Plaider pour gagner

Publié le 01/03/2009 à 00:00

Plaider pour gagner

Publié le 01/03/2009 à 00:00

Ils négocient, convainquent les gens et gagnent. Les plaideurs d'expérience ont beaucoup à apprendre aux gestionnaires. Sept d'entre eux se sont confiés à Commerce.

Raynold Langlois

Associé chez Langlois Kronstrom Desjardins

Le principal atout du bon plaideur ? Bien avant son bagout, ce sont ses connaissances, affirme ce vieux routier, entré au barreau en 1964, qui est aussi l'un des associés fondateurs du cabinet Langlois Kronstrom Desjardins. Le plaideur qui affiche la meilleure maîtrise des éléments du dossier a l'avantage. "La semaine dernière, nous avons conclu le recours collectif intenté contre des émetteurs de cartes de crédit et qui portait sur la divulgation de la méthode de conversion de devises pour les achats faits à l'étranger. Pour me préparer, j'ai demandé à mon client, Visa Desjardins, de me faire rencontrer ses experts. Je voulais comprendre le fonctionnement du réseau de A à Z, soit à partir du moment où Madame Raymond de la rue Panet achète des jeans Gap en euros sur les Champs-Élysées jusqu'à la conclusion de la transaction sur son compte. En cour, le juge s'est montré très intéressé par mes explications, qui s'appuyaient sur des outils simples et schématisés."

Me Langlois estime que les documents préparés sur mesure renforcent la plaidoirie et constituent des armes redoutables. "J'ai instauré la pratique des plans d'argumentation auprès des juges il y a 20 ou 25 ans. Maintenant, ceux-ci exigent ces plans avant l'audition afin de mieux suivre notre argumentation."

S'il témoigne d'un souci maniaque pour le fond, Me Langlois ne néglige pas pour autant la forme. "L'art de convaincre exige qu'on prenne un certain ton. Le langage corporel importe autant que les mots. Quand vous dites quelque chose d'important, il faut regarder le juge dans les yeux afin qu'il puisse évaluer votre crédibilité."

Un plaideur d'expérience se permet parfois une réaction émotive visant à renverser la vapeur si son client est attaqué de toutes parts. C'est arrivé à Me Langlois en cour fédérale, alors qu'il représentait la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie. "Le juge avait été impressionné par les présentations d'une dizaine de collègues qu'il avait entendus avant moi et qui voulaient démontrer que la Commission n'était pas impartiale. À un certain moment, j'ai donné un coup de poing sur la table et j'ai dit : "Je vais vous décontaminer l'esprit". À la fin, non seulement le juge m'a donné raison dans sa décision, mais il a cité mon plaidoyer en exemple."

Attention toutefois aux effets de toge gratuits, prévient Me Langlois. Les magistrats se retrouvent devant la machine à café. "Et de quoi parlent-ils quand ils sont entre eux ? De nous ! La perte de crédibilité auprès d'un des magistrats peut avoir un effet domino sur les autres."

Convaincre, c'est aussi gérer l'attention des médias quand une cause attire les caméras. "Les clients ont besoin que l'on réponde aux questions des journalistes ou que l'on réagisse à des articles qui ont été publiés. Et les juges lisent les journaux. Il faut demander conseil à des spécialistes et développer une stratégie de presse. Cet exercice est délicat, car, dans nos interventions, nous ne devons pas perdre le respect du tribunal et ne pas compromettre notre cause." Me Langlois cite le dossier des victimes de Desjardins, un regroupement de citoyens qui accusait le mouvement coopératif de fraude, de conflits d'intérêts, de manipulations, etc. Ce regroupement a été poursuivi en diffamation par Claude Béland et Jocelyn Proteau, alors respectivement président du Mouvement Desjardins et président de la Fédération des caisses de Montréal et de la Fédération de l'Ouest du Québec. Me Langlois représentait Claude Béland et Jocelyn Proteau. "Nous avons donné de l'information aux journalistes sans pour autant plaider la cause dans les journaux."

Marie-Josée Hogue

Associée chez Heenan Blaikie

Au moment de prononcer une plaidoirie, Me Hogue mise surtout sur son esprit cartésien. Cerner le véritable enjeu plutôt que tirer dans toutes les directions peut faire la différence entre une victoire et une défaite.

