Développement durable : Inco marque des points

Publié le 01/01/2009 à 00:00

Développement durable : Inco marque des points

Publié le 01/01/2009 à 00:00

Écoles, dispensaires, infrastructures... Depuis 2004, la minière Inco a investi plus de 25 millions de dollars dans le développement économique de la région de Sorowako. Peu d'entreprises ont poussé aussi loin le concept de la responsabilité sociale. Chronique d'un équilibre fragile.

Tabarano, un hameau de 63 familles d'agriculteurs, est situé dans la grande région de Sorowako, où le géant minier Inco exploite l'un des plus importants gisements de nickel du monde. Sorowako compte pour environ 5 % de la production mondiale de ce métal. D'ici 2011, PT Inco, la filiale indonésienne de la société torontoise Inco, veut augmenter sa production de 25 %, ce qui représente 20 % de la capacité totale du groupe.

La mine à ciel ouvert, qui couvre 50 kilomètres carrés (l'équivalent de cinq fois le mont Royal), est située dans une région ignorée des touristes, et pour cause : il faut plus de 10 heures pour parcourir en autocar les 500 kilomètres qui la séparent de la capitale provinciale, Makassar. Le seul avion qui assure la liaison Makassar-Sorowako est celui d'Inco.

Lové dans une vallée, Tabarano est aujourd'hui alimenté en électricité par des panneaux solaires et des génératrices au diesel fournis par Inco. C'est un des nombreux villages indigènes de la région où la présence de la société minière est perceptible. Le chef du village, monsieur Ongko, explique qu'il a dû attendre jusqu'en 2004, quand Inco a mis en place un programme ciblé de développement économique régional, pour qu'on lui demande enfin ce dont son village avait besoin. "Pendant des années, des représentants du gouvernement sont venus nous présenter les programmes qu'ils pouvaient nous offrir, sans vraiment se soucier de ce que nous voulions", commente ce père de trois enfants. Depuis 2004, la collectivité a ainsi obtenu 600 millions de roupies indonésiennes (environ 60 000 $ CA) pour six projets, dont la réfection de l'école communale, l'électrification du village, l'achat d'équipement agricole, la construction d'une route et l'embauche de trois coordonnateurs de projets. Dans une région où le salaire moyen est de 80 dollars par mois, ou 800 000 roupies, l'argent d'Inco fait une différence.

Depuis 2004, la société minière a construit des écoles, un institut technique, des dispensaires, un hôpital de 42 lits, des infrastructures et des centres communautaires. Le programme vise non seulement à financer la construction et le maintien d'immeubles et d'infrastructures, mais aussi à payer une partie ou la totalité des salaires des enseignants et du personnel médical. Formation pour les entrepreneurs locaux, soutien à la mise sur pied de coopératives agricoles, services de consultation juridique ou comptable, financement d'initiatives culturelles ou sociales : Inco est partout !

En tout, quelque 25 millions de dollars ont été investis, dont 9,2 millions en 2008. Si l'on considère que PT Inco a enregistré des profits nets de 1,2 milliard de dollars en 2007, ces dépenses sont négligeables d'un point de vue comptable. Mais elles font de cette minière le véritable "gouvernement local".

En 1969, un an après l'arrivée au pouvoir du dictateur Soeharto, PT Inco obtient la concession minière de Sorowako. À la recherche de revenus, le nouveau régime invite alors les sociétés étrangères à s'installer en Indonésie pour y exploiter les richesses minières, pétrolières, gazières et forestières. Le village de Sorowako compte à l'époque 900 indigènes qui sont privés de tout. Une première concession de 1 200 kilomètres carrés permet à PT Inco d'entreprendre l'exploration du site. Le contrat de travail qui couvre la concession prévoit que le bail durera 30 ans à partir du début de la production, prévue pour 1978.

Pour l'essentiel, PT Inco obtient carte blanche pour l'exploitation de la région. En retour, elle doit construire à ses frais les infrastructures adéquates qui permettront aux populations locales de bénéficier des retombées de ces activités. Sauf que la façon dont ces dernières seront réparties est négociée par le gouvernement dictatorial et la société, sans consultation des populations locales, qui n'obtiennent que des compensations symboliques. Quelque 5 000 personnes vivent alors dans le périmètre de la concession. Les expropriations commencent au début des années 1970. L'armée doit intervenir, et ceux qui refusent d'être relocalisés en échange d'une indemnisation offerte par la société sont emprisonnés. Un barrage hydroélectrique, une usine de transformation et un village minier sont construits, et l'exploitation commerciale débute en 1978.

