Québec, la plus corrompue ? Pas sûr. La plus transparente. Oui.


Édition du 16 Avril 2016

Québec, la plus corrompue ? Pas sûr. La plus transparente. Oui.


Édition du 16 Avril 2016

Le gouvernement de René Lévesque a été courageux en faisant adopter en 1977 la loi interdisant les contributions des sociétés et des syndicats aux partis politiques, et limitant à 3 000 $ celles des individus (ce plafond a été abaissé à 1 000 $ en 2011, puis à 100 $ en 2013).

Son effet pervers a toutefois été d'amener des entreprises liées à l'industrie de la construction à dépasser ces plafonds, en faisant des contributions en argent et en utilisant des prête-noms. Cette loi n'explique évidemment pas les situations de corruption d'élus et de fonctionnaires municipaux ni les malversations dans l'attribution des contrats.

Pour mettre fin à ce dérapage, le gouvernement Charest a pris deux initiatives audacieuses qu'aucune autre province n'a encore osé imiter : lancer une commission d'enquête et créer l'Unité permanente anticorruption (UPAC).

Les révélations faites à cette commission firent mal paraître le Québec. Le 24 septembre 2010, la revue Macleans a affublé sa page couverture du titre «Quebec the most corrupt province». Trois ans plus tard, l'avocat torontois Warren Kinsella a senti le besoin de mettre les points sur i. Dans un texte intitulé «Quebec, the most corrupt ? Maybe not» et publié en juin 2013 par l'agence QMI, Kinsella présente une série de scandales survenus en Ontario, en Saskatchewan, en Colombie-Britannique, en Alberta, de même qu'au Manitoba et dans les provinces de l'Atlantique. Sa conclusion : «Avant de lancer des pierres [au Québec], regardez autour de vous».

Le 31 mars dernier, Tasha Kheiriddin du National Post signait un éditorial intitulé «Is Quebec no longer the most corrupt province in Canada?» (Québec ne serait-elle plus la province la plus corrompue ?). L'éditorialiste réagissait à des reportages sur des activités de financement du Parti libéral de l'Ontario. Quelques jours plus tôt, le parti de Kathleen Wynne avait tenu une activité, pour laquelle on avait vendu des tables à 16 000 $ et à 18 000 $ (donnant droit à une réception avec la première ministre). Résultat : 1 500 participants et une récolte de 3 millions de dollars. Le 7 décembre 2015, 22 banquiers ont payé 7 500 $ (total : 165 000 $) pour participer à une activité au profit des associations politiques des ministres des Finances et de l'Énergie, qui préparaient une émission d'actions d'Hydro One. Cette émission a rapporté 29,3 M$ au syndicat bancaire.

Jusqu'à 100 000 $ en Ontario

On a révélé qu'une société, un syndicat et une personne pouvaient contribuer jusqu'à 9 875 $ à un parti politique ontarien, que cette somme pouvait être doublée les années d'élections, que l'on pouvait ajouter 6 650 $ aux associations de circonscription et encore d'autres montants. Dans une année d'élection, une société pourrait ainsi contribuer jusqu'à environ 100 000 $. On a aussi appris que certains ministres ontariens devaient recueillir 500 000 $ par année pour leur parti. Un ancien ministre des Finances se serait fait demander d'amasser 1 M$. On est loin des 100 000 $ (150 000 $ pour certains) demandés jadis aux ministres libéraux du Québec.

En Colombie-Britannique, il n'y a pas de limite aux contributions, qui doivent être déclarées. Christy Clark, première ministre libérale, demande jusqu'à 20 000 $ par couvert pour participer à une activité de financement avec repas. Elle n'y voit aucun problème. Son parti a recueilli 10 M$ en 2015, dont 5,3 M$ venant de sociétés.

Maintenant que les médias torontois font leurs choux gras de ce déversoir, Kathleen Wynne promet un projet de réforme qui interdirait les contributions des sociétés et des syndicats, et qui limiterait celles des individus (le Globe and Mail a suggéré un plafond de 100 $). D'autres provinces et le fédéral ont aussi interdit les contributions des sociétés et des syndicats. Le fédéral et l'Alberta limitent à 1 525 $ la contribution d'un individu.

Le Québec est-elle la province la plus corrompue ? Peut-être pas. Témoignant devant la commission Charbonneau, Mike Amato, un enquêteur ontarien, avait déclaré que la mafia ontarienne, qui est affiliée à la puissante organisation calabraise Ndrangheta, avait infiltré tous les secteurs de l'économie légitime et tous les aspects de la vie publique. «Ils sont comptables, banquiers, etc. Ils sont partout. Ils opèrent au grand jour, parmi nous.»

Au Québec, plutôt que de nous flageller, nous devrions plutôt nous réjouir de l'action du gouvernement Charest et faire attention aux condamnations par association. Sam Hamad a certes été imprudent d'entretenir des relations avec Marc-Yvan Côté, que le Parti libéral du Canada avait répudié. Cependant, on n'a aucune information voulant qu'il ait bénéficié d'avantages de Premier Tech, au profit de laquelle M. Côté, qui n'était pas enregistré au registre des lobbyistes (il aurait dû l'être), cherchait à faire bonifier une subvention, ce qui est sans doute courant. Or, rien ne dit qu'il ait réussi.

Naturellement, cet épisode a été exploité à fond par les partis d'opposition et les médias, au grand plaisir des citoyens qui réclament des châtiments. Mais le moment n'est-il pas venu de faire preuve d'un peu plus de retenue ?

J'aime

Après des années de tergiversations, le gouvernement du Québec a déposé un projet de loi pour accroître le pouvoir d'enquête de la Régie de l'assurance maladie du Québec sur les réclamations des professionnels de la santé. C'est un pas dans la bonne direction. Mais avant de se réjouir, il faudra attendre la réglementation qui précisera la portée de cette loi et constater le nombre de postes de travail qui seront créés pour effectuer le travail attendu.

Je n'aime pas

Le 4 avril dernier, à l'Université McGill, de grossiers manifestants ont empêché l'ancien premier ministre Jean Charest de donner une conférence sur les politiques publiques. Les agents de sécurité et les policiers présents sur les lieux n'ont rien fait pour empêcher ces activistes de priver M. Charest de son droit de parole. Une université manque à sa mission de protéger la liberté d'expression quand elle tolère une telle incivilité.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

Blogues similaires

Apprendre à tourner la page

Édition du 20 Janvier 2021 | Olivier Schmouker

CHRONIQUE. J’ ai une grande nouvelle que j’ai annoncée déjà il y a quelques jours sur notre site web.