Taxe carbone : approche sensée du gouvernement Trudeau


Édition du 15 Octobre 2016

Taxe carbone : approche sensée du gouvernement Trudeau


Édition du 15 Octobre 2016

On pourrait chercher midi à quatorze heures pour évaluer la justesse de la décision-surprise du gouvernement Trudeau d'imposer un prix au carbone.

Pourtant, une telle décision devait être prise, car il n'aurait pas été possible d'obtenir rapidement un compromis avec les provinces opposées à cette stratégie. En effet, on a pu mesurer leur non-réceptivité par la décision des ministres de l'Environnement des provinces de la Saskatchewan, de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador de quitter abruptement une conférence fédérale-provinciale sur l'environnement au moment même où le premier ministre canadien annonçait sa stratégie.

Il faut voir dans cette stratégie davantage une preuve de leadership du gouvernement Trudeau qu'une trahison, comme l'a dit Brad Wall, le premier ministre de la Saskatchewan.

La stratégie fédérale de laisser aux provinces le choix entre imposer une taxe carbone ou adhérer à un marché fondé sur un prix minimum de 10 $ la tonne à compter de 2018, un tarif qui s'accroîtra de 10 $ par année jusqu'à 50 $ en 2022, est raisonnable. Les provinces qui n'adhéreront pas à l'une ou l'autre de ces options se verront imposer une taxe carbone par Ottawa, mais son produit leur sera retourné sans condition. Elles pourront utiliser cet argent pour réduire l'impôt de leurs citoyens, ce qui présente un attrait certain, ou encore pour financer des projets visant à réduire les gaz à effet de serre, comme le fait le Québec avec son Fonds vert.

L'annonce a été faite juste avant la ratification de l'Accord de Paris par le Parlement canadien et la révélation par le secrétaire général de l'ONU selon laquelle 55 pays produisant 55 % des gaz à effet de serre (GES) avaient signé cet accord historique. Ce taux représente le seuil pour déclencher l'entrée en vigueur de l'Accord, prévue le 4 novembre.

Le Québec, l'Ontario et la Colombie-Britannique ont appuyé d'emblée la stratégie fédérale. Le Québec et l'Ontario, qui ont adhéré à un marché du carbone avec la Californie, ont fixé à environ 16 $ et 30 $, respectivement, leur prix plancher d'une tonne de carbone.

L'Alberta, qui a établi le sien à 20 $ en 2017 et à 30 $ en 2018, a aussi acquiescé, mais à la condition qu'Ottawa autorise la construction d'un oléoduc pour permettre l'exportation de son pétrole. Il est raisonnable de penser qu'Ottawa approuvera le projet de Kinder Morgan de porter de 300 000 à 890 000 barils par jour la capacité du système d'oléoducs Trans Mountain, comme l'a recommandé l'Office national de l'énergie dans une décision assortie de 157 conditions. Des communautés autochtones et des municipalités prient le gouvernement de la Colombie-Britannique de rejeter ce projet de 6,8 milliards de dollars, mais ce dernier pourrait marchander son accord.

Il s'agit d'un enjeu politique important pour le gouvernement Trudeau, mais il serait inimaginable que le Canada gèle l'exploitation des réserves de pétrole du pays. Bien entendu, cela suppose une étroite collaboration entre l'industrie pétrolière et les chercheurs afin d'améliorer les technologies d'exploitation et minimiser les risques associés au transport du pétrole.

Donner un signal de prix au carbone

À l'instar des initiatives de certaines provinces et de la Californie, le fédéral envoie ainsi un signal de prix aux consommateurs d'énergie.

La taxe carbone est très simple. Celle-ci est ajoutée au prix des carburants. À 50 $ la tonne, cette taxe représentera 0,11 $ le litre. Dans le cas du marché du carbone, qui est un système de plafonnement et d'échange de droits d'émission (au Québec, ce plafond passera de 63,19 millions d'unités d'émission de GES cette année à 54,74 M en 2020), l'État fixe un plafond annuel d'unités d'émissions et établit des limites aux droits d'émission d'entreprises désignées qui sont en principe les plus polluantes. Celles-ci peuvent échanger entre elles des droits d'émission par l'intermédiaire d'une bourse. À partir d'un prix plancher fixé par l'État, les entreprises qui n'utilisent pas tous leurs droits peuvent les vendre à celles qui en ont besoin.

Idéalement, les recettes tirées de la taxe carbone ou du prix plancher d'un marché du carbone devraient servir à investir dans des innovations du secteur de l'énergie, qui pourraient faire du Canada un leader mondial.

Il faudra s'habituer à une hausse progressive des taxes sur la consommation des différentes formes d'énergie. Et on peut même penser qu'il en sera de même aussi longtemps qu'on n'aura pas commencé à infléchir la tendance liée au réchauffement de la planète.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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