Cet esprit permet aussi de faciliter la tâche des magistrats en établissant clairement les faits et les enjeux. "Nous oublions souvent que nous travaillons sur le dossier depuis plusieurs mois, alors que le juge, lui, l'a reçu la veille ou le matin même. Le défi consiste à l'informer sans insulter son intelligence."

Vulgariser est noble, mais une plaideuse comme Me Hogue doit parfois faire preuve de fermeté si un juge n'aime pas la position qu'elle défend. Elle l'a fait alors qu'elle représentait un conseiller qui refusait de payer des dommages à un client. Ce dernier estimait qu'il méritait un dédommagement, car un retard dans le transfert de son encaisse l'aurait empêché de liquider des investissements, ce qui avait entraîné des pertes. Selon le Code civil, l'avocate avait raison de dire qu'il n'avait droit qu'à des intérêts. Mais "le juge était fâché. Il m'a fait venir dans son bureau et m'a dit que je me limitais au Code civil, alors qu'il voulait un règlement. J'ai maintenu mon point, et il a été obligé de me donner raison pour éviter que son jugement ne soit cassé en appel."

Jean Bertrand

Associé principal chez Ogilvy Renault

L'influence d'un plaideur tient aussi à celle de son cabinet. "La crédibilité d'une institution se bâtit au fil des ans, de façon continue ; elle est le fruit du travail d'une équipe", croit Me Bertrand, qui dirige une équipe de 125 plaideurs. L'excellente réputation d'un cabinet en matière de litige peut favoriser ses avocats lors de leurs plaidoyers.

Il reste ensuite ce qui appartient à chaque plaideur : l'art de communiquer. "Que nous soyons devant un juge ou devant un arbitre, nous devons maintenir un lien de confiance. Nous devons regarder le juge dans les yeux, établir un dialogue, lui raconter une histoire. Le fait de développer des arguments responsables, sans défendre n'importe quel point de vue en ayant en tête seulement la victoire, ajoute à notre crédibilité. Et lorsque nous y parvenons, nous avons un avantage sur nos adversaires."

Suzanne Côté

Associée chez Stikeman Elliott

Pour Suzanne Côté, désignée "Plaideur de l'année 2008" par ses pairs, la plaidoirie est l'art de séduire... sur le plan intellectuel. Une façon de plaire aux juges consiste à choisir le bon terrain pour livrer bataille au lieu de traîner son adversaire dans la boue. C'est en appliquant cette méthode qu'elle a gagné la cause de Jean Pelletier, congédié en 2004 de son poste de PDG de Via Rail par le gouvernement fédéral après avoir traité Myriam Bédard de "pauvre fille qui fait pitié". Devant la Commission d'enquête sur le scandale des commandites, Madame Bédard, une championne olympique de biathlon qui a ensuite travaillé pour Via Rail, avait soulevé des doutes sur les relations du transporteur avec les agences de publicité.

"Si nous avions fait le procès de Madame Bédard, nous aurions fait fausse route, croit Me Côté. Nous avons préféré mettre l'accent sur la façon dont le gouvernement fédéral a mis fin au contrat de Jean Pelletier. La procédure normale n'avait pas été suivie, et ce congédiement était illégal."

Un plaideur hors pair sait naviguer entre les écueils dans une cause controversée, comme celle de l'ancienne juge Andrée Ruffo. La Cour d'appel du Québec a embauché Me Côté pour l'assister dans la possible destitution de la juge, dont le manque de réserve sur la place publique causait des remous. Me Côté n'avait pas les outils habituels à sa disposition. "Je n'avais pas le droit de parler à mon client ou de lui demander des instructions en raison de la distance qu'il faut maintenir avec les instances judiciaires. Il fallait déposer des requêtes publiques à la cour, recueillir toute la preuve, favorable ou défavorable, et énumérer devant les cinq juges les bons coups et les mauvais coups de la juge Ruffo." À la fin, la cour a demandé à Me Côté de recommander une sanction si jamais on concluait que des fautes avaient été commises. "Je devais porter un jugement lourd de conséquences, dans un contexte où la juge Ruffo jouissait de la sympathie de la population." Me Côté a tout de même plaidé en faveur d'une destitution, et la cour lui a donné raison.

Quand un litige aboutit à une négociation, Suzanne Côté adopte une approche moins dure qu'elle ne le ferait en cour. "Notre façon d'utiliser les arguments change, admet-elle. Parfois, nous avançons de façon plus douce, en faisant appel aux sentiments. Par exemple, lors d'une chicane d'actionnaires au sein d'une famille, un règlement permet de préserver des relations saines entre frères et soeurs. Quand je prends place à la table de négociation, j'ai une attitude moins agressive."

