Et si vos propos revenaient vous hanter en cour ?


Édition du 15 Août 2015

Et si vos propos revenaient vous hanter en cour ?


Édition du 15 Août 2015

[Photo : iStock]

À la suite d'une décision de la Cour suprême du Canada, des conversations enregistrées à votre insu peuvent désormais servir de preuve contre vous lors d'un procès civil ou d'un recours collectif.

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L'affaire, qui a des allures de roman policier, commence en 2004. Dans le cadre de l'enquête Octane, le Bureau de la concurrence du Canada enregistre plus de 220 000 communications privées de personnes soupçonnées de complot en vue de fixer les prix de l'essence à la pompe dans certaines régions du Québec. Au final, 54 personnes font l'objet d'accusations criminelles.

Confiant de leur capacité de démontrer en cour l'existence d'un stratagème qu'ils soupçonnent depuis un certain temps, Simon Jacques, Marcel Lafontaine et l'Association pour la protection automobile entreprennent deux recours collectifs. L'un vise la Pétrolière Impériale, qui exploite les détaillants Esso, et l'autre vise Alimentation Couche-Tard.

Des enregistrements convoités

Jusque-là, rien qui sorte de l'ordinaire. Seulement voilà. Afin d'appuyer leurs poursuites, les appelants demandent l'accès aux conversations privées enregistrées dans le cadre de l'enquête Octane. Sans surprise, les intimés s'y opposent farouchement, invoquant leur droit à la vie privée. Mais la Cour supérieure et la Cour d'appel du Québec rejettent toutes deux cet argument.

Ne désarmant pas, les intimés décident de poursuivre leurs démarches devant la Cour suprême du Canada. Peine perdue. À six contre un, celle-ci maintient la décision de la Cour supérieure. L'information pourra être utilisée dans les recours collectifs, mais les enregistrements demandés seront filtrés afin de protéger la vie privée des tiers étrangers au litige.

«Ce qui se trouve au coeur de cette cause, c'est la question de savoir si des enregistrements obtenus dans le cadre d'une enquête criminelle peuvent être utilisés dans un procès civil», explique André Ryan, associé au cabinet BCF.

Ce dernier a représenté le Fonds de solidarité FTQ en 2013 et en 2014 dans une cause similaire. Le Fonds contestait l'utilisation à la commission Charbonneau, d'enregistrements de l'ancien dirigeant syndical Michel Arsenault, réalisés pour l'enquête Diligence de la Sûreté du Québec. Celle-ci n'avait pas débouché sur des accusations criminelles contre M. Arsenault. La Cour d'appel avait finalement rejeté cette demande.

Personne n'est à l'abri

En matière de criminalité, l'objectif est d'assurer la sécurité et la répression du crime. Pour prendre la décision d'utiliser une écoute électronique, les autorités doivent considérer que le risque pour la sécurité justifie cette grave entorse au droit à la vie privée. «En matière civile, l'équation est différente, précise M. Ryan. Le plus important n'est pas la répression d'un crime, mais la recherche de la vérité. Dans le cas des pétrolières, la Cour suprême a statué que la recherche de la vérité justifiait l'utilisation de ces écoutes.»

La juge Rosalie Abella a rendu un verdict dissident. Selon elle, aucune activité de surveillance électronique ne peut être autorisée à l'occasion d'une instance civile en vue de recueillir des éléments de preuve. Elle ne peut l'être que dans le cadre d'enquêtes relatives à des crimes graves ou sur des menaces à l'égard de la sécurité nationale. Autrement dit, si les appelants avaient demandé le droit d'enregistrer les intimés pour bâtir une preuve pour leur recours collectif, cela leur aurait été refusé. Il est donc illogique de leur donner accès indirectement à une technique d'enquête à laquelle ils n'ont pas droit.

Son point de vue n'a pas convaincu ses collègues. Pour les dirigeants d'entreprise, cela peut avoir diverses conséquences. «La plupart des gens s'imaginent que seuls les criminels peuvent se retrouver sur écoute, souligne M. Ryan. Toutefois, les conversations d'employés ou de dirigeants d'entreprises peuvent aussi être écoutées.» Cela devrait inciter les dirigeants à encadrer davantage leurs communications.

Par ailleurs, «de telles écoutes génèrent des masses d'information très volumineuses, poursuit l'avocat. Il faut beaucoup de personnel et de temps et de bons outils techniques pour en faire une preuve fiable. La qualité de cette preuve risque donc de varier d'une cause à l'autre.»

Enjeux juridiques

Série 3 de 6. Cette série mensuelle présente des jugements qui font jurisprudence dans le monde des affaires.

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