Entrevue n°265 : Eric Chen, fondateur, Vitargent


Édition du 31 Octobre 2015

Entrevue n°265 : Eric Chen, fondateur, Vitargent


Édition du 31 Octobre 2015

Par Diane Bérard

« La structure bâtie autour d'une innovation compte plus que l'innovation elle-même » - Eric Chen, fondateur, Vitargent. [Photo : Photo : World Economic Forum]

Eric Chen a 27 ans. Le jeune entrepreneur estime que l'enjeu majeur de son pays, la Chine, tient à la sécurité alimentaire. Vitargent propose des tests utilisant des poissons qui deviennent phosphorescents en présence de toxines. Il commercialise son innovation avec une telle rigueur que le Forum économique mondial des nouveaux champions l'a invité à en parler.

Diane Bérard - Vitargent propose une nouvelle façon de tester la toxicité des produits et des aliments. De quoi s'agit-il ?

Eric Chen - Nous utilisons de petits poissons modifiés génétiquement. Ceux-ci deviennent phosphorescents au contact de certaines substances toxiques. On extrait donc les agents chimiques des produits que l'on souhaite tester. On met ensuite les poissons en contact avec ces agents. Et on attend 24 heures. L'intensité de la fluorescence indique le niveau de toxicité du produit. Ces poissons peuvent déceler plus de 1 000 agents toxiques, du groupe des perturbateurs endocriniens, principalement présents dans les aliments et les cosmétiques. Les Nations Unies ont classé ces toxines parmi les plus nocives à la santé et à l'environnement.

D.B. - Cette innovation provient d'une université. Comment avez-vous convaincu son créateur de l'utiliser à des fins commerciales ?

E.C. - Je ne l'ai pas convaincu de me vendre son idée. J'ai employé une autre stratégie. Je lui ai demandé de participer avec moi à des concours d'entrepreneuriat. Pendant un an, en 2009, nous avons remporté de nombreux prix.

D.B. - Pourquoi avez-vous choisi ce secteur d'activité ?

E.C. - Je ne veux plus que la Chine connaisse d'autres épisodes comme celui du lait contaminé de 2007-2008. Des milliers de litres de lait contenaient de la mélamine afin de faire paraître ce lait plus riche en protéines. Vingt-deux entreprises ont été reconnues coupables.

D.B. - Vous avez commercialisé votre innovation selon un processus très organisé. La première étape consistait à participer à des concours...

E.C. - Participer à des concours remplissait plusieurs objectifs. D'abord, me permettre d'obtenir l'innovation de la part de son inventeur. Ensuite, obtenir des conseils gratuits de la part de tous les juges. Enfin, développer mon réseau de relations auprès de gens influents, comme des investisseurs. D'ailleurs, un juge est devenu un ange investisseur de Vitargent.

D.B. - Vous avez étudié en marketing ; cela explique-t-il votre capacité à générer de l'intérêt pour votre innovation ?

E.C. - Je crois que mon diplôme en génie m'a été plus utile. À la faculté de génie, on vous montre à être rigoureux et organisé. On vous apprend une approche systémique. En marketing, on ne vous enseigne pas nécessairement de méthode, on vous apprend à vendre. Mais la vente n'est qu'un maillon du processus d'innovation.

D.B. - L'atelier sur l'innovation auquel vous avez participé au Forum économique des nouveaux champions 2015 s'intitulait « L'ingéniosité ne suffit pas ». Quel était votre message ?

E.C. - L'innovation elle-même - l'idée, le produit, le service - ne compte que pour 30 % du succès financier. Le reste repose sur la structure que vous élaborez autour de votre innovation. Il faut tout prévoir. Par exemple, plus l'innovation sera perturbatrice, plus vous vous attirerez des ennemis qui tenteront de vous bloquer. Il faut trouver des alliés. Cherchez qui peut bénéficier de votre innovation et faites-en des défenseurs actifs.

D.B. - Votre innovation dérange. Qui perturbe-t-elle ?

