Négociations dans les villes : le projet de loi 110 doit être bonifié

Offert par Les Affaires


Édition du 27 Août 2016

Négociations dans les villes : le projet de loi 110 doit être bonifié

Offert par Les Affaires


Édition du 27 Août 2016

[Photo : 123RF/rangizzz]

Pas besoin d'avoir fait un doctorat pour comprendre que le rapport de force dans les négociations des conditions de travail des employés municipaux doit être changé.

Les employés des villes qui comptent 200 salariés et plus bénéficient depuis plusieurs années d'une rémunération globale supérieure à celle des autres salariés québécois. Ce constat est issu de l'étude annuelle de l'Institut de la statistique du Québec sur les comparaisons des salaires et des avantages sociaux de l'ensemble des salariés québécois. Cette étude, qui s'effectue depuis plusieurs décennies et qui a été instaurée sous un gouvernement péquiste, est très élaborée et très crédible, contrairement aux prétentions des porte-paroles syndicaux.

Prenons les données de 2015, qui sont comparables à celles des années précédentes, ce qui signifie que les écarts demeurent stables. Ainsi, les salariés des villes de l'étude avaient, l'an dernier, une rémunération globale horaire moyenne (salaires, avantages sociaux, congés, vacances, etc.) de 40,5 % supérieure à celle des salariés du secteur privé, de 39,5 % à celle des employés du secteur public et de 31,6 % à celle de l'ensemble des salariés québécois. Quand on considère que c'est l'ensemble des Québécois qui paient les salaires des employés de ces villes, par l'intermédiaire des taxes foncières, force est de reconnaître que cette situation est profondément inéquitable.

On en est là en raison du rapport de force démesuré entre les puissants syndicats qui représentent les salariés et les élus municipaux. Voici les raisons de ce déséquilibre :

> à l'exception des policiers et des pompiers, les employés municipaux ont le droit de grève. À l'inverse, les villes n'ont pas le droit de lock-out ;

> les syndicats qui représentent les salariés des grandes villes, et ceux de la Ville de Montréal en particulier, ont eu recours à plusieurs reprises à des moyens de pression illégaux, souvent impunis (bris d'équipement, intimidation, etc.), afin d'appuyer leurs revendications ;

> les salariés sont des électeurs, ce qui a amené des administrations municipales à acheter la paix (cela s'est vu à Montréal) ;

> plusieurs conventions collectives ont été imposées par des arbitres qui fondaient leur jugement sur des ententes survenues dans des villes comparables, où un syndicat avait obtenu un gain, créant ainsi un effet pervers dans le système de règlement des conventions collectives. Cela a été particulièrement le cas à la suite des nombreuses fusions municipales survenues au tournant des années 2000.

Maintien de l'arbitrage

Après des années de pression du monde du municipal et grâce au poids politique des maires de Montréal et de Québec, Denis Coderre et Régis Labeaume, le gouvernement du Québec a finalement décidé de présenter un projet de loi modifiant le régime de négociation des conventions collectives dans les municipalités.

Ce projet de loi présente certaines améliorations, mais il est dérisoire sur un point en particulier, soit le maintien de l'arbitrage.

Les améliorations portent sur les mécanismes qui sont institués pour régler les différends avec les policiers et les pompiers. Si une négociation conduit à une impasse, l'employeur pourra demander au ministre d'imposer une médiation. Si le médiateur nommé n'obtient pas une entente dans 90 jours, le ministre nommera un «Conseil de règlement des différends» de trois experts reconnus, qui devra tenir compte de critères définis, dont la capacité de payer de la municipalité et sa situation financière, et qui pourra imposer un règlement d'une durée de cinq ans. Malheureusement, on conserve le critère de comparaison des conditions de travail dans d'autres municipalités.

Par contre, le projet est très décevant en ce sens qu'il maintient la possibilité de l'arbitrage pour les différends concernant les autres salariés des municipalités. Dans leur cas, si les parties n'en arrivent pas à une entente au terme d'une médiation de 90 jours, celles-ci pourront décider conjointement de recourir à l'arbitrage, mais l'arbitre devra, désormais, tenir compte de la capacité de payer de la municipalité et de sa situation financière. Si les parties renoncent à l'arbitrage, l'une d'elles pourra demander qu'un «mandataire spécial» soit nommé si des «circonstances exceptionnelles» (non définies dans le projet de loi) le justifient. Le rapport du mandataire sera remis aux parties et au ministre, mais il ne sera pas rendu public, ce qui semble étonnant. Il n'imposera pas un règlement aux parties. Le ministre ne sera pas lié par ses observations et ses propositions. En effet, contrairement à ce qui a déjà été mentionné dans certains médias, ce projet de loi ne vise qu'à permettre au ministre des Affaires municipales et de l'Occupation du territoire à imposer un règlement en cas d'impasse.

Les syndicats gardent l'essentiel de leur pouvoir, même si, comme d'habitude, ils ont crié au loup. Les maires Denis Coderre et Régis Labeaume ont raison d'exiger le retrait de l'arbitrage. Ces derniers sont restés polis, sans doute pour ne pas brûler leurs cartouches relatives à d'autres enjeux, dont le désir d'obtenir une plus grande autonomie des villes.

Néanmoins, ce projet de loi semble inachevé et inepte compte tenu de la réforme espérée.

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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