Jeu vidéo : les défis des studios indépendants


Édition du 23 Septembre 2017

Jeu vidéo : les défis des studios indépendants


Édition du 23 Septembre 2017

Par Denis Lalonde

Scavengers Studio, fondée par Amélie Lamarche et Simon Darveau, a décroché sept prix à l’Electronic Entertainment Expo (E3). [Photo : Alain Décarie]

À première vue, la chose semble impossible. Des studios de quelques employés doivent rivaliser avec des entreprises valant des milliards de dollars pour séduire les adeptes de jeux vidéo. Et pourtant, certains y parviennent.

C'est la réalité des studios indépendants, ou indies, dans le jargon de l'industrie. En marge de la dernière conférence Electronic Entertainment Expo (E3), qui s'est déroulée en juin à Los Angeles, un studio québécois s'est illustré au cours d'un événement tenu par Microsoft. Scavengers Studio a en effet monté sur l'estrade pour y présenter son jeu The Darwin Project, où les participants doivent survivre à des conditions hivernales extrêmes et à une chasse à l'homme. Le jeu regroupe sept joueurs et un maître de jeu. L'objectif est d'être le dernier survivant dans l'arène. Les spectateurs peuvent se contenter de regarder la partie, ou encore, avoir une influence sur son déroulement.

Le cofondateur de Scavengers Studio, Simon Darveau, explique que le jeu se déroule à une époque où la surpopulation est telle que tous les crimes sont passibles de la peine de mort. La seule façon de survivre est alors de participer à ce jeu extrême pour divertir le public. «On a voulu s'inspirer des concepts à l'origine de Hunger Games et de Running Man et les intégrer au jeu vidéo», disent M. Darveau et Amélie Lamarche, les deux cofondateurs du studio.

Le démarrage du projet a eu lieu en septembre 2016. Se retrouver à l'E3 neuf mois plus tard est un succès inespéré pour le studio, qui prévoit la sortie du jeu au printemps prochain et une mise à jour complète quelques mois plus tard.

«Tout a commencé à la conférence Penny Arcade Expo (PAX) East, qui a eu lieu à Boston en mars. Nous avons présenté l'un des jeux les plus remarqués de l'événement», raconte Simon Darveau. Un blogue sur le site de Scavengers raconte même que la sécurité a été forcée d'intervenir pour contenir la foule qui s'agglutinait autour du kiosque du studio.

Après le PAX East, Microsoft a convié les membres de la direction de Scavengers à Seattle et a décidé, après avoir essayé le jeu, de les inviter à l'E3. Par la suite, ils ont assisté à la conférence Gamescom, qui s'est déroulée à Cologne, en Allemagne, à la fin d'août.

Selon M. Darveau, la région de Montréal, avec ses nombreux studios indépendants, est un milieu tissé serré. Il se dit reconnaissant d'avoir pu bénéficier des conseils des dirigeants de Tuque Games, de Borealys, de Red Barrels et de Compulsion Games, pour ne nommer que ceux-là.

Le jeu The Darwin Project, où les participants doivent survivre à des conditions extrêmes.

Interrogé sur le plus grand défi des studios indie, M. Darveau affirme que, pour avoir un certain succès, les entreprises doivent arriver à attirer des gens d'horizons différents. «Une des choses qui tue beaucoup de studios, c'est que les dirigeants s'entourent uniquement des gens essentiels à la création du jeu. Il faut aussi penser aux finances et, le moment venu, au marketing et à la gestion de communauté», croit-il.

À son avis, les studios doivent aussi être prêts psychologiquement à vivre l'échec. Il dit d'ailleurs avoir conçu une méthode de développement souple qui lui permet de réaliser un prototypage rapide et de tester de nombreuses idées chaque semaine. «Il faut échouer. Souvent. Quand on réussit tout, c'est qu'on n'innove pas. Pour repousser ses limites, il faut essayer des choses qui n'ont jamais été faites. Parfois, c'est bon, parfois, non. Quand on se plante, on se relève et on continue», dit-il.

Ce système a permis au studio de remporter sept prix au E3, en plus d'avoir été en nomination pour deux autres.

Garder les coûts bas

Est-il possible de concevoir un jeu seul ? C'est le pari qu'a fait l'Australien Oscar Brittain, qui a créé Desert Child, un jeu de course sur terre battue dont la sortie est prévue en 2018 sur PC, iOS et Steam. L'objectif des joueurs est de remporter des courses de motocross et d'utiliser les prix en argent pour s'acheter de la nourriture et réparer leurs véhicules. «Mon modèle d'entreprise ? Garder les coûts de développement le plus bas possible et espérer que les joueurs accepteront de payer pour obtenir le jeu», dit-il candidement.

Selon lui, la clé du succès est de ne pas tomber dans le piège de vouloir des graphiques en 3D d'une qualité similaire à ce qu'on trouve dans les jeux à grand déploiement, que l'industrie appelle «jeux AAA». «Il faut par contre s'assurer que les joueurs puissent personnaliser certains éléments du jeu», note-t-il.

M. Brittain était installé au kiosque IndieCade de l'E3. IndieCade est une entreprise qui organise des festivals du jeu indépendant, tant aux États-Unis qu'en Europe.

La présidente et chef de la direction de l'organisme, Stephanie Barish, dit que les développeurs indépendants n'ont pas la prétention de rivaliser avec les grands studios. «Ils créent des oeuvres d'art ou testent de nouveaux concepts. Pour les jeux sur mobile ou PC, les studios indie peuvent très bien se tirer d'affaire», déclare-t-elle. Mme Barish ne peut pas chiffrer le marché du jeu indépendant, mais soutient que 50 % des développeurs dans le monde se qualifient d'indépendants. «C'est beaucoup», affirme-t-elle.