E.C. - Les entreprises qui, pour l'instant, peuvent se contenter d'un nombre limité de tests qu'exigent les autorités réglementaires chinoises. Nos poissons, eux, peuvent tester un millier de toxines à la fois. Pour le consommateur, c'est rassurant. Pour les entreprises, c'est embêtant. Elles disent : « Je réponds à toutes les normes, pourquoi devrais-je en faire plus ? »

D.B. - Il faut éviter de présenter une innovation comme la vôtre aux cadres intermédiaires des sociétés que vous souhaitez avoir comme clients. Pourquoi ?

E.C. - Ils n'en tireront aucun avantage à court terme. Pour eux, notre innovation apporte plus de boulot. Je ne rencontre donc que les dirigeants. Je leur parle du coût de ne pas adopter notre innovation : le risque de réputation. S'il y a un scandale, ce sont les dirigeants qui écoperont, pas les cadres intermédiaires. Mais on ne vend pas une innovation que par la peur. J'évoque donc l'avantage concurrentiel que nos tests procurent à ceux qui les pratiquent. Ils peuvent vendre leur produit plus cher que ceux de leurs concurrents.

D.B. - Votre plan de commercialisation comporte un volet relations publiques plutôt créatif. Expliquez-nous.

E.C. - Pour la phase 1, nous allons nous associer à des organismes indépendants, une fondation philanthropique et une université, par exemple. La fondation financera un centre de recherche en sécurité alimentaire à l'université. Ce centre utilisera notre innovation pour élaborer des tests sur un certain nombre de cosmétiques et d'aliments. Dans un an, le centre publiera la liste de ceux qui ont passé ces tests avec succès. C'est une façon de faire parler de Vitargent de façon crédible et indépendante. Cette liste positive attirera l'attention des autres entreprises, des investisseurs et des consommateurs.

D.B. - Votre exercice de relations publiques a pour but d'inciter les entreprises à adopter votre innovation, même si la réglementation ne les y oblige pas...

E.C. - En effet, je ne peux pas forcer le gouvernement à durcir la loi. Par contre, rien ne m'empêche de contribuer à publier une liste des entreprises avant-gardistes. Celles qui surpassent les normes minimales. À mesure que cette liste circulera, il deviendra embarrassant de ne pas y figurer. Les consommateurs réclameront ces nouvelles normes. Celles-ci deviendront des standards auxquels les entreprises voudront se conformer. Les lois sont souvent à la remorque des changements de la société.

D.B. - Votre innovation est-elle vendue ?

E.C. - Oui. Depuis deux ans, nous avons des clients en Chine, en Europe, aux États-Unis, en Europe, au Japon, à Taïwan et à Hong Kong. Et nous sommes profitables. De grandes sociétés de cosmétiques et d'alimentation pratiquent nos tests.

D.B. - Comment se porte l'entrepreneuriat en Chine ?

E.C. - Chaque année, les universités chinoises produisent sept millions de diplômés. Ceux-ci se disputent trois millions d'emplois. Il faut un plan B. Tout le monde ne décrochera pas un emploi salarié dans une grande entreprise. Le gouvernement l'a compris. C'est pourquoi il joue la carte de l'innovation et de l'entrepreneuriat.

D.B. - Le gouvernement encourage l'entrepreneuriat, mais il resserre son contrôle sur l'accès Internet et les médias sociaux. Cela semble incompatible...

E.C. - Tous les gouvernements ont leurs enjeux. En Chine, la stabilité sociale est une préoccupation constante. Nous sommes trop nombreux pour viser une révolution. Il faut miser sur l'évolution.

D.B. - Qu'est-ce qui faciliterait votre vie d'entrepreneur en Chine ?

E.C. - J'aimerais avoir accès à davantage de capital intelligent. La Chine manque d'investisseurs qui ont la sagesse, la compétence et le réseau pour accompagner les entrepreneurs dans leur développement.

Suivez Diane Bérard sur Twitter @diane_berard

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