Pour que l'innovation soit plus qu'un slogan


Édition du 20 Mai 2017

Pour que l'innovation soit plus qu'un slogan


Édition du 20 Mai 2017

Par Laura O'Laughlin

[Photo: 123RF]

L'utilisation du mot «innovation» est omniprésente, presque au point de lui faire perdre son sens. Les entreprises établies et les start-up revendiquent l'innovation - même si leurs innovations n'en sont souvent pas vraiment. Renforçant cette tendance, les gouvernements (fédéral et provincial) ont priorisé les investissements dans l'innovation et le développement de nouvelles technologies dans leurs budgets récents.

Pourtant, l'innovation n'est pas seulement une «perturbation», soit une action dont le seul but est d'être différente. Ce n'est pas non plus uniquement la création d'idées ou l'invention ni un simple processus d'amélioration. C'est la combinaison de tous ces concepts afin qu'une nouvelle idée soit mise en oeuvre et adoptée.

Pour mieux comprendre, considérons le modèle de la diffusion technologique de la courbe en S. Celle-ci représente comment un produit, un processus ou une méthode passe du stade de l'innovation à celui de l'adoption précoce et, finalement, à l'omniprésence. Prenons l'évolution technologique de l'industrie de l'automobile. Le fond de la courbe est l'aspect véritablement novateur du processus. L'inflexion, ou le point de bascule dans la courbe en S, est l'endroit où la technologie est adoptée par les utilisateurs précoces. À partir de cette phase, la technologie se commercialise et croît rapidement, devenant finalement omniprésente dans la société. Mais attention ! Au stade de l'adoption précoce et de la commercialisation, les véritables créateurs travaillent déjà à la prochaine innovation (ex. : les voitures électriques autonomes) alors que la technologie actuelle (les voitures électriques), elle, est toujours en phase de croissance.

Comme l'indique clairement le graphique, seul un petit pourcentage d'entreprises peut véritablement faire preuve d'innovation. Maximiser les bénéfices pendant la phase de croissance est une tentation à laquelle il est difficile de résister pour les entreprises. Bien que la maximisation des bénéfices pendant la période de commercialisation puisse sembler une décision raisonnable, les entreprises qui refusent de se déplacer le long de leur courbe en S garantissent d'une certaine manière leur propre obsolescence - tout comme l'union des allumeurs de lampadaires, Kodak et Encyclopedia Britannica avant elles.

Le défi pour une société qui prétend accorder la priorité à l'innovation n'est pas seulement de se déplacer le long d'une courbe en S : c'est aussi d'encourager les entreprises à innover en passant à la prochaine courbe en S et à démarrer la prochaine innovation. Des sauts correctement exécutés nécessitent des paris multiples, des essais et des erreurs, et une tolérance au risque. Même en essayant de sauter des courbes en S, de nombreuses entreprises, comme Nortel ou Research In Motion, peuvent échouer.

Les gouvernements souhaitant inciter l'innovation font face à plusieurs obstacles. Premièrement, il est difficile pour une société de délaisser les industries vieillissantes - surtout si elles sont encore une source d'emplois, comme le charbon du Kentucky peut l'être pour Trump. Il peut donc être tentant pour les gouvernements de «sauver» ces industries en les aidant à miser sur «l'innovation» - comme le Québec a essayé de le faire avec son investissement dans Pages Jaunes en 2016. Deuxièmement, les gouvernements peuvent être tentés de financer des entreprises dotées d'un dossier d'innovation éprouvé. C'est souvent une erreur. Pour un gouvernement, le rôle optimal et le plus courageux sur le plan politique n'est pas d'adoucir le déclin des perdants ni d'assurer le succès des gagnants récents ; c'est de promouvoir des conditions favorables à tous les innovateurs qui sont au début de la prochaine courbe en S. Concrètement, cela se traduit par un investissement massif en éducation et par des initiatives en recherche exploratoire (comme l'investissement présentement alloué à l'Institut de valorisation des données).

Être pour l'innovation est facile. En faire est beaucoup plus difficile. Espérons que nous agirons comme il faut, avec la bonne définition en tête.

EXPERTE INVITÉE

Laura O’Laughlin est économiste principale au cabinet de consultation Groupe d’analyse. Elle est aussi fondatrice de l’Institut des générations, un organisme sans but lucratif qui s’intéresse à l’équité entre les générations.

 

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