Paradise Papers : après la boue


Édition du 25 Novembre 2017

Paradise Papers : après la boue


Édition du 25 Novembre 2017

Par Robert Dutton

[Photo : 123RF]

Encore une fois, les médias s'en sont donné à coeur joie. Après les Panama Papers, les Paradise Papers confirment ce que tout le monde sait depuis longtemps : les riches et les multinationales se servent de juridictions accommodantes pour faire de l'«optimisation fiscale». Toutefois, grâce aux révélations, on peut mettre des noms sur la stratégie : la minière Glencore, Apple et Nike, le pilote de formule 1 Lewis Hamilton, le chanteur et donneur-de-leçons Bono, même le Prince Charles et sa mère Elizabeth. Chez nous, il y a Stephen Bronfman et Couche-Tard.

Et après ? Après, rien. Comme disait un banquier : «Les manchettes durent trois jours, l'argent dure toute l'année.»

Notre société occidentale adore pointer des coupables, mais trouve que les solutions demandent beaucoup de travail. Parce que l'évasion fiscale, ce n'est pas le seul fait de gens riches et mauvais, c'est le produit d'un écosystème. Un système qui n'a pas été inventé et mis au point par un fiscaliste véreux, mais qui s'est développé au fil des ans, du progrès technologique, des besoins et des ressources du marché.

L'évasion fiscale comme fonds de commerce

Appleby est une firme d'avocats fondée aux Bermudes dans les années 1890. J'imagine qu'elle a fait du «droit ordinaire» pendant plusieurs années. Elle est devenue multinationale à compter de 1979, alors qu'elle a ouvert un bureau à Guernesey. Aujourd'hui, le site web de cette firme de 470 employés se lit comme une ode à l'évasion fiscale. Ses bureaux ? Ni à New York, ni à Londres, où se trouvent ses clients, mais aux Bermudes, aux Îles Vierges britanniques, aux Îles Caïmans, à Guernesey, à Jersey, à Hong Kong, à l'île de Man, à l'île Maurice, aux Seychelles et à Shanghai.

Sa mission ? Je traduis : «Nous conseillons les multinationales privées et publiques, les institutions financières, les individus fortunés [...] pour implanter des solutions pratiques, dans une ou plusieurs juridictions. Appleby offre l'ingéniosité et le talent dans les plus importants centres financiers offshore et se consacre à développer de nouveaux produits [...]». Ça dit peu, mais on comprend tout.

Est-ce légal ? La plupart du temps. Appleby a bien quelques dossiers délicats avec les autorités réglementaires des Bermudes, mais elle affirme se conformer aux lois partout où elle fait affaire, et refuser les clients qui sentent la corruption ou le terrorisme. C'est justement ça, son métier : trouver la meilleure «solution pratique» et légale pour payer le moins d'impôt possible. Elle magasine ces «solutions» dans la dizaine de juridictions dont elle connaît les lois et les subtilités. Qui ne ferait pas cela ?

Au fait, vous qui vous scandalisez, quand vous achetez en ligne d'un site américain, envoyez-vous la TPS et la TVQ à Revenu Québec ? Que répondez-vous au plombier qui vous donne l'option de payer 25 % moins cher si c'est en liquide et sans facture ? Je sais, je sais, ce n'est pas la même chose. Mais revenons aux coupables. Ceux qui magasinent.

Prenons un de leurs fournisseurs de solutions, l'Île de Man, dont il est beaucoup question dans les Paradise Papers. Cette dépendance britannique située dans la mer d'Irlande a commencé sa carrière de paradis fiscal au début des années 1960, quand les touristes anglais l'ont délaissée au profit de l'Espagne, devenue abordable. Le chômage grimpa et, pour stopper l'érosion démographique conséquente, le gouvernement abaissa le taux d'imposition sur le revenu à environ 20 %. Les impôts sur les sociétés suivirent, jusqu'à zéro ou presque. L'île de Man peut se le permettre, car depuis les années 1950, un arrangement avec l'État britannique sur le prélèvement et le partage de la TVA, la common purse, lui est très profitable, au point que le gouvernement mannois n'a pas besoin d'imposer les revenus pour assurer à ses 86 000 habitants des services publics bien plus qu'adéquats. Situation pourtant tolérée par le gouvernement britannique : par l'île de Man transitent des milliards de livres sterling qui se retrouvent dans la City et alimentent la plus grande place financière du monde.

L'évasion fiscale est une forme de pollution. Elle crée de la valeur dans un pays, mais en impose les conséquences négatives aux autres. Les centrales au charbon des États-Unis envoient leurs poussières et leurs pluies acides au Canada ; l'île de Man prive des dizaines de pays de recettes fiscales. Dans les deux cas, la réaction des «pollueurs» est identique. Elle tient en trois affirmations : 1) La pollution est inévitable à cause de la pression concurrentielle ; 2) Nous respectons scrupuleusement les lois et les règlements ; et 3) Si vous resserrez la réglementation, vous détruirez des milliers d'emplois et des enfants auront faim.

Les services financiers et les assurances représentent aujourd'hui 50 % du PIB et 43 % de l'emploi de l'île de Man. Empêcher l'île de Man de faire de l'optimisation fiscale, c'est comme interdire l'exploitation minière en Abitibi.

Une vraie solution commence par là. Si nous voulons étouffer les paradis fiscaux, il faut faire deux choses : d'abord discipliner les grandes places financières (et leurs gouvernements) qui en sont les vrais bénéficiaires. Ensuite, aider ces paradis à mettre en place des stratégies de développement alternatives viables.

Sinon, pas la peine de se scandaliser.

Biographie
Pendant plus de 20 ans, il a été président et chef de la direction de Rona. Sous sa gouverne, l'entreprise a connu une croissance soutenue et est devenue le plus important distributeur et détaillant de produits de quincaillerie, de rénovation et de jardinage du Canada. Après avoir accompagné un groupe d'entrepreneurs à l'École d'entrepreneurship de Beauce, Robert Dutton a décidé de se joindre à l'École des dirigeants de HEC Montréal à titre de professeur associé.

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