En 1996, deux autres contrats de travail qui couvrent un territoire de 1 000 kilomètres carrés sont octroyés dans les provinces voisines, tandis que le bail de Sorowako est reconduit pour 30 ans. La chute du régime Soeharto, en 1998, marque le début d'une période de manifestations organisées par les populations locales. Des campagnes internationales sont menées contre PT Inco, que l'on veut forcer à renégocier les compensations. "Les gens se sont plaints et nous les avons écoutés", soutient Tri Battara, directeur des affaires gouvernementales de l'entreprise. Il relate qu'au tournant de l'an 2000, PT Inco a commencé à subventionner des projets locaux, en plus d'élargir l'accès aux services offerts d'abord aux employés. Le litige portant sur des compensations passées, qui touchent quelque 200 personnes, est toujours en cours.

Parallèlement, la démocratie naissante du premier président élu, Abdurrahman Wahid, lance un vaste programme de réformes. Ainsi, en 2001, la Loi sur l'autonomie régionale est votée, et des gouvernements provinciaux sont mis en place. Ils obtiennent le pouvoir d'administrer les services publics et sociaux, de même qu'un droit de regard sur la gestion des ressources du territoire. Issus d'une culture de corruption et de népotisme mise en place par la dictature, les gouverneurs provinciaux veulent obtenir leur part du gâteau - et des redevances.

Ainsi, en tant que responsables de l'application des lois environnementales, par exemple, ils exigent des pots-de-vin pour délivrer des permis. "C'est d'ailleurs une situation à laquelle il faut mettre fin", concède le président du Conseil indonésien des investissements étrangers, Mohammed Lufti, lors d'une rencontre avec des journalistes, dont celui de Commerce. "Il est difficile de faire des affaires dans ces conditions", ajoute Michael Winship, premier vice-président de PT Inco et directeur des opérations à Sorowako. Les anecdotes pullulent : des fournisseurs des sociétés d'État aux patrons de PME qui comptabilisent les pots-de-vin dans leurs budgets, en passant par l'octroi de concessions minières ou forestières aux parents ou aux amis d'un ministre ou d'un gouverneur, tous les échelons de la société sont touchés par ce problème. Lors de la visite de Commerce en Indonésie, la Commission gouvernementale contre la corruption enquêtait d'ailleurs sur des détournements de fonds de 22 milliards de dollars américains provenant des redevances pétrolières et gazières.

Cette décentralisation des pouvoirs, conjuguée à une corruption endémique, cause bien des maux de tête aux entreprises étrangères installées en Indonésie. Dans ce contexte, PT Inco a vite compris qu'elle devait mettre les populations locales de son côté. D'autant que l'entreprise, qui dit refuser les pots-de-vin, devient vulnérable face aux changements d'humeur des pouvoirs régionaux. Au lieu de se contenter de faire la charité en 2000, la société s'est donc lancée dans un vaste programme de soutien au développement en 2004. On ne nourrit plus la population : on lui apprend plutôt comment pêcher. L'objectif : intégrer les notions de développement participatif aux programmes de PT Inco.

Il faut créer des emplois durables, élargir l'accès à l'éducation et aux soins de santé, et idéalement, rendre la région autonome sur le plan financier. À quelques kilomètres au sud de Sorowako, les édiles des quatre villages qui forment la collectivité de Tomanumpa ont décidé, eux, de se lancer dans l'agriculture et l'élevage. Dans cette région essentiellement forestière, les vallons qui se profilent à l'horizon ont été dépouillés de leurs arbres, d'où l'idée de convertir les terres défrichées en terres agricoles. "Nous voulons montrer à nos jeunes qu'il n'y a pas que PT Inco dans la vie", explique le chef Tomas Lasampa pour justifier les efforts de reconversion des terres. Au cours des dernières années, quelque 200 jeunes ont quitté sa communauté de l'ethnie padoé, qui compte 3 500 personnes. La rareté des débouchés favorise l'exode rural.

