirois, Stingray commence sa chasse à l'aubaine en 2007 en mettant la main sur le Karaoke Channel. M. Taillefer, chef de la direction de Stingray, et Eric Boyko, son président, enchaînent les acquisitions dans le secteur de la musique, si bien que l'ornithologie est vite balayée sous le tapis. Sur le plan des affaires, tout semble bien aller, mais en 2010, un conflit éclate entre les deux dirigeants. «À un moment donné, c'était lui ou moi, et le conseil d'administration a choisi Eric, dit M. Taillefer. Et ce, malgré le fait que c'était mon projet de A à Z, et ça, ça a été très difficile.»

Le nouvel Alexandre Taillefer

Sa plus grande ambition n'a rien à voir avec son compte en banque ni même avec l'électrification des transports. Il semble avoir un oeil sur la politique, et ses derniers investissements, y compris celui qu'il a fait dans le journal Voir, semblent prendre tout leur sens quand on les regarde sous l'angle de ses ambitions politiques.

Sur la question de Voir, M. Taillefer maintient qu'il y voit une occasion d'affaires en raison du succès de la boutique Voir, mais ses arguments sociaux sont plus convaincants que ses arguments économiques. De son propre aveu, Voir ne perd pas d'argent, mais n'en fait pas non plus. Avec des revenus annuels de 3 M$, dont 800 000 $ découlent des ventes publicitaires, l'entreprise est loin de l'époque où elle générait 25 M$ de recettes publicitaires. «Si on n'avait pas la boutique Voir, ce serait déjà fini. L'idée, c'est de créer une relation tripartite gagnante entre un annonceur, un média et un lecteur, et d'éviter que nos annonceurs n'envoient leur argent à des géants étrangers comme Facebook, Google et Groupon.»

François-Xavier Souvay, pdg de Lumenpulse, a été témoin de l'évolution des aspirations d'Aleandre Taillefer, qui a investi dans son entreprise avant son entrée en Bourse. «Quand tu es investisseur, tu mises sur la profitabilité, mais ce n'est pas la seule chose qui te motive quand tu te lèves le matin. Ultimement, tu veux avoir un impact positif. Je pense qu'il en est à cette étape la dans sa vie. On l'a vu évoluer au fil du temps et je ne serais pas surpris qu'il se lance un jour en politique.»

D'ailleurs, si M. Taillefer participe à l'émission Dans l'oeil du dragon, ce n'est pas pour les occasions d'affaires, mais pour faire la promotion de l'entrepreneuriat au Québec. «Le développement du Québec va passer par l'entrepreneuriat, souligne-t-il. À ce titre, je pense que les émissions comme les Dragons ont un rôle à jouer. Par exemple, grâce à l'émission Les Chefs, le nombre d'inscriptions à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec a explosé. C'est important d'avoir des chefs, mais avoir des entrepreneurs, c'est bien plus important.»

Avec Alexandre et les conquérants, la nouvelle émission de la chaîne Explora dont il est la vedette, il souhaite aller plus loin et montrer au public qu'il ne suffit pas de présenter une idée à des investisseurs pour bâtir une entreprise. Dans cette série, l'entrepreneur accompagnera trois start-ups pendant neuf mois. Alexandre Taillefer ne cache pas que la notoriété qu'il a acquise à la télé l'aide à faire avancer son projet de taxis : «Ma participation aux Dragons nous a certainement aidés dans le dossier du taxi, parce que ça te donne de la crédibilité. C'est sûr que c'est une crédibilité qui est montée par les médias, mais si tu es capable de l'utiliser à bon escient, pourquoi pas.»

L'entrepreneur en série considère que la notoriété est aussi un atout en politique, une arène qui l'attire beaucoup : «Aujourd'hui, j'ai 10 ans devant moi, car on vient de clôturer le deuxième fonds et c'est un fonds de 10 ans, lance-t-il. Ensuite, est-ce que je vais créer un nouveau fonds ou aller changer le monde dans un rôle politique ? On verra, mais c'est une chose à laquelle je pense beaucoup.»

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