Bas-Churchill: passeport pour la guerre avec «la grosse, méchante Hydro-Québec»

Publié le 26/07/2013 à 01:52, mis à jour le 29/07/2013 à 16:37

Bas-Churchill: passeport pour la guerre avec «la grosse, méchante Hydro-Québec»

Publié le 26/07/2013 à 01:52, mis à jour le 29/07/2013 à 16:37

Terre-Neuve défie Hydro

Selon Tom Adams, Saint-John’s n’a jamais sérieusement discuté avec Hydro-Québec pour obtenir des droits hydrauliques en aval du barrage de Churchill Falls. «Le gouvernement de Terre-Neuve prétend qu’il a essayé de négocier, mais il n’est pas crédible», dit-il. Selon lui, Saint-John’s n’a jamais apporté de preuve quelconque de ces discussions.

Ni le bureau de la première ministre de Terre-Neuve, Kathy Dunderdale, ni le ministère des Ressources naturelles, ni la compagnie électrique de la province Nalcor n’a voulu répondre aux questions de LesAffaires.com.

Invitée à préciser si elle a discuté des droits hydriques du Churchill avec Nalcor ou Saint-John’s, Hydro-Québec a préféré réserver ses commentaires, «par respect pour le processus judiciaire en cours».

Après les multiples tentatives de Terre-Neuve pour faire rouvrir le contrat de Churchill Falls depuis 1969, la province maritime a rouvert les hostilités en 2012. C’est du moins ce que laisse entendre une requête qu’Hydro-Québec a déposée en Cour supérieure le 22 juillet contre le propriétaire de la grande centrale, Churchill Falls (Labrador) Corporation Limited (CF(L)Co), qu’elle détient elle-même à 34,2%. La société d’État lui reproche d’avoir refusé sa dernière commande d’électricité, formulée dans son «plan quinquennal d’approvisionnement de 2012 à 2017».

Pour Hydro-Québec, c’est une violation flagrante de son contrat de 1969 avec CF(L)Co. Elle soutient que cette entente lui permet de déterminer elle-même la quantité d’eau à turbiner et le niveau du barrage de Churchill Falls, jusqu’en 2041. Et ce, malgré une clause ambiguë incluse dans la section du contrat portant sur son renouvellement pour 25 ans, à partir de 2016.

Pourtant Nalcor, la compagnie d’électricité terre-neuvienne, doit à tout prix contrôler le débit du bas-Churchill pour honorer son entente avec Emera, son vis-à-vis néo-écossais. Elle doit lui fournir une puissance d’au moins 170 MW, toute l’année, à partir de Muskrat Falls. Pour y parvenir, son promoteur a besoin d’un débit d’eau suffisant et régulier, tout au long de l’année.

En amont, Churchill Falls est gérée depuis 1969 en fonction des besoins du Québec. «En hiver, Hydro-Québec consomme 3 à 3,5 térawattheures d’énergie en provenance de cette centrale», souligne Pierre-Olivier Pineau, spécialiste en politiques énergétiques à l’école des Hautes études commerciales de Montréal (HEC). C’est environ deux fois plus qu’en été, alors que les turbines s’arrêtent pour laisser monter l’eau des barrages en prévision de la saison froide.

«Le seul moment où Nalcor pourra atteindre sa capacité complète de 834 MW, ce sera pendant un mois et demi, au printemps, avec les grandes crues et les faibles besoins d’Hydro-Québec», selon Tom Adams. Le reste de l’année, la puissance réelle chutera jusqu’à 300 MW, dit-il.

C’est sans doute la raison pour laquelle Terre-Neuve veut reprendre le contrôle de son fleuve, même si Nalcor et Saint-John’s ne l’ont jamais expliqué, dit le spécialiste.

La société d’État terre-neuvienne a refusé de commenter le litige, qui s’est transporté devant la cour. Le 26 juillet, elle a toutefois émis un communiqué où elle dit croire qu’elle a fait «une interprétation complète et exacte des termes du contrat de 1969 et de son renouvellement en 2016» et que «CF(L)Co continuera d’honorer ses obligations contractuelles envers Hydro-Québec». Un vice-président de Nalcor a aussi déclaré à la Presse canadienne que selon lui, ce conflit n’a rien à voir avec les droits hydriques pour le Bas-Churchill.

Pour son partenaire québécois, l’enjeu est de taille. Même si elles sont situées à l’extérieur de son réseau, les installations de Churchill Falls représentent plus de 10 % de la puissance que contrôle Hydro-Québec. De l'énergie à rabais: 0,25¢ le kilowattheure, presque dix fois moins que le coût moyen de l'ensemble de son électricité!

«En vertu de notre contrat avec CF(L)Co, on a une très grande flexibilité, même sur plusieurs années, pour accumuler le l’eau derrière le barrage et conserver l’énergie pour plus tard, ajoute le porte-parole de la société d'État, Gary Sutherland. Un bloc d’énergie fixe par mois, ça voudrait dire qu’on ne pourrait plus en prendre plus ou moins pour gérer les périodes de pointe.»

Hydro-Québec considère que le vieux contrat de 1969 lui garantit ce droit. Mais pour Tom Adams et Pierre-Olivier Pineau, sa mainmise sur le Churchill risque de signer l’arrêt de mort du projet Muskrat Falls.

La première ministre terre-neuvienne, Kathy Dunderdale, le sait. Après le dépôt de la requête d’Hydro-Québec contre CF(L)Co, elle a d’ailleurs fait une sortie en règle contre la société de Montréal. «À chaque occasion, ils tentent d'interférer dans nos décisions. Je crois qu'en tentant maintenant d'arrêter la mise en valeur du Bas-Churchill, Hydro-Québec agit de façon arrogante et désespérée», a-t-elle confié à la Presse canadienne.

La première ministre de Terre-Neuve mène la charge contre la «grosse et méchante Hydro-Québec». Ce n'est pas perdu, dit Tom Adams. Si ça ne sauve pas le projet de centrale, ça lui permettra peut-être de se faire réélire.

À la une

Dette et déficit du fédéral: on respire par le nez!

19/04/2024 | François Normand

ANALYSE. Malgré des chiffres relativement élevés, le Canada affiche le meilleur bilan financier des pays du G7.

Budget fédéral 2024: «c'est peut-être un mal pour un bien»

19/04/2024 | Philippe Leblanc

EXPERT INVITÉ. Les nouvelles règles ne changent pas selon moi l'attrait des actions à long terme.

Multiplier la déduction pour gain en capital, c'est possible?

19/04/2024 | WelcomeSpaces.io

LE COURRIER DE SÉRAFIN. Quelle est l'avantage de cette stratégie?