SNC-Lavalin, victime du nouveau cadre d'intégrité du fédéral


Édition du 28 Février 2015

SNC-Lavalin, victime du nouveau cadre d'intégrité du fédéral


Édition du 28 Février 2015

Selon un proverbe attribué à un sage italien, «le mieux est l'ennemi du bien». Autrement dit, en voulant mieux faire, il arrive que l'on fasse pire.

SNC-Lavalin semble en être victime. En effet, en voulant montrer au monde que le Canada était intraitable face à la corruption, le gouvernement Harper a fait amender en juin 2013 la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers (LCAPE) pour interdire davantage de pratiques pouvant faciliter des transactions avec des étrangers et pour accroître la portée des accusations et les pénalités. La nouvelle politique, qui est entrée en vigueur en mars 2014, permet ainsi de radier pour 10 ans et sans possibilité d'appel tout fournisseur de biens et services ou tout entrepreneur trouvé coupable de fraude, d'évasion fiscale, de corruption ou de tentative de corruption au Canada ou à l'étranger.

Cette loi est un outil puissant si l'on en juge par les peines exigées aux sociétés coupables d'actes de corruption. Deux firmes canadiennes condamnées en vertu de cette loi, Niko Resources et Griffiths Energy, ont payé des amendes respectives de 9,5 millions de dollars et de 10,4 M$. Niko avait fourni un véhicule estimé à 190 000 $ et payé des dépenses de transport de 5 000 $ à un ministre du Bangladesh, alors que Griffiths avait payé 2 M$ de fausses factures à la famille d'un ambassadeur du Tchad. Ces règlements sont survenus en juin 2011 et en janvier 2013, avant l'entrée en vigueur des amendements à la loi.

Des accusations très importantes

Les accusations portées contre SNC-Lavalin sont non seulement beaucoup plus importantes, mais elles surviennent après le renforcement de la LCAPE, ce qui peut expliquer que la firme d'ingénierie n'ait pas pu s'entendre avec les autorités judiciaires du pays.

Autre différence, SNC-Lavalin est accusée en vertu de deux lois : d'une part, en vertu de la LCAPE, pour avoir fourni des avantages de 47,7 M$ à un ou des dirigeants libyens ; d'autre part, en vertu du Code criminel, pour s'être approprié une valeur de 129,8 M$ aux dépens du gouvernement Kadhafi. Les faits reprochés auraient eu lieu entre août 2001 et septembre 2011, soit avant le resserrement de la LCAPE.

Pour le moment, il ne s'agit que d'accusations, si bien que la firme d'ingénierie peut encore participer à des appels d'offres publics ou privés au Canada ou à l'étranger, y compris pour la construction du nouveau pont Champlain, un contrat qui sera attribué par le gouvernement fédéral. Il est toutefois évident que ces accusations entachent son image et qu'elles lui nuiront pour l'obtention de certains contrats.

D'ailleurs, on peut penser que les scandales dont on parle depuis trois ans ne sont pas étrangers à la perte de l'un ou l'autre des six contrats de gestion des 3 800 immeubles fédéraux, attribués par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada à Brookfield Johnson Controls en novembre 2014. Des options pourraient faire passer la portée, la durée et la valeur de ces contrats, évalués à 8 ans et 9,6 milliards de dollars actuellement, à 14 ans et 22,8 G$. Fait cocasse, une autre filiale du groupe Brookfield est l'objet d'une enquête de corruption au Brésil. Que fera Ottawa si celle-ci est trouvée coupable ?

Le soi-disant «cadre d'intégrité» canadien va très loin. Ainsi, les sociétés Hewlett-Packard, Siemens, BAE Systems et d'autres, qui ont été reconnues coupables de corruption à l'étranger, pourraient se voir interdire de participer à des appels d'offres du fédéral, même si aucun Canadien n'a été impliqué dans ces affaires.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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