Lettre ouverte : être le premier ministre de tous les Québécois


Édition du 10 Novembre 2018

Lettre ouverte : être le premier ministre de tous les Québécois


Édition du 10 Novembre 2018

Monsieur le premier ministre,

Félicitations pour la victoire de votre parti. En réalité, c'est surtout la vôtre, en votre position de chef, et celle de l'équipe que vous avez réunie, par sa qualité.

Comme vos prédécesseurs, vous nous avez promis d'«être le premier ministre de tous les Québécois». Vous nous avez dit également que vous allez respecter vos engagements.

Ces deux déclarations paraissent incompatibles. Le programme de votre parti n'a été accepté que par une minorité des électeurs inscrits ; il n'a reçu l'appui que de 24 % d'entre eux. Or, quand on enlève les électeurs qui ont voté pour le changement et pour la qualité de l'équipe, il se pourrait bien que votre programme n'ait séduit qu'environ 20 % de l'électorat inscrit.

Le système électoral vous a donné le pouvoir de former le gouvernement, mais il faut bien admettre que le vôtre ne dispose pas d'une très grande légitimité quant à la réalisation du programme électoral de votre parti.

Bien sûr, les médias et une bonne partie des électeurs vont porter un jugement sur la proportion des engagements que vous aurez réalisés. C'est une évaluation qu'il faut prendre avec réserve. Le gouvernement Couillard a réalisé une grande partie de ses promesses, mais il a quand même été rejeté par l'électorat.

Il vous est donc permis de revoir quelques-uns de vos engagements, d'autant plus que certaines de vos promesses ont été électoralistes. Autrement dit, vous aurez plus de chance d'être le premier ministre de tous les Québécois en diluant certains engagements et en ramenant à l'ordre du jour de votre programme certains enjeux qui ont été négligés.

Révisions souhaitées

Voici donc, en toute humilité, certains aspects de votre plateforme électorale qui mériteraient d'être revus.

Puisque vous vous êtes engagé à être «un premier ministre économique», il serait pertinent de revoir votre engagement sur la question de l'immigration. Vous avez avancé un objectif de 40 000 immigrants par année, au lieu des 50 000 du Parti libéral, et vous avez promis de mieux les intégrer et de tous les retenir au Québec. C'est irréaliste. Oui, il faut mieux les intégrer, mais il est certain que si vous voulez en avoir 40 000 à la fin du processus d'intégration, il serait prudent d'en sélectionner davantage.

Comme «premier ministre économique», vous ne pouvez pas faire la sourde oreille au manque de main-d'oeuvre qui menace la croissance de 47 % des entreprises québécoises selon un sondage de la Fédération canadienne des entreprises indépendantes. On estime à 1,5 million le nombre de postes à pourvoir au cours de la prochaine décennie. L'immigration est une solution clé à cet enjeu, sans oublier le renforcement de la compétitivité de nos entreprises par des aides à l'automatisation et à la formation.

Autre dossier prioritaire de votre gouvernement, les baisses d'impôt personnel que vous avez promises ne doivent pas être faites aux dépens de l'équilibre des finances publiques, dont le redressement a été acquis au prix de lourds sacrifices, ni de la qualité et de l'accessibilité aux services...

> en éducation, pour laquelle vos engagements sont très ambitieux et parmi lesquels une priorisation s'impose ;

> en santé, où vous avez promis un meilleur accès aux soins ;

> aux proches aidants et aux personnes âgées à cause du vieillissement rapide de la population ;

> à la communauté montréalaise, qui est sous-représentée au sein de votre gouvernement ;

> en transport collectif, qui doit primer sur l'automobile.

Par ailleurs, même si la lutte aux changements climatiques n'est pas apparue comme une priorité de votre plateforme électorale, vous devez réaliser que la transition écologique fait partie des grands enjeux planétaires. Le vote des jeunes indique qu'un redressement s'impose.

Autre sujet important, vous pourriez nous éviter un débat de société très houleux et très polarisant en renonçant à inclure les enseignants dans le groupe de personnes à qui vous voulez interdire le port des signes religieux ostentatoires. Vous devriez vous en tenir aux personnes disposant d'un pouvoir contraignant comme l'a proposé la Commission Bouchard-Taylor.

Être le premier ministre de tous les Québécois, c'est aussi se préoccuper des besoins des minorités, des jeunes qui éprouvent des difficultés d'apprentissage et des négligés des services de santé et du filet de sécurité sociale. Cette empathie fait partie de nos valeurs, qu'il faut protéger afin de nous protéger du populisme et des obsessions identitaires que de plus en plus de politiciens exploitent à des fins électoralistes.

Bon succès !

 

 

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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