Réforme fiscale de Trump: nocive, idéologique et immorale


Édition du 13 Janvier 2018

Réforme fiscale de Trump: nocive, idéologique et immorale


Édition du 13 Janvier 2018

[Photo : 123RF]

Donald Trump avait promis une très grande réforme fiscale. Il avait aussi promis qu'elle n'avantagerait pas les riches et qu'il en serait un très grand perdant. Tout cela est faux.

Il aurait été inimaginable qu'il en soit autrement puisque Trump voit l'État comme sa chose et qu'il partage l'idéologie des leaders républicains. Trump s'est entouré de milliardaires, alors que plusieurs républicains sont financés par de puissants lobbies industriels et financiers. On sait aussi que le leader républicain de la Chambre des représentants, Paul Ryan, est un adepte de la philosophie d'Ayn Rand, qui prône un capitalisme individualiste, le libertarianisme, l'égoïsme et le «laissez-faire» par rapport à toute contrainte de l'État. Le mouvement Tea Party, que financent les frères milliardaires Koch, et qui réunit de plus en plus de législateurs républicains, s'appuie sur cette idéologie destructrice de la société américaine.

Inégalitaire et antagoniste

Cette réforme fiscale réduit les taux d'impôt fédéral de tous les particuliers, mais élimine les exemptions personnelles et plafonne à 10 000 $ la déduction de l'impôt fédéral des taxes payées aux États et aux municipalités (tous les dollars de ce texte sont en dollars américains). En revanche, la déduction de base est presque doublée à 12 000 $ pour une personne seule et à 24 000 $ pour un couple. Globalement, les réductions sont plus généreuses pour les contribuables à haut revenu que pour ceux qui gagnent peu. De plus, le fait que le taux marginal le plus élevé passe de 39,6 % à 37 % profitera surtout aux plus riches. Autre avantage, la déduction de l'impôt sur les successions est haussée à 22 M$ d'actifs transférés par un couple (11 M$ pour une personne seule).

De plus, les propriétaires de sociétés qui bénéficient d'un pass-through (comme ils ne paient pas d'impôt, leurs profits sont imposés entre les mains de leurs actionnaires ; on les trouve surtout dans le secteur immobilier), le président Trump en contrôlerait environ 500, et une quinzaine de sénateurs en possèdent aussi. Cet avantage a été accordé pour sécuriser le vote de certains sénateurs. Fait significatif, c'est le secteur immobilier qui, parmi toutes les industries, bénéficiera de la plus importante baisse de son fardeau fiscal.

Autre privilège, le carried interest, que Trump avait juré d'éliminer, a été maintenu in extremis. Cet échappatoire permet de traiter comme gains en capital les revenus personnels tirés d'un partenariat dans des fonds d'investissement privés comme Blackstone, KKR, etc.

En avantageant les plus fortunés, la réforme accentuera les inégalités, qui ne cessent de croître au sein de la société américaine. Autre facteur d'appauvrissement des moins nantis, l'abolition de la pénalité imposée aux personnes qui refusent d'adhérer à une assurance santé aura pour effet de sortir jusqu'à 13 millions d'assurés du programme, d'accroître les primes d'assurance de ceux qui y resteront et de décourager l'adhésion à ce système. C'est une façon d'affaiblir l'Obamacare que Trump et les républicains ont juré de détruire. Ils y arriveront peut-être.

Autre facteur important de division parmi les citoyens, alors que les baisses d'impôt des sociétés, dont le taux général passera de 35 % à 21 %, sont permanentes, les mesures touchant les particuliers prendront fin en 2025, huit ans après l'élection de Trump. Il appartiendra à un autre président de récupérer ce cadeau empoisonné.

Cet ensemble de mesures explique pourquoi 53 % des Américains désapprouvent cette réforme, alors que 35 % l'approuvent. Plus de 60 % d'entre eux croient qu'elle avantagera les grandes sociétés, les riches, Wall Street et les grands donateurs aux partis, et plus de 40 % pensent qu'elle pénalisera les pauvres, la classe moyenne et les PME. Ils ont raison.

Incohérence économique

Le retour en 2025 aux taux d'imposition des particuliers d'avant la réforme s'explique par les limites au déficit que le Sénat doit respecter. C'est une admission que l'important manque à gagner créé par la réforme fiscale ne sera pas comblé par la croissance de l'économie et de l'emploi qu'elle doit générer selon les messages envoyés aux électeurs par Trump et les bonzes républicains du Congrès.

Les manques à gagner pour l'État qui résultent des baisses de l'impôt des sociétés et des particuliers s'élèveraient respectivement à 1 350 G$ et à 1 200 G$. Même si cette réforme stimulera l'investissement des sociétés, accroîtra leur productivité et créera des emplois et de la richesse, il s'ensuivra néanmoins une hausse du déficit du gouvernement fédéral de 1 460 G$ en dix ans. C'est énorme et même dangereux, sinon irresponsable puisque la dette publique du gouvernement dépasse déjà 100 % du PIB américain.

Jumelée au protectionnisme agressif du président, cette réforme aura un impact majeur sur notre économie. Il importe que nos ministres des Finances intègrent cette nouvelle compétitivité américaine dans les analyses préparatoires aux budgets qu'ils nous présenteront bientôt. la

Il importe que nos ministres des Finances intègrent la nouvelle compétitivité américaine dans les analyses préparatoires aux budgets qu'ils nous présenteront bientôt.

J’aime
Le ­Devoir vient de recueillir 2,2 millions de dollars de financement, qui lui permettront de poursuivre sa transformation numérique tout en conservant sa version imprimée, un modèle d’affaires poursuivi également par de grands quotidiens nord-américains. Cet apport de capital provient du ­Fonds ­FTQ, de ­Fondaction, de ­Desjardins, des familles ­Lamarre, ­Sirois et ­Véronneau et du syndicat de la rédaction du journal.

Je n’aime pas
Le président du syndicat des policiers de ­Montréal, ­Yves ­Francoeur, se croit tout permis et se pense intouchable. Il a fait se déguiser en clowns des policiers, qui représentent la loi et l’ordre public. Il a porté de graves allégations de corruption contre le ministère de la ­Justice et des personnalités publiques, qu’une enquête approfondie et coûteuse a déclaré sans fondement. Il mine impunément la confiance du public. C’est indigne et irresponsable.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

Blogues similaires

Apprendre à tourner la page

Édition du 20 Janvier 2021 | Olivier Schmouker

CHRONIQUE. J’ ai une grande nouvelle que j’ai annoncée déjà il y a quelques jours sur notre site web.