Air Canada va mal... encore

Publié le 24/03/2012 à 00:00, mis à jour le 22/01/2013 à 12:35

Air Canada va mal... encore

Publié le 24/03/2012 à 00:00, mis à jour le 22/01/2013 à 12:35

Photo: Bloomberg

Chez Air Canada, la roue tourne... et revient à son point de départ : une situation de crise. Comme maintes fois auparavant, Ottawa est intervenu dans les affaires du transporteur à la mi-mars, en adoptant une loi spéciale pour empêcher une grève de 10 000 de ses employés. Le mal se répand et affecte maintenant jusqu'à son ancienne branche de services d'entretien, Aveos, qui vient de se placer sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Malgré les renflouements, les arrangements et les compressions passés, Air Canada demeure piégée dans une spirale de difficultés. Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond ?

Par Martin Jolicoeur

Air Canada a beau être sortie indemne de sa restructuration, près de 10 ans après s'être placée sous la protection des tribunaux, le plus grand transporteur au pays continue de tirer le diable par la queue.

«Je croyais qu'ils avaient fait le ménage ! Qu'ils s'étaient relevés. Mais non, malgré des taux d'occupation de 80 %, ils continuent de perdre de l'argent», s'étonne encore le professeur Michel Archambault, de l'ESG UQAM.

Les mesures avaient pourtant été draconiennes : 18 mois de restructuration à l'abri de créances monstres de 7,8 milliards de dollars (G$) avaient permis à Air Canada de ressortir, en 2004, avec 7 000 employés en moins, des économies récurrentes de 1,1 G$ en main-d'oeuvre et une dette réduite de moitié, évaluée à 5 G$.

Malgré tout, cinq ans plus tard, lors de l'arrivée aux commandes de Calin Rovinescu, les rumeurs allaient bon train et les analystes financiers parlaient ouvertement de la possibilité que l'entreprise ait de nouveau recours aux tribunaux pour se tirer d'affaire.

Et à voir les événements des dernières semaines, Air Canada manque toujours d'air. Malgré une hausse de son chiffre d'affaires (826 M$, ou 7 %, pour un total de 11,6 G$) en 2011 et la force du huard qui l'avantage, le transporteur canadien a présenté une perte nette de 249 M$ au terme de son dernier exercice, prenant fin le 31 décembre.

La situation a des airs de déjà-vu. «Une perte de plus ou de moins ne changera pas grand-chose, soupire, presque résigné, Jacques Kavafian, un analyste financier récemment défroqué qui, pendant 25 ans, a suivi à la loupe les faits et gestes d'Air Canada. La dernière fois qu'Air Canada a fait un profit date de 1997 ! (...) C'est une compagnie condamnée à vivre au bord du précipice.»

Le boulet de la dette

Au début de 2012, le transporteur traînait toujours à la cheville une dette nette ajustée de 4,6 G$, dont il semble incapable de se libérer. Un vestige, entre autres, de sa fusion avec Canadian Airlines, en 2000.

Autre objet d'inquiétude : Air Canada est aux prises avec un lourd déficit de la caisse de retraite de ses employés. Bien que l'entreprise ait réussi à réduire son personnel à 26 000 employés, elle doit continuer d'assumer le régime de 29 000 ex-employés aujourd'hui retraités.

En date du 1er janvier 2011, le déficit actuariel de ce régime s'élevait à 2,2 G$, selon le Rapport de gestion 2011 d'Air Canada. Seulement pour 2012, ce régime imposera à Air Canada une charge évaluée à 426 M$. Une nouvelle évaluation de la solvabilité de la caisse de retraite des travailleurs d'Air Canada sera terminée en mai. Mais compte tenu des faibles taux d'intérêt anticipés, l'analyste Kevin Chiang, de Marchés mondiaux CIBC, prédit déjà que le poids de ce régime «continuera de représenter une menace pour le transporteur».