La dirigeante ajoute que les plateformes de jeu en ligne comme Xbox Live ou le Game Store de Nintendo bénéficient grandement des jeux indépendants, ce qui leur permet de gonfler leur catalogue de titres. «La relation entre les plateformes de jeu et les développeurs indépendants se caractérise par le mutualisme», explique-t-elle.

Un point de vue partagé par le directeur général de Nintendo Canada, Pierre-Paul Trépanier. «Chaque jeudi, nous dévoilons la liste des nouveautés dans notre boutique en ligne. Tous les développeurs indépendants sont bienvenus chez Nintendo. Avec nos kits, les studios n'ont pas besoin de faire des investissements majeurs ou de courir les risques associés à une distribution traditionnelle. Ils n'ont qu'à déposer leur produit dans notre boutique et à laisser les joueurs le découvrir», soutient-il.

Pierre-Paul Trépanier dit avoir récemment testé Ultimate Chicken Horse, du studio montréalais Clever Endeavor Games. «J'ai trouvé le jeu très amusant. Pourtant, le studio ne compte que quelques personnes», relate-t-il.

Le président et chef de la direction de Clever Endeavor Games, Richard Atlas, a confirmé que Ultimate Chicken Horse a été conçu par trois personnes. Le studio compte cinq employés à ce jour.

«Vu notre budget limité, nous visions une expérience plus petite. Ça aurait été une mauvaise idée de vouloir faire un jeu dans un monde ouvert en 3D avec une histoire très élaborée. Nous n'avions pas les ressources pour le faire», explique-t-il.

Pour Ultimate Chicken Horse, la mécanique reste la même tout au long du jeu. Les joueurs construisent les niveaux avec des éléments mis à leur disposition. «L'objectif est d'arriver à franchir un parcours trop difficile pour tes amis, mais assez facile pour toi», explique M. Atlas.

Le jeu, lancé sur la plateforme Steam en mars 2016, a déjà été téléchargé à plus de 368 000 reprises, selon les données du site SteamSpy.com. Son prix est de 15 $ US, mais, au moment d'écrire ces lignes, Steam offrait un rabais de 40 % sur le titre. «Notre jeu repose sur les interactions entre les joueurs. On peut recommencer les niveaux et les construire de manière différente chaque fois», raconte Richard Atlas, qui espère pouvoir lancer le jeu sur PS4, Xbox One et Nintendo Switch d'ici la fin de l'été ou cet automne. Le dirigeant estime que les studios indie arrivent à concevoir des jeux de qualité grâce à la polyvalence des membres de l'équipe, mais que le défi du financement est toujours présent.

«Les compétences... On apprend en temps réel, mais aussi en parlant avec des dirigeants de studios plus avancés au chapitre du développement», dit ce diplômé en génie mécanique.

Pour ce qui est du financement, les trois cofondateurs ont choisi de ne pas se verser de salaire pendant un an, alors que deux d'entre eux vivaient encore chez leurs parents.

«En avril et en mai 2015, nous avons mené une campagne de sociofinancement sur Kickstarter, ce qui nous a permis d'amasser plus de 34 000 $. Ça nous a aidés à payer quelques mois de production. Après avoir acquitté le loyer, les redevances à Kickstarter et les dépenses en matériel, nous avons pu nous offrir des salaires totalisant 9 000 $», raconte-t-il.

Puis, en décembre 2015, la société a réalisé une ronde de financement d'un montant non dévoilé auprès d'anges investisseurs, d'amis et de membres de leurs familles. Malgré cet environnement difficile d'un point de vue financier, M. Atlas affirme que le monde des indies peut attirer des travailleurs expérimentés des grands studios montréalais qui sont las de toujours effectuer les mêmes tâches.

«Dans les petits studios, on a besoin de beaucoup de polyvalence. Ça stimule l'apprentissage», dit-il.

L'impact d'Ubisoft

Le président et chef de la direction d'Ubisoft Montréal, Yannis Mallat, soutient qu'il est normal que les grands studios fassent germer la fibre entrepreneuriale chez certains employés. «Si Ubisoft a pu équiper ces gens d'expertise et de savoir-faire, c'est tant mieux», dit-il, précisant que certaines firmes sont aujourd'hui des partenaires d'affaires de l'entreprise française, qui possède des studios à Montréal, à Québec et à Toronto.

M. Mallat rappelle qu'Ubisoft participe à l'organisation d'un concours universitaire depuis quelques années. En avril, la septième édition du concours a couronné le jeu Zorya, présenté par une équipe de Polytechnique Montréal et de l'École des arts numériques, de l'animation et du design (NAD). Zorya a remporté le prix du meilleur prototype, celui de la meilleure créativité et de la meilleure intégration du thème, ainsi que celui du public. Cela a valu à ses créateurs un montant de 10 000 $ en bourses. «Les concepteurs ont pu bénéficier du mentorat de gens d'Ubisoft. C'est un concours que nous avons beaucoup de plaisir à mettre en place année après année», raconte M. Mallat.

Cette année, le concours, qui s'étalait sur une période de 10 semaines, regroupait 19 équipes composées de 149 étudiants provenant de 13 universités du Québec. Les équipes devaient livrer des prototypes jouables en 3D sur le thème «Jouer avec le temps».

N.D.L.R. Les frais de transport et d'hébergement de Denis Lalonde pour couvrir l'E3 ont été payés par l'Alliance Numérique.

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