«Je pense que j'aurais eu des regrets si nous n'avions pas relancé l'entreprise» - Philippe Dubuc, designer

Publié le 16/03/2013 à 00:00, mis à jour le 22/11/2013 à 15:24

«Je pense que j'aurais eu des regrets si nous n'avions pas relancé l'entreprise» - Philippe Dubuc, designer

Publié le 16/03/2013 à 00:00, mis à jour le 22/11/2013 à 15:24

Par Marie-Claude Morin

Fin 2005, la tempête enfle chez Philippe Dubuc. Le designer et son associée de toujours, Marie-Claude Gravel, partent pour les fêtes en sachant qu'ils devront gérer, en revenant, les conséquences dramatiques du rappel de leur marge de crédit. Ils s'offrent 10 jours de répit pour réfléchir à l'avenir chacun de leur côté. Au retour, ils sont sur la même longueur d'onde, convaincus : ils relanceront leur entreprise !

«À cette époque, nous nous sommes demandé sérieusement si nous arrêtions tout, Marie-Claude et moi», raconte Philippe Dubuc lors d'une entrevue à sa boutique de la rue Saint-Denis, à Montréal.

Les deux associés auraient pu, sans problème, joindre une maison de haute couture bien établie. Les créations de Philippe Dubuc défilent alors à Paris depuis cinq ans et sont distribuées dans plus de 80 points de vente à l'international, y compris aux États-Unis, au Japon et en Europe. Même Armani regarde ses collections ! «Trouver un emploi ailleurs aurait été la solution la plus facile et la plus avantageuse financièrement à cette époque.»

Une belle aventure à poursuivre

Mais Philippe Dubuc et Marie-Claude Gravel sont révoltés à l'idée de laisser «des enjeux financiers pas si élevés» anéantir tous les efforts qu'ils ont déployés depuis 1993 pour construire leur griffe. Surtout, ils sentent qu'ils ne sont pas allés au bout de leur «belle aventure».

Sur le plan créatif, le designer «a l'impression de ne pas avoir tout dit». Il veut continuer «de raconter son histoire», de créer, de faire évoluer son style.

Sur le plan commercial, les deux associés ont pris goût à la gestion de leur maison, dont le chiffre d'affaires atteint à ce moment 3 millions de dollars. «C'est beau, pouvoir construire une entreprise !» s'exclame celui qui se dit autant homme d'affaires que designer. L'entreprise n'est pas une multinationale, rappelle-t-il, mais bien une «vraie de vraie PME». Cesser d'être maîtres à bord et aller travailler pour d'autres ? Bof...

«Nous sommes des batailleurs. Des passionnés. C'est grâce à ça que nous avons réussi à nous en sortir, je crois.» L'entreprise déclare faillite le 28 février 2006, mais Dubuc et Gravel en rachètent l'actif pour 65 000 $ le mois suivant. Ils verseront d'autres montants aux créanciers par la suite.

«Si nous avons pu racheter l'actif, c'est grâce à l'aide de notre entourage. Parce qu'il faut comprendre une chose : ceux qui ont le plus perdu dans la faillite, financièrement, c'est Marie-Claude et moi...»

Six ans plus tard, il se réjouit de s'être entêté. «Je pense que j'aurais eu des regrets, aujourd'hui, si nous n'avions pas relancé l'entreprise. J'aurais l'impression de m'être laissé avoir, de ne pas être allé au bout de notre bataille.»

Protéger la marque

Parmi les 1 834 entreprises qui déclarent faillite au Québec en 2006, peu font les manchettes autant que Dubuc Mode de Vie. Le chouchou de la mode québécoise, habitué aux fleurs, «reçoit le pot». Articles dans les journaux, reportages à la télé... Tout le Québec sait que sa maison est tombée, entraînée par sa croissance rapide sur les marchés étrangers.

Tombée, mais pas morte. Le réseau de distribution et l'atelier de l'avenue du Mont-Royal disparaissent, mais les activités se poursuivent à la boutique de la rue Saint-Denis.

La médiatisation de la faillite fait «excessivement mal». «Dans la tête des gens, la griffe avait disparu», raconte M. Dubuc, encore ému. L'équipe planche sur la préservation de la marque, son actif central. «Nos clients achètent un vêtement, un style, mais ils achètent aussi un rêve, une image. Nous avons travaillé très fort pour que les gens n'associent pas Dubuc à une faillite, mais bien Dubuc à un style.»

Il aura fallu cinq ans à la maison avant de rétablir complètement sa notoriété sur la scène nationale, estime le designer de 46 ans.

Pendant tout ce temps, les clients sont encore au rendez-vous rue Saint-Denis, certains venant même spécialement pour l'encourager. Le contraire aurait sonné le glas de la griffe, reconnaît M. Dubuc. «Si la société existe encore, c'est à cause de la clientèle, qui a suivi, et de nos conjoints, familles et amis, qui nous ont encouragés.»

Renouer avec le risque

Déclarer faillite à l'aube de ses 40 ans est «un constat assez triste». Quand, de plus, tout dans l'entreprise est créé et géré à l'interne, «la confiance en soi prend le bord».

Philippe Dubuc le créateur a toujours douté de lui. Un doute sain, qui pousse à la remise en question et à l'évolution du style. Mais après la faillite, le doute nocif, celui qui paralyse, s'installe. Pendant un an et demi, il est «sur les freins». Il se préoccupe plus qu'avant du potentiel commercial de ses créations, tout en sachant que trop de prudence nuirait. «Ça a été extrêmement difficile sur le plan créatif.»

L'homme d'affaires en lui se met également à douter. «C'est sûr que, quand ça nous arrive [une faillite], on a l'impression de n'être bon à rien, de ne plus avoir la force créatrice ou entrepreneuriale. On croit que toutes nos décisions étaient mauvaises, ce qui n'est pas le cas !»

Pendant les mois qui suivent la reprise, il apprend à vivre avec ses bonnes et ses mauvaises décisions. Il ressent de la frustration et de la colère, mais n'est pas honteux. «Si nous avons fait faillite, c'est aussi parce que nous avons pris de mauvaises décisions. Ce n'est pas que la faute de notre institution financière : nous étions les gestionnaires de notre entreprise.»

Progressivement, il retrouve le goût du risque, même si «ça a été long». Oser en création implique des risques financiers, ce qui est insécurisant. «Mais c'est ce qui permet de se démarquer. C'est ça, notre métier !»

Toujours ambitieux

Philippe Dubuc et Marie-Claude Gravel privilégient maintenant une structure «plus pépère», axée sur l'autofinancement. Plus question d'être à la merci d'une banque !

L'approche restreint toutefois les projets, ce qui comporte son lot de frustrations. «C'est sûr que nous aimerions reprendre notre expansion à la vitesse grand V. C'est thrillant ! Nous devons cependant nous assurer d'une rentabilité à court terme.»

La maison, qui fêtera ses 20 ans de créations au printemps 2014, a quand même repris du galon. Elle compte des boutiques à Québec et dans le Vieux-Montréal, est distribuée dans de grandes villes nord-américaines et collabore avec Simons.

Elle retrouvera un jour son rayonnement d'avant, sinon plus, assure d'un ton posé M. Dubuc. «Nous avons encore ce grand rêve de réaliser de grandes choses. Pas juste ici. Sur la scène internationale aussi.»

Sa vision de l'avenir

«Nous sommes moins jeunes et un peu plus sages, mais nous avons aussi plus d'expérience. J'en ai encore pour au moins 25 ans, tant que la santé me permettra de diriger une entreprise.»

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