«Ces deux éléments [la dette et le déficit du fonds de pension] expliquent à eux seuls la plupart des difficultés que rencontre actuellement Air Canada à faire face à la concurrence des WestJet et Porter de ce monde», estime Barry Prentice, spécialiste de l'industrie aérienne à l'Asper School of Business de l'Université du Manitoba.

La stratégie des bas prix

Pour compenser la perte de part de marché sur les liaisons intérieures - WestJet accapare aujourd'hui 35 % du trafic -, Air Canada cherche depuis quelques années à mettre à profit son réseau de liaisons transfrontalières (vers les États-Unis) et internationales.

C'est sur ces liaisons, représentant 61 % de ses revenus de passagers en 2011, que ses marges bénéficiaires sont les meilleures, notamment en raison de la grande demande pour les sièges de catégories supérieures.

La livraison des nouveaux appareils longs courriers Boeing 787, à compter de 2014, contribuera à cette stratégie, notamment sur de nouvelles liaisons reliant le Canada à l'Asie. Un passager en classe affaires peut rapporter jusqu'à six fois plus qu'un passager en classe économique, soutient Air Canada.

Si certains observateurs y croient, d'autres sont sceptiques. Ces nouveaux avions viendront alourdir les coûts d'exploitation du transporteur, sans pour autant lui garantir les marges bénéficiaires espérées, en particulier en Chine où la concurrence est féroce.

À plus forte raison dans un contexte où, au lieu de vendre ses anciens Boeing 767, Air Canada projette de les affecter au lancement d'une nouvelle liaison aérienne à bas prix.

«Je ne connais aucun transporteur traditionnel qui ait réussi à exploiter durablement un véritable transporteur à bas coûts», commente Jacques Roy, spécialiste du secteur de l'aviation à HEC Montréal, en rappelant les nombreuses aventures sans lendemain d'Air Canada dans ce créneau (Tango, Zip, etc.).

L'idée a du mérite, pense pour sa part le professeur Karl Moore de l'Université McGill. À condition, prévient-il, que l'aventure rapporte rapidement : «Sans revenus, personne ne te prête. Si personne ne te prête, tu ne peux investir dans ton entreprise.»

Des coûts qu'on peine à réduire

Jacques Kavafian ne croit pas à ce projet de transporteur low cost. Il est d'avis qu'Air Canada devrait profiter de la livraison de ses nouveaux avions (B787) pour se départir de ses anciens B767 dans un effort global visant à réduire ses coûts d'exploitation.

À ce chapitre, la vente par ACE Aviation (qui chapeaute Air Canada depuis la fin de la restructuration) de la plupart de ses actifs ces huit dernières années n'aide en rien. Dépouillée d'Aéroplan (devenu Aimia), de Chorus Aviation (qui exploite maintenant Jazz) et de sa division de services techniques (devenue Aveos, en difficulté financière), Air Canada doit maintenant payer pour des services auxquels elle avait accès à moindre coût, explique M. Kavafian. «Pour Air Canada, ça a été une grave erreur de l'isoler ainsi des autres entités. Si Ace Aviation a profité de la vente de celles-ci, cela n'a pas été le cas d'Air Canada, qui n'a pu que voir ses coûts d'exploitation augmenter.»

Aujourd'hui, à son avis, la seule façon pour Air Canada d'éviter sa lente érosion serait de modifier son plan d'affaires en acceptant de sacrifier le cinquième de ses liaisons les moins profitables de son réseau. En l'absence d'obligations législatives, par exemple, rien ne force Air Canada à maintenir des services dans autant de régions éloignées, fait-il remarquer. Un changement de stratégie, mais aussi de philosophie, qu'Air Canada s'est toujours refusé d'effectuer. Ce à quoi la porte-parole d'Air Canada, Isabelle Arthur, réplique que le transporteur s'assure que tous les vols qu'il exploite «sont rentables». Aucun membre de la direction d'Air Canada n'a souhaité commenter plus à fond.

