Volkswagen : éthique de surface et copinage à haute échelle


Édition du 10 Octobre 2015

Volkswagen : éthique de surface et copinage à haute échelle


Édition du 10 Octobre 2015

Plus on en apprend sur la supercherie de Volkswagen (VW), plus on découvre des choses à propos du manque d'éthique de ses dirigeants et sur les relations incestueuses au sein de l'industrie automobile allemande.

Parce que VW a déjoué de façon délibérée les contrôles des émissions d'oxyde d'azote (NOx) de 482 000 voitures munies du petit moteur diesel EA-189 vendues aux États-Unis, le constructeur se retrouve aujourd'hui dans la situation où il devra corriger ou remplacer le système antipollution de 11 millions de véhicules vendus dans le monde entier.

L'Union européenne (UE) se doutait bien que les voitures vendues par VW et d'autres constructeurs polluaient plus lorsqu'elles étaient sur la route que lors des tests dans les laboratoires privés. Mais l'UE a plié en 2013 devant le puissant lobby allemand, appuyé par la chancelière Angela Merkel, qui avait rallié à sa cause d'autres pays européens. Les tests sont faits dans des conditions idéales et sur des voitures spécialement préparées à cette fin. Selon Bloomberg, les voitures Mercedes-Benz consommeraient en moyenne 48 % plus de carburant que les données affichées.

La tricherie de VW découle de sa décision de développer le marché des petites voitures diesel aux États-Unis, où les normes de NOx sont beaucoup plus sévères qu'en Europe. Le NOx est nocif pour les poumons et génère du smog et des pluies acides. Pour réduire les émissions, les ingénieurs de VW ont d'abord voulu recourir à la technologie AdBlue, qu'utilise Mercedes-Benz sous la marque BlueTec. Or, cette technologie aurait accru le prix des petites voitures de VW de 300 euros (440 $ CA).

Selon le journal allemand Bild, c'est pour éviter ce coût jugé élevé que VW a installé sur les modèles diesel des Golf, Jetta, Beetle, Passat et Audi A3 vendues aux États-Unis un logiciel qui désactive le système de réduction des émissions lorsque la voiture circule sur la route.

Pour économiser des millions de dollars, VW a ainsi pris une décision qui lui coûtera des dizaines de milliards de dollars et qui la met en péril. Cette fraude mine la confiance des consommateurs : elle leur a appris que VW pouvait les tromper malgré ses prétendus engagements en faveur du développement durable.

L'éthique passe après les bénéfices à court terme

L'éthique a été sacrifiée par les dirigeants de VW quand ils ont eu à choisir entre, d'une part, la conquête du marché américain et les bénéfices à court terme et, d'autre part, l'engagement de leur société en matière de développement durable. Ils ont choisi la voie illégale en pleine connaissance de cause et de façon étonnamment irresponsable. D'où l'importance de savoir à quel niveau d'autorité cette décision a été prise.

Trois facteurs principaux expliquent ce fiasco :

> le déficit de valeurs morales des dirigeants qui ont pris la décision ;

> la prédominance de l'État et des syndicats dans les affaires de VW. En plus d'être protégée par une loi qui lui est propre - qu'on a triturée pour la rendre acceptable à l'UE -, VW est gouvernée par l'État de Basse-Saxe (20 % des actions) et des représentants de syndicats et de groupes d'employés, qui occupent ensemble plus de la moitié des sièges de son conseil de surveillance, principale instance du système de gouvernance des sociétés allemandes. Leur grande priorité est l'emploi, ce qui pèse sur les coûts de main-d'oeuvre et le prix des voitures ;

> le copinage. VW et l'État s'échangent des dirigeants, comme le font aussi Mercedes-Benz et d'autres constructeurs. Ces relations amènent des concessions (comme celles de l'UE sur la «loi VW» et les normes antipollution) et des compromis sur la gouvernance, ce qui accroît les risques de dérapage, malgré l'image de grande rigueur et de rigidité des dirigeants allemands.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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