Tomas Lasampa se souvient des années où tout se passait entre Inco et le gouvernement. Les indigènes n'obtenaient pratiquement rien, que ce soit du gouvernement ou de l'entreprise. Les choses ont changé au lendemain de la chute du régime. "Un nouveau gouvernement est arrivé, mais c'était essentiellement pour nous dire quoi faire." Ainsi, une école neuve a été construite loin de tout, dans un endroit surélevé inaccessible aux enfants, et surtout sujet aux glissements de terrain. Puis, en 2004, quelqu'un a enfin demandé à Tomas Lasampa de quoi sa communauté avait besoin. "Il a fallu faire un plan d'affaires, et avec l'aide de gens de PT Inco et leur argent, nous avons développé un projet d'horticulture et d'élevage."

Dans le futur champ de semailles où nous nous rencontrons, le chef Lasampa construit le bâtiment qui servira d'atelier. Des agronomes envoyés par PT Inco ont participé à l'étude des cultures adéquates pour le type de sol et pour la topographie des lieux. Des rizières et une plantation de noix de coco sont prévues, de même que des élevages de poulet et de boeuf. Les salaires des 25 personnes qui travaillent à ce projet sont versés par PT Inco, qui a aussi affecté trois de ses employés à la coordonnation de la formation, de la comptabilité et des négociations avec le gouvernement local.

Chacun des 19 000 habitants de la région bénéficie directement ou indirectement des largesses de PT Inco. On a construit un collège où l'on enseigne les métiers de l'industrie minière, de même qu'une école secondaire qui a remis un diplôme de fin d'études à près de 2 000 élèves en quatre ans. Terrains de football, garderies gratuites, projets d'élevage de vers à soie, scierie, centres communautaires, réseaux d'aqueduc, électrification... Seule la police n'est pas financée par PT Inco.

"Dans d'autres régions, qui abritent des entreprises comme Newmont, la vision du partage des bénéfices se limite à donner des motocyclettes aux gens", commente Ade Chandra, directeur général de Sorowako et fonctionnaire chargé d'administrer les programmes gouvernementaux pour la municipalité. Avec ses collègues des autres localités, il compare souvent les programmes en place et les avantages que tire Sorowako de PT Inco. "Leurs programmes sont mieux ciblés que ceux du gouvernement !" dit-il. Ade Chandra est chargé de l'application des 35 programmes sociaux ou économiques instaurés par le gouvernement, mais il les juge inefficaces et mal coordonnés. Tandis que les 32 programmes de PT Inco, eux, vont droit au but et donnent des résultats. "Bien sûr, ils ne sont pas parfaits. PT Inco veut parfois promouvoir des initiatives qui ne font pas l'affaire de tous, mais on arrive généralement à bien s'entendre."

Certes, la perfection est loin d'être de ce monde. PT Inco a encore du chemin à faire, notamment sur le plan environnemental. "Ils disent que leurs programmes de reforestation sont les meilleurs, mais il n'y a aucun moyen de le vérifier", déplore Jatna Supriatna, vice-président pour l'Indonésie de Conservation International, une ONG établie aux États-Unis. PT Inco dispose d'un vaste programme de reboisement qui vise à remettre les sites abandonnés dans leur état originel. Lors de la visite de Commerce, cet organisme était justement de passage pour évaluer l'impact de la mine. "L'entreprise déclare qu'elle a réduit ses émissions de particules, mais elle se situe tout juste en deçà des normes gouvernementales en vigueur en Indonésie, ce qui n'est pas peu dire."

PT Inco a tout de même la réputation de bien faire les choses. Mieux, en tout cas, que la plupart de ses concurrentes. "L'Indonésie est un pays où l'application de la loi est déficiente et va trop souvent dans le sens des intérêts de ceux qui ont des moyens", soupire Maharani Siti Shopia, avocate associée au Centre indonésien pour le droit environnemental (ICEL). Une façon détournée de dire que le flou entretenu par les articles des diverses lois, qui souvent se contredisent, permettent à de bons avocats de faire à peu près ce qu'ils veulent. D'autant plus que dans les régions éloignées qui renferment les ressources naturelles, le gouvernement est peu ou pas du tout présent. Et comme l'armée indonésienne tire la moitié de ses revenus d'entreprises commerciales, elle loue ses services aux plus offrants, qui sont souvent des entreprises qui font l'objet de contestations. "En fait, ce qu'il y a de remarquable avec PT Inco, c'est qu'elle n'est pas tenue de faire tout ce qu'elle fait", conclut l'avocate.

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