Jacques Rossignol

Associé chez Lapointe Rosenstein

Rien ne vaut l'expérience. Les meilleurs plaideurs ont débuté très tôt. Tout jeunes, ils n'ont pas craint de mener des dossiers complexes, estime Jacques Rossignol. "En 1973, quand j'ai commencé à travailler au sein d'un cabinet, nous étions huit avocats, et j'ai toujours été le plaideur du bureau. J'ai beaucoup appris sur le tas, en gérant rapidement de gros dossiers. Plaider est un art qui ne s'enseigne pas à la Faculté de droit. Il faut avoir du tempérament et acquérir de l'expérience."

Celui qui a déjà représenté Vincent Lacroix et qui plaide depuis sept ans dans le cadre de l'affaire Cinar souligne que pour gagner, il faut d'abord convaincre son client de se battre. "J'ai traité le litige entre les actionnaires d'une même famille chez Asphalte Desjardins. Pour la première fois, un juge québécois a appliqué le principe de l'oppression (l'atteinte aux droits d'un actionnaire minoritaire) dont fait état le droit canadien. Toutefois, avant cela, il a fallu que je tienne la main de mes clients, qui luttaient contre un adversaire de taille, aux moyens financiers plus importants."

Sylvain Lussier

Associé chez Osler Hoskin Harcourt

Adapter sa façon de plaider à la personnalité et aux sensibilités d'un juge est un comportement classique. Cependant, les circonstances particulières d'un dossier peuvent brouiller les cartes, comme l'explique Sylvain Lussier. "Le juge Gomery a le sens de l'humour. Pourtant, lors de la commission d'enquête sur le scandale des commandites diffusée devant un million de téléspectateurs, il n'était pas question que je fasse des blagues !"

Me Lussier estime qu'il est possible de faire "du showbiz" lors d'une plaidoirie pour la rendre efficace, à condition de choisir le bon moment. "Mon rôle est différent de celui de Perry Mason. Je dois convaincre la personne qui est sur le banc, et non chercher à faire un spectacle."

Guy Pratte

Associé chez Borden Ladner Gervais

Comment convaincre la cour que notre point de vue est valable lorsqu'il y a un vide juridique, c'est-à-dire en l'absence de jugement ou d'articles de loi touchant notre cause ? "En faisant appel à de grands principes et au gros bon sens", répond Guy Pratte.

L'avocat a eu recours à cette méthode en Cour suprême dans l'affaire Jacques Chaoulli, qui a abouti en 2005. Le plus haut tribunal du pays a donné raison à ce médecin, qui estimait que l'assurance privée ne pouvait être interdite dans le secteur de la santé, compte tenu des défaillances du régime public. "Dans cette affaire, la question portait sur le monopole de l'État concernant les soins de santé, alors que l'article 7 de la Charte des droits et libertés reconnaît à toute personne le droit à la vie et à la sécurité. Nous ne contestions pas le fait que l'État puisse créer un monopole. Par contre, si tout le monde est pris dans un carcan et que des vies sont mises en péril, il faut remplir ses engagements ou mettre fin au monopole. Les juges ont eux aussi leur propre définition de ce qui est raisonnable. Trouver des solutions qui s'inspirent de grands principes universels sera toujours une bonne stratégie."

Au-delà des principes, il y a la pratique. Pour faire passer ses idées, Me Pratte compte sur la convivialité. "Les meilleures plaidoiries sont celles qui se déroulent dans une atmosphère qui ressemble à celle d'un dîner autour d'une table." Demeurer calme est aussi un avantage de taille. "Une attitude comme celle qu'affiche Barack Obama, qui prouve à quel point il est sûr de lui malgré les attaques de ses adversaires, représente un atout. Les causes qui se rendent aux plus hautes instances sont entourées d'incertitudes sur le plan légal. Dans ce contexte, montrer de l'assurance inspire confiance."

"Une attitude comme celle qu'affiche Barack Obama, qui prouve à quel point il est sûr de lui malgré les attaques de ses adversaires, représente un atout. Les causes qui se rendent aux plus hautes instances sont entourées d'incertitudes, montrer de l'assurance inspire confiance."

finances@munger.ca

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