Sièges sociaux : un goût d'inachevé


Édition du 11 Mars 2017

Sièges sociaux : un goût d'inachevé


Édition du 11 Mars 2017

Par Robert Dutton

[Depositphotos]

Il y a un peu moins d'un an, j'ai écrit dans cette chronique que le Québec devait avoir une politique cohérente quant au vaste sujet des «sièges sociaux». Cette politique cohérente, écrivais-je, devait remplacer les «psychodrames» qui nous sont coutumiers quand le contrôle d'un de nos fleurons est en jeu.

Le 21 février dernier, le gouvernement du Québec publiait un plan pour que l'économie québécoise soit davantage une économie de dirigeants - un énoncé de politique selon lequel on ne devrait pas s'intéresser seulement à la «protection» des sièges sociaux existants, mais aussi au développement d'une économie où s'enracineraient des entreprises grandes ou en voie de le devenir.

Même les Britanniques et les Néerlandais...

Cette préoccupation est légitime. Il faut d'ailleurs se garder de croire qu'elle est l'apanage de Québécois coupables d'un attachement désordonné à quelques symboles de réussite. J'en veux pour exemple l'émoi qu'a causé la récente tentative du géant américain Kraft Heinz, contrôlé par Warren Buffett et Jorge Paulo Lemann, de faire l'acquisition de la britannico-néerlandaise Unilever, notamment pour profiter d'une livre sterling au rabais.

Non seulement Unilever a catégoriquement rejeté l'offre de Kraft Heinz à peine une heure après sa divulgation, le 17 février dernier, mais la journée même, la première ministre britannique Theresa May et le premier ministre néerlandais Mark Rutte s'interrogeaient publiquement sur l'opportunité d'une telle transaction pour les économies de leur pays respectif. Alors que M. Rutte entendait évaluer «le positif et le négatif» de l'offre pour les Pays-Bas, Mme May se disait préoccupée par ce qu'il adviendrait du siège social britannique de la compagnie binationale, de son inscription à la Bourse de Londres, des emplois dans ses usines britanniques, de ses activités de recherche et développement... Rien de dépaysant pour un observateur québécois.

Quoi qu'il en soit, Kraft Heinz a annoncé le retrait de son offre 48 heures après sa publication.

Un goût d'inachevé

Reconnaissant la légitimité de cette préoccupation, le rapport gouvernemental nous laisse sur notre faim quant aux moyens à déployer. En fait, le gouvernement refile l'essentiel de la patate chaude à un «groupe d'initiative financière». Ce groupe, formé de représentants des milieux financiers publics et privés du Québec (on pense à la CDPQ, à Investissement Québec, aux Fonds d'investissement fiscalisés, au mouvement Desjardins ou à la Banque Nationale), aurait pour premier mandat de «faire circuler [...] les constats et les analyses pouvant avoir un impact sur la localisation des sièges sociaux [...]». Ainsi, le groupe de travail Séguin sur les sièges sociaux (2014) aura débouché sur un énoncé de politique qui recommande à son tour la création d'un ... groupe d'initiative qui devra faire une analyse. On n'a pas vraiment l'impression d'avoir avancé depuis le rapport Séguin.

L'impact réel de ce groupe d'initiative, si jamais il a un impact, dépendra essentiellement des «règles d'engagement» qu'il choisira de se donner : quel genre de situation justifiera quel genre d'intervention en amont d'une offre éventuelle ? Quel genre d'écosystème voudra-t-on privilégier pour maximiser l'effet d'entraînement des sièges sociaux ? Je note au passage que, parmi les institutions appelées à former ce groupe d'initiative, on trouve celles qui ont eu en main, collectivement, suffisamment d'actions pour bloquer la vente de RONA à Lowe's en 2016, mais qui ont choisi de n'en rien faire. Quoi qu'il en soit, le groupe devra se donner des règles d'engagement claires et les faire connaître du marché, à défaut de quoi une OPA sur un autre fleuron québécois tournera encore une fois au psychodrame.

Dans la réalité, la création de ce groupe d'initiative permettra au gouvernement, lorsque le psychodrame se déploiera devant nos yeux, de se cacher derrière «l'indépendance» de ce groupe aux objectifs multiples et pas toujours compatibles. Comme chaque gouvernement, le moment venu, se cache derrière la proverbiale indépendance de la Caisse de dépôt.

Relire le rapport Séguin

Il est dommage que l'énoncé de politique du gouvernement ait traité le rapport Séguin comme un menu à la carte. Il a certes retenu les mesures fiscales favorisant les dirigeants, soit celles qui ont trait à l'imposition des gains de capital au moment de la transmission d'une entreprise privée et à l'imposition des options d'achat d'actions pour les dirigeants des sociétés cotées en Bourse. Ce choix a contribué à donner à l'énoncé de politique du gouvernement l'apparence d'un «cadeau» aux riches, cadeau qui risque d'être inefficace, particulièrement en l'absence des autres mesures proposées par le rapport Séguin.

De fait, l'énoncé du gouvernement a écarté toutes les suggestions du rapport qui auraient requis des amendements à la Loi sur les sociétés par actions. Ces modifications auraient donné plus de poids aux actionnaires de longue date ; elles auraient également permis aux sociétés de droit québécois d'inclure dans leurs statuts des dispositions les aidant à se défendre plus efficacement en cas d'OPA non sollicitées.

Un retour en arrière vers le rapport Séguin serait un grand pas en avant.

Biographie

Pendant plus de 20 ans, il a été président et chef de la direction de Rona. Sous sa gouverne, l'entreprise a connu une croissance soutenue et est devenue le plus important distributeur et détaillant de produits de quincaillerie, de rénovation et de jardinage du Canada. Après avoir accompagné un groupe d'entrepreneurs à

l'École d'entrepreneurship de Beauce, Robert Dutton a décidé de se joindre à l'École des dirigeants de HEC Montréal à titre de professeur associé.

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