Ristournes aux pharmaciens : de nombreux effets pervers


Édition du 07 Mai 2016

Ristournes aux pharmaciens : de nombreux effets pervers


Édition du 07 Mai 2016

[Photo : iStock]

Les 2 000 pharmaciens propriétaires du Québec sont en colère à la suite du non-respect par le gouvernement de l'entente sur les ristournes que leur versent les fabricants de médicaments génériques. Cela a ramené dans l'actualité la problématique d'un tel mode de rémunération.

C'est un dossier complexe aux multiples enjeux. Commençons par un rappel historique.

Avant 2007, les pharmaciens recevaient des fabricants et des distributeurs de médicaments des avantages et des rabais qui pouvaient atteindre plus de 50 % de leurs achats. Cette pratique plaçait les pharmaciens en conflit d'intérêts, puisque ces ristournes pouvaient les inciter à favoriser la vente de médicaments plus payants que d'autres.

La politique du médicament de 2007 avait plafonné le prix des versions génériques à 60 % (25 % actuellement) du prix de la version d'origine. De plus, elle avait établi un plafond de 20 % (ramené à 15 % en avril 2012) pour les «allocations professionnelles» (on ne parle plus de ristournes) versées aux pharmaciens. Cette dernière mesure a atténué le risque déontologique des pharmaciens et mis sur un pied d'égalité tous les fournisseurs de médicaments génériques.

Mais voilà que le gouvernement de Philippe Couillard décide en 2015 de réduire ses dépenses de santé et de chercher des économies du côté des honoraires payés aux pharmaciens. Parallèlement, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, doit négocier la rémunération des pharmaciens propriétaires pour les nouveaux actes professionnels qu'a autorisés la loi 41, adoptée en décembre 2011.

Pour payer ces actes et faire économiser 400 millions de dollars en trois ans au système de santé, le ministre et l'Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) s'entendent sur un dégel complet du plafond des allocations professionnelles versées aux pharmaciens. Signée le 29 juin 2015, cette entente permet à Québec de réduire ses honoraires payés aux pharmaciens. De petits pharmaciens sont alors fragilisés et suppriment des postes de travail (le total atteindrait un millier). L'entente mécontente les fabricants québécois de médicaments génériques. Québec décide alors de moduler ce déplafonnement de la façon suivante, à compter du 28 avril 2016 : les ristournes seront plafonnées à 25 % du montant des achats pour six mois, à 30 % pour trois autres mois et seront déplafonnées pour les 27 mois suivants. D'où l'accusation de l'AQPP voulant que Québec ait renié l'entente du 29 juin 2015 qui les déplafonnait totalement d'un coup.

Nombreuses conséquences

L'entente convenue entre le ministre Barrette et l'AQPP comporte des effets pervers majeurs.

Tout d'abord, comment peut-on accepter sur le plan de l'éthique que des pharmaciens se fassent rémunérer par des fournisseurs de médicaments pour des services professionnels ? Jamais on n'accepterait pareil mode de rémunération pour les médecins. Tout en dénonçant le principe des ristournes, l'Ordre des pharmaciens a accepté l'entente convenue, mais à la condition que leur mode de rémunération soit revu au cours des trois années de l'entente. On ne peut présumer du résultat de cette négociation, mais il faut être optimiste pour penser que le gouvernement acceptera de payer éventuellement aux pharmaciens des centaines de millions de dollars d'honoraires pour remplacer les ristournes actuelles.

En 2013, les ristournes autorisées de 15 % ont rapporté aux pharmaciens 152 M$ (soit 10 M$ par point de pourcentage). À 30 %, elles ajouteraient 150 M$ à leur rémunération.

Autres effets pervers, la hausse des ristournes se traduira par des hausses de prix des médicaments par les fabricants et les grossistes. De plus, il est prévisible que ceux-ci soient incités à privilégier les produits pour lesquels la demande est élevée, et le profit, attrayant. Résultat : des risques de rupture de stock pour les produits moins vendus et peu rentables.

Autre conséquence : en raison de leurs économies d'échelle, les grands fabricants et les grossistes d'envergure pourront plus facilement placer leurs produits sur les tablettes des pharmaciens. Résultat : un accès plus difficile pour les petits fournisseurs. Le Québec compte 42 fabricants de médicaments génériques qui emploient plus de 5 000 personnes. Ils pourraient perdre des parts de marché face aux multinationales de cette industrie.

Le plus important fabricant de la province, Pharmascience, une société à capital québécois, a un effectif de 1 400 employés à Montréal. Elle est la société pharmaceutique qui investit le plus en R-D dans les sciences de la vie au Québec. Pharmascience venait d'annoncer un projet d'investissement de 55 M$ quand elle a été informée de l'entente Barrette-AQPP. On peut maintenant se demander si ce projet se réalisera.

Le déplafonnement des ristournes versées aux pharmaciens est malsain sur le plan de l'éthique et nuisible aux fabricants de médicaments génériques. Voilà un bon exemple d'une décision mal avisée d'un État au bénéfice d'un groupe d'intérêts, mais incompatible avec le bien commun.

J'aime

Malgré de nombreux détracteurs, la Caisse d'économie solidaire Desjardins poursuit allègrement sa mission de financement de coopératives et de sociétés de l'économie sociale. Créée il y a 45 ans, elle affiche un actif de 770 millions de dollars, dont 500 M$ en prêts à 3 150 coopératives et associations.

Je n'aime pas

Alors que Bombardier a besoin d'une aide financière du gouvernement fédéral pour rassurer les transporteurs aériens qui pourraient acheter des avions CSeries, il est invraisemblable qu'Ottawa cherche à profiter de l'occasion pour faire modifier la structure du capital de la société contrôlée par les familles Bombardier et Beaudoin. Le gouvernement Trudeau épouserait-il l'opposition idéologique de l'establishment financier de Toronto aux actions à droits de vote multiples, lesquelles protègent Bombardier contre sa vente à des intérêts étrangers ?

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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