Qu'un oncologue cherche à guérir ses patients du cancer n'a rien d'étonnant, au contraire. Mais l'un d'eux, cherchant à prévenir cette terrible maladie, s'est alors rendu compte que le problème n'était pas dans les gènes de ses patients, mais dans ceux de la société moderne. Après avoir consulté un large éventail de scientifiques, le docteur suédois Karl-Henrik Robèrt a constaté que les activités humaines - conséquence de notre système économique - sont responsables de notre empoisonnement. Ce lien peut paraître évident aujourd'hui, mais c'était loin d'être le cas dans les années 80. Les conditions essentielles à la vie En collaborant avec des dirigeants et des scientifiques, le chercheur a identifié les conditions essentielles à la vie. Tant qu'elles seront transgressées, notre potentiel de développement continuera de se détériorer, explique-t-il. Simples et concrètes, ces conditions sont par la suite devenues les quatre conditions du développement durable (voir tableau). Celles-ci sont imples, mais également contraignantes. Il est malgré tout possible de faire du développement. Il s'agit de respecter l'équilibre. Ainsi, la première condition nous enseigne qu'une société durable ne prend pas plus à la nature que ce que celle-ci peut nous donner. Cependant, elle utilise au maximum (par la réduction, la réutilisation, le recyclage et la valorisation) les ressources déjà extraites. La deuxième condition vise principalement à éliminer l'utilisation de substances toxiques. Il existe plus de 75 000 produits chimiques synthétiques dont les effets sont, pour la plupart, mal connus. On sait cependant que la nature peut difficilement les "digérer" pour les réintroduire dans le cycle de la vie. Les effets toxiques persistent, et remontent la chaîne alimentaire. Par ailleurs, pour que la nature puisse faire son travail efficacement, il faut éviter de détruire et de transformer les milieux naturels. C'est ce que dicte la troisième condition. La dernière condition vise pour sa part à remettre en question notre système actuel, et son lot d'iniquités, dans une perspective globale et intergénérationnelle. Pour rendre ces conditions applicables, M. Robèrt a fondé, en 1989, The Natural Step, une organisation qui accompagne les décideurs dans une démarche de développement durable, étape par étape. Une autoroute vraiment nécessaire ? Alors qu'il était invité à introduire une conférence sur la nécessité de construire une voie de contournement dans une capitale européenne, Karl-Henrik Robèrt s'est fait interroger sur la nouvelle autoroute."Je suis un oncologue, c'est vous les experts !" a-t-il répondu, expliquant ensuite comment les conditions de la durabilité peuvent servir d'aide à la décision."Est-ce que votre projet d'autoroute exige d'extraire des matériaux du sol ?" a-t-il d'abord demandé."Il faut extraire du gravier", a répondu un premier expert."Et à quoi va servir cette autoroute ?" a-t-il répliqué."À la circulation de plus de véhicules, s'est aventuré un second expert, ce qui requiert du pétrole.""Est-ce que cette voie augmentera l'émission de substances toxiques ?" a poursuivi M. Robèrt. D'autres experts ont énuméré une longue liste de produits chimiques nécessaires au projet."Qu'en est-il des écosystèmes dans lesquels sera construite cette voie ?" Cette fois, les experts ont discuté des caractéristiques des milieux naturels qui seraient traversés par l'autoroute, ainsi que des services précieux qu'ils rendaient à la société."Enfin, est-ce que les ressources nécessaires au projet pourraient être mieux utilisées pour satisfaire les besoins humains ? Qu'arriverait-il si tous les habitants de la planète se déplaçaient en voiture ? Serait-ce durable ? Sinon, est-ce équitable ?", a demandé Karl-Henrik Robèrt. Après plusieurs heures de remue-méninges, les experts ne parlaient que de solutions alternatives. Pourtant convoqués pour défendre un projet d'autoroute, ils bouillonnaient d'idées sur le transport urbain, sur des véhicules futuristes et sur des améliorations novatrices du réseau existant. L'autoroute n'a jamais vu le jour. Jean-Sébastien Trudel est un journaliste collaborateur des AFFAIRES, actuellement candidat à la maîtrise, spécialisé en gestion du cycle de vie et du développement durable. Les quatre conditions appliquées par des entreprises. Les quatre conditions du développement durable Dans une société durable, la nature n'est pas soumise à une augmentation systématique : 1. des substances extraites de la croûte terrestre; 2. des substances produites par les sociétés humaines; 3. de la dégradation de ses capacités physiques; 4. de plus, dans une société durable, les ressources doivent être utilisées efficacement et équitablement, de façon à pouvoir satisfaire les besoins humains de base partout sur la planète. Source : The Natural Step (www.thenaturalstep.ca)"