Des relations de travail à rebâtir

Changer le plan d'affaires nécessiterait l'accord du personnel ; chose impossible à imaginer pour quiconque connaît l'état actuel des relations de travail chez Air Canada. Depuis deux ans, la direction et les syndicats sont à couteaux tirés, renvoyant à la procédure d'arbitrage tout imbroglio, aussi mineur soit-il.

«En 40 ans de carrière syndicale, je n'ai jamais vu de travailleurs aussi choqués, aussi enragés contre leur employeur, nous a confié Marcel Saint-Jean, président du local 1751 de l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale (AIMTA), qui représente 8 600 membres chez Air Canada. Et je peux vous assurer que ce sentiment de haine est partagé par les pilotes. (...) C'est bien beau de garder les gens au travail de force, grâce à l'intervention du dieu Harper, mais je connais des gens qui ne font plus que 50 % de ce qu'ils faisaient auparavant.»

«Souvent, je me demande si quelqu'un va finir par débarquer avec un gun au travail, tellement la frustration est grande», ajoute-t-il.

Soucieux de ne prendre le parti de personne dans le conflit actuel, le professeur Jacques Roy, de HEC Montréal, croit qu'Air Canada a omis, au lendemain de sa restructuration, de s'asseoir avec les employés pour partir sur des bases nouvelles. «Cela n'a pas été sa priorité ; Air Canada en paie aujourd'hui les pots cassés.»

 

Encadré:

ET SI AIR CANADA DISPARAISSAIT ?

Et si, de guerre lasse, le gouvernement tournait le dos à Air Canada et la laissait, pour une fois, se dépatouiller seule avec les soubresauts de son industrie... Le transporteur aérien disparaîtrait, conviennent les spécialistes du secteur à qui nous avons posé la question. Qu'adviendrait-il alors ?

Selon Jacques Roy, professeur spécialisé en transport et logistique à HEC Montréal, pas grand-chose. «Le Canada n'a pas nécessairement besoin d'Air Canada», admet-il d'emblée.

Air Canada occupe actuellement 55 % de l'offre de sièges sur le marché des vols intérieurs (au Canada), 36 % sur celui des vols transfrontaliers (vers les États-Unis) et 37 % sur celui des vols internationaux (toutes autres destinations).

«Sa part est grande, il n'y a pas de doute. Mais dans le lot, il y a certainement des liaisons rentables. Il n'y a pas de raison qu'en cas de faillite d'Air Canada, un autre transporteur bien géré ne parvienne pas à tirer des profits de la reprise de ces liaisons.»

Une disparition «inévitable»

L'ex-analyste financier Jacques Kavafian est du même avis, convaincu qu'avec ou sans l'aide du gouvernement, Air Canada est appelée à disparaître. «C'est inévitable.»

En théorie, c'est peut-être vrai. En pratique, par contre, c'est une tout autre histoire, prévient avec force Barry Prentice, professeur spécialisé en transport aérien de l'Université du Manitoba.

«Si une faillite survenait aujourd'hui, le pays serait plongé dans un chaos économique, dit-il. Avec plus de 50 % des liaisons intérieures, Air Canada est trop important pour que l'arrêt soudain de ses activités n'ait pas de conséquences importantes.»

Ce dernier explique que les choses seraient différentes si les portes étaient ouvertes à la concurrence internationale, comme l'Australie l'a fait en permettant à certaines sociétés étrangères d'offrir des liaisons intérieures.

«Mais dans le contexte réglementaire actuel, où le gouvernement a protégé le marché intérieur, on se retrouve avec un transporteur dominant (Air Canada). [Il est] comme certaines banques, devenu trop gros pour les laisser tomber.»

À moins que la disparition de cet acteur se fasse graduellement, au cours d'une période de transition, ce qui est à peu près irréaliste. «Il est surtout là le problème : la nécessaire transition, dit le professeur. C'est comme tenter de procéder à une opération cardiaque sur un marathonien sans l'interrompre dans sa course. Comment s'y prend-on, sans rien casser ? [On comprend facilement] que les gouvernements préfèrent toujours accommoder Air Canada, plutôt que déclencher sa mort.» MARTIN JOLICOEUR

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